- Le
Lieu de l’événement Campus Condorcet,
Argumentaire
Le 4 octobre 1986, comme chaque samedi à 20h30, la France a rendez-vous avec Michel Drucker. L’animateur d’Antenne 2, en smoking et nœud papillon, a pour invité Michel Serrault qui apporte, avec son humour décalé, un peu de fantaisie à une émission aux rouages bien huilés. Dans le public, on distingue un parterre de quinquagénaires en costume, de femmes en tailleurs ou tenues de soirées. Puis, le duo annonce le groupe qui s’apprête à jouer sur le plateau de l’émission : « Boys don’t cry, The Cure ! ». La caméra se concentre désormais pour presque trois minutes sur quatre jeunes gens, cheveux longs ou/et hirsutes, en robes longues aux motifs champêtres, les épaules plus ou moins dénudées, le rouge à lèvres mal posé, qui s’agitent un peu en vain avec leurs guitares et batteries, pour interpréter le titre annoncé. Retour sur le public à l’issue de cette performance incongrue dans une émission plutôt coutumière de chanson française et de variétés : applaudissements. Restée dans les mémoires, la séquence est un moment d’incursion des musiques amplifiées dans un media de masse. Ces trois minutes de télévision publique ne nous disent-elles pas à quel point ce qui était jusqu’alors dévolu au lectorat de la presse magazine musicale s’est emparé de médiations « grand public » au cours de cette décennie charnière ?
A l’instar des sociétés contemporaines occidentales, la presse musicale a pris un coup de jeune à l’aube des années 1960, lorsque les musiques amplifiées, prisées des teenagersdu baby-boom, se popularisent. Voici un nouveau marché auquel elle doit s’intéresser. À l’heure des masses, elle affirme sa centralité, médiation incontournable destinée à un public de plus en plus large et transgénérationnel. Les grands magazines de la presse musicale – Rolling Stonesaux Etats-Unis ; le triptyque NME/MM/Soundsen Angleterre ou le binôme Rock&Folket Besten France – dédiés aux musiques amplifiées contribuent à la construction de la figure du rock critic. À leur côté, des publications approchent le même objet par un autre angle : celui de l’âge, du genre, de la pratique instrumentale, ou du matériel technique. Le moment punk, quant à lui,propose à toutes et tous de participer et d’investir cette médiation spécifique : la presse alternative prend un essor inédit et rend poreuses les frontières entre journalistes professionnels et amateurs.
De l’explosion des radios libres aux magazines en ligne, la presse musicale apparaît aujourd’hui comme un objet d’histoire en devenir. Vingt ans après le début du deuxième millénaire, cette courte séquence fondatrice, mérite d’être actualisée et prolongée :
- Entre les supports de presse historiques dont la publication se poursuit au gré d’évolutions parfois importantes et ceux dont la trajectoire fut éphémère, de quelles traces disposons-nous pour mener à bien ce projet ? Les fonds, leur abondance, leur matérialité, leur intérêt peuvent susciter une première série de contributions.
- Un deuxième axe se propose d’interroger les processus de production et les profils d’acteurs de la presse magazine musicale. Le fanzinat a-t-il transformé la figure du rock critic ? Quelle place dans ces supports de presse qui se définissent autant par le texte que par leur iconographie pour les rock critic ou photographes, a fortiori quand ce sont des femmes ? Qu’en est-il des frontières, des passerelles entre sphères amateures et professionnelles ? Comment leurs contenus se sont-ils adaptés dans un contexte de segmentation accrue du marché propice à la multiplication du nombre de titres ? Quelle pertinence à utiliser les traditionnelles catégories de genres musicaux à l’heure de la globalisation et des mutations technologiques ?
- Le dernier axe se consacre à la place de la presse magazine musicale dans les médiationsconsacrées aux musiques amplifiées. Que reste-t-il de ses liens avec la jeunesse ou de ses tonalités contestataires voire subversives depuis l’explosion des radios libres et l’apprivoisement de ces musiques par les médias audiovisuels ? Quels nouveaux équilibres se mettent en place entre le support papier et la presse dématérialisée ? Quelles propositions pour continuer d’exister ?
Modalités de contribution
Pour cette journée d’étude qui se tiendra le 13 avril 2021, au Campus Condorcet, le comité d’organisation attend des propositions de contributions (1000 signes environ) pour le 25 janvier 2021 (claire.blandin@live.fr et veronique.servat@gmail.com).
Il contactera les auteur.e.s retenu.e.s au plus tard le 1erfévrier 2021. Dans le cadre des politiques de promotion de l’égalité à l’université, le comité d’organisation sera particulièrement attentif aux propositions émanant de jeunes chercheuses.
Coordinatrices
- Claire Blandin, Université Sorbonne Paris Nord, LabSIC EA 1803
- Véronique Servat, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, CHS UMR 8058
Bibliographie indicative
Bantigny, La France à l’heure du monde, Paris, Seuil,
Blandin, C. Delporte, F. Robinet, Histoire de la presse en France XXè-XXèsiècle, Paris, Armand Colin, 2016.
C. Blandin (dir.), Manuel d’analyse de la presse magazine, Paris, Armand Colin, 2018
C. Blandin, « Radio et magazine : une offre plurimédia pour les jeunes des sixties », Le Temps des médias, vol. 21, no. 2, 2013, pp. 134-142.
Goetschel, E. Loyer,Histoire culturelle de la France de la Belle Époque à nosjours, Paris, Armand Colin, 2014.
F.Gorin et F. Ribac, « L’entrée en rock. Entretien avec François Gorin », Volume !, 2 : 1 | 2003, 91-101.
F. Hein, « Le critique rock, le fanzine et le magazine : « Ça s’en va et ça revient » », Volume !, 5 : 1 | 2006, 83-106.
Pirenne, Une histoire musicale du rock, Paris, Fayard
L.Robène, et S. Serre, « Le punk est mort. Vive le punk ! La construction médiatique de l’âge d’or du punk dans la presse musicale spécialisée en France », Le Temps des médias, vol. 27, no. 2, 2016, pp. 124-138.
Tamagne, « « C’mon everybody » Rock’n’roll et identités juvéniles en France », Ludivine Bantigny éd.,Jeunesse oblige. Histoire des jeunes en France XIXe-XXIe siècle. Presses Universitaires de France, 2009, pp. 199-212.