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Lieu de l’événement Maison de la Recherche - Sorbonne Université , 28, rue Serpente , Paris 75006 , France
Argumentaire
Dans le champ disciplinaire des Sciences de l’Information et de la Communication (SIC), le concept de dispositif circule intensément et semble occuper une place centrale. Qu’il s’agisse d’examiner des dispositifs techniques, numériques, médiatiques, pédagogiques, organisationnels ou institutionnels, le terme dispositif invite à une réflexion sur les agencements d’éléments humains et non-humains, les relations de pouvoir qu’ils instaurent, ou encore les dynamiques qu’ils suscitent dans les processus de communication et d’information.
Tout à la fois concept, matrice de compréhension et outil, la notion de dispositif est mobilisée par de nombreux·ses chercheurs·euses en SIC. Si la définition commune du terme et sa conceptualisation par Gilles Deleuze, relisant lui-même Michel Foucault, insistent sur sa dimension technique, les réflexions autour du dispositif se sont depuis largement étendues et déplacées, servant à analyser par exemple les dynamiques de pouvoir et de contrôle (Deleuze, 1989 ; Musso, 2003), les médiations technologiques et culturelles (Boullier, 2016 ; Merzeau, 2016), la production, la circulation et la réception des productions médiatiques (Miège, 1989 ; Jost, 1999 ; Jeanneret, 2008) ou encore la matérialisation de la médiation des affects par les réseaux sociaux numériques (Pailler et Vörös, 2017). Les différents travaux questionnent l’autonomie des individus face aux dispositifs et les effets des structures médiatiques sur les sociétés, notamment en termes d’inégalités d’accès, de surveillance et d’exploitation des données.
Par ailleurs, l’essor du numérique des dernières décennies a profondément modifié la notion même de dispositif, en introduisant des logiques de participation, de personnalisation et d’automatisation. Le concept a ainsi connu un regain d’intérêt dans l’étude des technologies numériques comme le montre Laurence Monnoyer-Smith (2013) qui propose de le revisiter pour analyser la complexité du web comme agencement hétérogène d’architectures techniques, de pratiques et représentations, qui cadrent les possibles communicationnels tout en étant travaillés en retour par les usages. Le concept apparaît alors comme une alternative stimulante aux visions déterministes du web, sans pour autant renoncer à une lecture critique des rapports de pouvoir qui le traversent (Julliard, 2022).
Vingt-cinq ans après le vingt-cinquième numéro d’Hermès consacré au dispositif, nous partageons à notre tour l’étonnement des jeunes chercheurs·euses du dossier de 1999 saisis.es par la « prolifération » et le pouvoir heuristique du dispositif dans les sciences sociales et en particulier au sein des SIC. La plasticité conceptuelle que semble permettre l’usage du dispositif en font un terme opérant souvent mobilisé mais qui nous paraît parfois peu questionné théoriquement et épistémologiquement. Dans cette perspective, il nous semble à nouveau pertinent nous interroger sur la (re)lecture de cette notion par les (jeunes) chercheurs·euses dans une journée d’étude, qui propose donc d’explorer le dispositif à travers sa diversité conceptuelle et méthodologique : il s’agira principalement de réfléchir à la manière dont les SIC mobilisent, réinterprètent et enrichissent ce concept, tout en explorant ses limites.
Les propositions pourront s’inscrire, sans s’y limiter, dans les axes suivants :
Axe n° 1 : Penser (avec) le dispositif
Au-delà de la diversité de ses ancrages empiriques, le concept offre une portée heuristique pour saisir la complexité et l’hybridité constitutive des processus communicationnels contemporains. Toutefois, cet usage extensif ne va pas sans soulever certaines critiques, notamment sur le risque d’une dilution conceptuelle de la notion (Gavillet, 2010). L’autrice dénonce en effet un usage galvaudé et routinisé de la notion, souvent éloigné de son ancrage foucaldien originel, et appliqué indifféremment à une grande variété d’objets et de situations. Pour autant, ne peut-on voir dans ces déplacements un effort de traduction et d’appropriation nécessaire, inhérent au projet même des SIC ? Dans cette optique, ce premier axe propose de faire un retour sur la trajectoire de la notion de dispositif en SIC pour en interroger la fécondité et les points aveugles mais aussi pour cerner les spécificités de l’approche communicationnelle des dispositifs, dans son dialogue et sa différenciation avec d’autres perspectives disciplinaires.
