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Lieu de l’événement Université Paris 8, 2 rue de la Liberté , Saint-Denis 93526
Présentation
Ce colloque international invite à la réflexion sur les mutations des industries culturelles et médiatiques au prisme des politiques d’inclusion et de diversité. Vingt ans après l’allocution télévisuelle de Jacques Chirac, prononcée au cœur des révoltes urbaines de 2005 et annonçant notamment un chantier de politique publiques sur la « diversité » dans les médias, quel bilan peut-on établir de l’action publique en la matière ? Quels ont été les effets des mobilisations portées par les acteurs associatifs, les syndicats et les organisations professionnelles contre les discriminations, notamment ethnoraciales et de genre ? Comment se sont développées les pratiques professionnelles visant l’inclusion, tant du côté de la création que de la production et diffusion/distribution ? Mais aussi quels outils théoriques, analytiques et méthodologiques la recherche a-t-elle développés pour rendre compte de ces évolutions et appréhender les représentations du monde social à l’œuvre dans les productions culturelles et médiatiques ? En réunissant chercheur·euses et professionnel·les des secteurs concernés, ce colloque propose donc d’appréhender une série de transformations encore en cours.
L’émergence de la « diversité » comme catégorie de l’action publique dans les secteurs médiatiques et culturels au milieu des années 2000 a d’abord conduit à renouveler la réflexion sur la mesure des inégalités de représentation (Malonga, 2000 ; Macé, 2009) et sur les hiérarchies implicites qu’elles impliquent (Quemener, 2014 ; Lécossais, 2020). Elle a également nourri l’intérêt pour le rôle que jouent les médias dans la formation des imaginaires et des groupes sociaux (Rigoni, 2007 ; Nayrac, 2011 ; Dalibert, 2020). Faisant un pas de côté par rapport à la question des enjeux de représentation, d’autres travaux ont interrogé les conceptions sous-jacentes de la communication que véhiculait l’incitation à la « diversité » (Seurrat, 2010 ; Goshn, 2015 ; Bruneel, 2022 ; Auboussier et al., 2023) : ils ont contextualisé les politiques publiques françaises au regard d’autres contextes nationaux (Rebillard et Loicq, 2013 ; Mattelart et Hargreaves, 2014) ou ils ont identifié, côté réception, les effets que peut avoir sur les publics un accroissement de la diversité dans les contenus médiatiques (Cervulle, 2021 [2013]).
Plus rares ont été les travaux à s’intéresser aux transformations des pratiques professionnelles dans les industries culturelles et médiatiques en lien avec le développement de l’action ministérielle et de l’expression d’attentes vis-à-vis de cet enjeu par une fraction des publics et des professionnel·les. La sociologie de la diversité et des discriminations a traité ces questions à propos du monde de l’entreprise ou de l’action publique territoriale (Doytcheva, 2009 ; Lemercier et Palomares, 2013 ; Bereni, Epstein et Torres, 2020), donnant à voir les résistances au changement autant que des usages parfois managériaux et instrumentalisés de la « diversité », mais celles-ci ont clairement fait l’objet d’une attention moindre s’agissant des médias et de la culture. En interrogeant non tant la « rhétorique de la diversité » (Bereni, 2009) que les pratiques concrètes au travers desquelles la politique d’inclusion se manifeste, le colloque entend donc dresser un état des lieux des transformations toujours en cours des pratiques professionnelles. Ainsi, comment l’intégration de la notion de diversité dans les cahiers des charges des acteurs publics du secteur s’est-elle traduite concrètement ? Et comment les acteurs privés se sont-ils positionnés face à la reconfiguration des normes en termes d’égalité femmes-hommes et de diversité ethnoraciale ? Les dispositifs de promotion de la diversité, souvent centrés sur la lutte contre les stéréotypes (Seurrat, 2010b) ont-ils évolué ? Le baromètre de la représentation de la société française de l’ARCOM a-t-il contribué à renforcer l’attention des éditeurs et des chaînes à ces questions ? Quels ont été les effets de l’engagement de chaînes comme TF1 ou M6 pour que les fictions qu’ils produisent comportent « au moins un personnage ‘‘perçu comme non blanc’’ » (ARCOM, 2023) ? Comment évaluer les formations participant de politiques d’« égalité des chances » (classes préparatoires, filières spécifiques dans les écoles, etc.) ? Quelles transformations ont induit les mesures introduites dans le secteur du financement (Commission « Images de la diversité », « Bonus parité » du CNC) ? Enfin, l’arrivée de nouveaux acteurs, par exemple les plateformes de SVOD dans le secteur audiovisuel, a-t-elle renouvelé les manières de produire des contenus audiovisuels ou leurs stratégies éditoriales seraient-elles avant tout le reflet d’une vision opportuniste de la diversité (Thuillas et Wiart, 2023) ?