Les propositions de communication pourront, sans qu’elle ne s’y réduisent :
- Questionner la pertinence et l’opérationnalité de la notion selon les types de terrains et d’objets étudiés. Le concept s’avère-t-il toujours pertinent pour aborder les réalités dont se saisissent les SIC ? Quels aspects permet-il de saisir ? Permet-il de rendre compte de la spécificité et de la complexité des processus de communication observés, ou tend-il parfois à les réduire ou à les simplifier ? Avec quels autres concepts gagne-t-il à être articulé (médiation, situation, activité, etc.) ?
- Envisager les pistes de reconceptualisation appelées par les mutations des écologies médiatiques et la matérialité des processus communicationnels contemporains. Comment le numérique « travaille-t-il » le concept de dispositif et nos façons de le mobiliser ? À quelles actualisations doit se prêter la notion face à ces nouveaux objets ?
Les propositions pourront aussi présenter des « études de cas » mobilisant le concept de dispositif pour analyser des objets et phénomènes communicationnels variés (médias, technologies numériques, médiations culturelles, etc.). Il s’agira de montrer en quoi cette notion permet de saisir la complexité de ces objets, d’articuler leurs différentes dimensions (techniques, sémiotiques, sociales, etc.), d’éclairer les enjeux de pouvoir qui les traversent.
L’enjeu est de contribuer à une cartographie des modalités de problématisation du dispositif en SIC et d’engager une discussion sur la pertinence de cet héritage foucaldien pour appréhender la complexité communicationnelle, tout en pointant les nécessaires actualisations auxquelles il doit se prêter.
Axe n° 2 : En-quête de dispositif
Une des qualités des SIC est de considérer le dispositif non pas comme un simple outil mais comme un acteur à part entière. À l’instar de « l’écriture [qui] nous informe en sa forme même » (Candel, Gomez-Mejia, Jeanne-Perrier et Souchier, 2019), du livre qui « organise, rend possible en son sein l’ancrage de son destinataire » (Tadier, 2018), des forums qui font « naître brutalement et massivement des identités » (Vial, 2010), ou encore des appareils de terrains qui bousculent à travers leurs modalités les chercheurs·euses (Sperber, 1982), un dispositif s’exprime, influence, évolue, bouleverse, rassemble et divise, rend visible et soustrait, forme, informe et transforme.
Or, dans ces échanges, dans ces circularités, ce qu’on appelle « les dispositifs » n’impactent pas uniquement les publics étudiés mais également les chercheurs·euses qui s’y confrontent. Ainsi, si les enquêteurs·ices ont une influence non-négligeable sur leur terrain – puisqu’on « ne peut déménager vers quelque point d’observation que ce soit sans devenir responsable de ce mouvement » (Haraway, 2007 (1988)) – comment penser en termes de dispositif impacte en retour les chercheurs·euses, que ce soit sur leur positionnement académique, voire leur manière d’être ? Dans quelle mesure cette force, cette action et cette répercussion du dispositif sur les universitaires elleux-mêmes deviennent, à travers une co-construction avec les chercheurs·euses, pourvoyeuses de nouveaux savoirs en SIC ? Finalement, quelles relations les universitaires entretiennent·iels avec le dispositif dans lequel iels s’immergent, et comment une position réflexive sur ces liens offre de nouvelles perspectives sur cette notion ?