Des mutations sont perceptibles dans l’émergence de nouveaux métiers (chargé·es de diversité et inclusion, sensitivity readers dans l’édition ou encore responsables éditoriaux aux questions raciales ou de genre dans les médias), de nouvelles pratiques (création d’une commission de financement ad hoc, intégration des questions de diversité dans les logiques de programmation, d’éditorialisation ou de production) et de dispositifs visant le renouvellement et l’élargissement du vivier de professionnels (par exemple les dispositifs de mentorat). De telles évolutions posent la question du rôle spécifique que jouent les intermédiaires culturels dans la conception et mise en œuvre de pratiques professionnelles visant l’inclusion. Elles interrogent ensuite sur la manière dont les professionnel·les sont formé·es à ces enjeux. Surtout, elles invitent à une analyse critique dès lors que l’on étudie de telles pratiques et dispositifs en lien avec la persistance, bien que sous une forme renouvelée, des assignations, discriminations et inégalités (Mayenga, 2022 ; Cervulle et Lécossais, 2024).
Le développement de « mesures de la diversité » – avec la production d’indicateurs – a en outre constitué un enjeu majeur, tant du côté des organismes public de régulation, des associations et organisations professionnelles, que de la recherche. Dans le sillage de la loi relative à « l’égalité des chances » promulguée en 2006, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (aujourd’hui Arcom) s’est ainsi vu confier pour nouvelle mission de lutter contre les discriminations tout en continuant à veiller « à ce que la programmation reflète la diversité de la société française » (art. 3 .1, de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986), impliquant la création d’un outil de mesure, le Baromètre de la représentation de la société française. Chaque année, il propose sous la forme d’une étude statistique d’évaluer « la perception de la diversité » dans les programmes audiovisuels. D’autres études ont été produites pour des secteurs divers, avec des méthodologies et indicateurs variées : on citera à titre d’exemple le Global Media Monitoring Project pour l’information, au niveau international, Cinégalités pour le cinéma d’initiative française (Cervulle et Lécossais, 2022), ou encore l’étude de Lila Belkacem et al. (2023) sur la littérature jeunesse. À l’échelle internationale, ces études sont également multiples. Dans un certain nombre de pays, elles sont cependant plus fortement institutionnalisées, plus régulières et étendent leur périmètre au-delà des enjeux de représentation pour saisir également l’état des discriminations dans les secteurs concernés – c’est par exemple cas en Grande-Bretagne avec les « Diversity Reports » du British Film Institute ou en Belgique avec les études conduites par Sarah Sepulchre pour le Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel.
Ce décalage est sans doute lié aux intenses discussions dont la mesure de la diversité a été l’objet en France, en lien tant avec son encadrement législatif (la loi Informatique et libertés de 1978) qui complique l’analyse à large échelle des discriminations dans les industries culturelles et médiatiques, qu’eu égard aux risques de réification et figement des catégories analysées (Coulomb-Gully et Méadel, 2011, Biscarrat, Coulomb-Gully et Méadel, 2017). Ces questionnements voient aujourd’hui leur pertinence renforcée face aux enjeux éthiques posés par l’usage de l’intelligence artificielle pour la réalisation de telles études (cf. Doukhan 2020). La mesure de la diversité fondée sur l’IA pose en particulier la question des corpus d’entraînement, et donc les risques d’inscription, au cœur même de la méthode, de discriminations algorithmiques.
Enfin, la constance des résultats de ces études (stabilité du niveau de présence des personnes perçues comme non blanches, faible visibilité du handicap) comme des revendications portées par des organisations professionnelles amènent à questionner la persistance de mécanismes discriminatoires et de blocages inhérents aux industries culturelles et médiatiques.
Propositions de communications attendues :
Les propositions de communications pourront émaner de l’ensemble des disciplines SHS et informatique. Elles porteront sur les enjeux relatifs à la diversité et à l’inclusion dans l’ensemble des secteurs des industries culturelles et médiatiques. Elles pourront concerner des terrains au niveau national comme international, dans un secteur particulier ou de manière trans-sectorielle. Les perspectives comparatives ou transversales seront particulièrement bienvenues.
Il est attendu que les propositions se fondent sur une étude empirique (analyse de corpus ou enquête de terrain), dont les contours et la méthodologie seront précisément définies. Elles devront en outre s’inscrire dans l’un des axes suivants :
- Axe 1 : Politiques publiques de diversité dans la culture et les médias
- Axe 2 : Diversité et mutations des pratiques professionnelles
- Axe 3 : Mesurer la diversité et l’égalité
Calendrier :
Les propositions de communication doivent être rédigées en français et envoyées en format .doc au plus tard le 28 avril 2025 à l’adresse diversiteic2025@gmail.com. D’un format de 5000 signes (espaces compris), elles devront comprendre un titre, le nom de l’auteur/autrice et ses affiliations universitaires, ainsi que 5 mots-clés.
Les notifications d’acceptation ou de refus seront envoyées à partir du 3 juin 2025.
Comité d’organisation :
Léa Andolfi (Sorbonne Université, GRIPIC)
Maxime Cervulle (Université Paris, 8, CEMTI)
Céline Charrier (Université Paris 8, CEMTI)
Sarah Lécossais (Université Sorbonne Paris Nord, LabSIC)
Inés Picaud-Larrandart (Université Paris 8, CEMTI)
Anna Tible (Université Paris 8, CEMTI)
Comité scientifique :
Alix Bénistant, Université Sorbonne Paris Nord
Stéfany Boisvert, Université du Québec à Montréal
Marion Dalibert, Université de Lille
Keivan Djavadzadeh, Université Paris 8
Mathieu de Wasseige, Université Libre de Bruxelles
Franck Freitas, Université de Lille
Tony Haouam, Tufts University
Kira Kitsopanidou, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3
Tristan Mattelart, Université Panthéon-Assas
Nelly Quemener, Sorbonne Université
Emily Shuman, Radboud University Nijmegen
Aude Seurrat, Université Paris Est Créteil
Références :
Arcom (2023). La représentation de la société française dans les médias.
Auboussier Julien, Doytcheva Milena, Seurrat Aude et Tatchim Nicanor, dir. (2023). La diversité en discours : contextes, formes et dispositifs. n° 131 de la revue Mots : les langages du politique.
Belkacem Lila, Chapuis Amandine, Gallot Fanny, Harrari-Kermadec Hugo, Nyambek Mebenga Francine et Pasquier Gaël (2024). « La littérature de jeunesse. : une entrée pour saisir la production de la race dans les industries culturelles françaises ». Communication lors de la journée d’étude « Fabriqué en France : la production culturelle de la race dans l’Hexagone », Paris, CNRS site Pouchet, 10 juin 2024.
Bereni Laure, (2009). « Faire de la diversité une richesse pour l’entreprise. La conversion d’une contrainte juridique en catégorie managériale ». Raisons politiques, n° 35, p. 87-105.
Bereni Laure, Epstein Renaud et Torres Manon (2020). « Colour-blind diversity : how the ‘‘Diversity Label’’ reshaped anti-discrimination policies in three French local governments ». Ethnic and Racial Studies, vol. 43, n° 11, p. 1942-1960.
Biscarrat Laetitia, Coulomb-Gully Marlène et Méadel Cécile (2017). « Ce que soulèvent les chiffres. La place des femmes dans les médias : retour sur enquêtes ». Le Temps des médias, n° 29, p. 193-207.
Bruneel Emmanuelle (2022). « Quand la ‘‘lutte contre les discriminations’’ se fait ‘‘promotion de la diversité’’ ». Pour une approche sémio-politique de la teneur des discours institutionnels ». Politiques de communication, n° 18, p. 35-64.
Cervulle Maxime (2021 [2013]). Dans le blanc des yeux. Diversité, racisme et médias. Paris, Éditions Amsterdam.
Cervulle Maxime et Lécossais Sarah (2022). Cinégalités : qui peuple le cinéma français ?. Paris, Collectif 50/50, rapport en ligne, 100 p.
Cervulle Maxime et Lécossais Sarah (2024). La couleur des rôles. L’origine perçue dans la distribution artistique (théâtre, cinéma, audiovisuel). Paris, Ministère de la Culture, rapport non publié, 154 p.
Coulomb-Gully Marlène et Méadel Cécile (2011). « Plombières et jardinières. Résultats d’enquête et considérations méthodologiques sur la représentation du genre dans les médias ». Sciences de la société, n° 83, p. 14-35.
Dalibert Marion (2020). « Le métarécit national des médias d’information : entre production de la race, de la classe et légitimation des rapports sociaux ». Recherches féministes, vol. 33, n° 1, p. 35-51.
Doukhan David (2020). « AI & Data for diversity : Gender Equality Monitor at INA ». In European Broadcasting Union (dir.), AI and Data Initiative 2020 : Embracing Change, p. 16-17.
Doytcheva Milena (2009). « Réinterprétations et usages sélectifs de la diversité dans les politiques des entreprises ». Raisons politiques, n° 35, p. 107-123.
Ghosn Catherine (2015). Médiation télévisuelle et représentation de la diversité. Paris, L’Harmattan, coll. « Communication et civilisation ».
Lécossais Sarah (2014). « Les séries télévisées, territoires du genre ». Recherches féministes, vol. 33, n° 1, p. 17-34.
Lemercier Élise et Palomares Élise (2013). « La disparition. Le traitement de la ‘‘question raciale’’ dans l’action publique locale de lutte contre les discriminations », Revue Ayslon(s), n° 8, en ligne.
Macé Éric (2009). « Mesurer les effets de l’ethnoracialisation dans les programmes de télévision : limites et apports de l’approche quantitative de la ‘‘diversité’’ ». Réseaux, n° 157-158, p. 233-265.
Malonga Marie-France (2000). Présence et représentation des « minorités visibles » à la télévision française. Paris, Conseil supérieur de l’audiovisuel, rapport non publié, 152 p.
Mattelart Maxime et Hargreaves Alec G. (2014). « ‘Diversity’ policies, integration and internal security : The case of France ». Global Media and Communication, vol. 10, n° 3, p. 275-287.
Mayenga Evélia (2022). « Qui représente la ‘‘diversité’’ ? Les conditions professionnelles de l’accès à une aide publique dans le secteur audiovisuel français », Bien Symboliques, n° 10, en ligne.
Nayrac Magali (2011). « La question de la représentation des minorités dans les médias, ou le champ médiatique comme révélateur des enjeux sociopolitiques contemporains ». Cahiers de l’URMIS, n° 13, en ligne.
Quemener Nelly (2014). Le Pouvoir de l’humour. Politiques des représentations dans les médias en France. Paris, Armand Colin et INA.
Rebillard Franck et Loicq Marlène, dir. (2013). Pluralisme de l’information et media diversity. Un état des lieux international. Bruxelles, De Boeck.
Rigoni Isabelle, dir. (2007). Qui a peur de la télévision en couleurs ? La diversité culturelle dans les médias. La Courneuve, Aux lieux d’être.
Seurrat Aude (2010a). « Les médias en kits pour promouvoir ‘‘la diversité’’ ». Les Enjeux de l’information et de la communication, vol. 2010, n° 1, p. 160-169.
Seurrat Aude (2010b). « Déconstruire les stéréotypes pour ‘‘lutter contre les discriminations’’ ? Le cas de dispositifs de ‘‘lutte contre les discriminations’’ et de ‘‘promotion de la diversité’’ dans les médias ». Communication & langages, n° 165, p. 107-118.
Thuillas Olivier et Wiart Louis (2023). « La diversité culturelle selon Netflix : un élément de légitimation d’une stratégie industrielle ? », Études de communication, n° 60, p. 153-173.