Dans cet axe, nous nous intéresserons donc particulièrement aux retours empiriques des chercheurs·euses concernant les dispositifs avec lesquels·iels interagissent. Cette orientation a pour volonté de valoriser la subjectivité de l’universitaire comme initiatrice de nouvelles connaissances sur la notion de dispositif, tout en mettant en lumière l’influence de celui-ci sur l’expérience de la recherche et des publics étudiés (échecs, difficultés, impasses, résistances, ruptures, incompréhensions, déconvenues, mais aussi ouvertures, enthousiasme, satisfactions, soulagements, fiertés). Au cours de ces dialogues entre le dispositif et les universitaires émerge la co-construction de nouvelles idées issues d’un cadre méthodologique libre face à l’inattendu, toujours ouvert à la prise en compte des affects des chercheurs·euses et à travers, à ce que ces sentiments définissent du dispositif.
Modalités de soumission
Les propositions, d’une longueur maximale de 400 mots, devront inclure :
- Un titre provisoire
- Une description du sujet, de la problématique et de l’approche méthodologique
- Une courte bibliographie indicative (facultative)
- Les informations sur le ou les auteur.ice(s) (nom, affiliation, adresse électronique)
Merci d’envoyer vos propositions au format PDF à l’adresse suivante : jegripic2025@gmail.com, avant le 1er mars 2025.
Les propositions seront anonymisées et évaluées par le comité scientifique en double aveugle. Les auteurs.ices seront informés.es des décisions à partir du 1er avril 2025.
Dans une perspective de renouvellement des questionnements en SIC, cette journée d’études est à destination des jeunes chercheurs.euses, à commencer par des doctorants.es ou jeunes docteurs.es en sciences humaines et sociales. Les travaux de master, ou les jeunes recherches proposées par des chercheurs.euses plus avancés.es sont également les bienvenues.
Comité d’organisation
- Ambre Ampe
- Celia BANOS
- Diane Garinat
- Marie Guermeur
- Pierre-Yves Halin
- Lucille Lamache
- Adélie Laruncet
- Vincent Leglaive
- Clara Scotto D’Apollonia
- Zoé Theval
Comité scientifique
- Catherine Aymé (LabSIC – Université Sorbonne Paris Nord)
- Celia Banos (GRIPIC, Sorbonne Université)
- Hubert Boet (LabSIC – Université Sorbonne Paris Nord)
- Marie-Lise Buisson (GRIPIC, Sorbonne Université)
- Thibault Grison (GRIPIC, Sorbonne Université)
- Pierre-Yves Halin (GRIPIC, Sorbonne Université)
- Lucille Lamache (GRIPIC, Sorbonne Université)
- Adélie Laruncet (GRIPIC, Sorbonne Université)
- Vincent Leglaive (GRIPIC, Sorbonne Université)
- Maya Mazzacane (GRIPIC, Sorbonne Université)
- Adrien Pequignot (CÉMTI, Université Paris 8)
- Amélie Peresson (GRIPIC, Sorbonne Université)
- Clara Scotto D’Apollonia (GRIPIC, Sorbonne Université)
- Zoé Theval (GRIPIC, Sorbonne Université)
Bibliographie indicative
Agamben Giorgio, et Martin Rueff. 2014. Qu’est-ce qu’un dispositif ? Nouvelle éd., Payot & Rivages.
Appel Violaine, Hélène Boulanger et Luc Massou. 2010. Les dispositifs d’information et de communication : Concepts, usages et objets. Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur.
Bennett Tony. 2016. « Le dispositif expositionnaire » (traduit de l’anglais par Nelly Quemener, Marion Coville, Franck Freitas et Maxime Cervulle). Poli – Politique de l’Image, no 12, p. 14‑38.
Berten André. 1999. « Dispositif, médiation, créativité : petite généalogie », Hermès, La Revue, n° 25, p. 31-47.
Boullier Dominique. 2016. Sociologie du numérique. Armand Colin. https://doi.org/10.3917/arco.boull.2016.01.
Courbières Caroline et Vincent Liquète. 2023. « Approches dispositives de l’information-communication ». Approches Théoriques en Information-Communication (ATIC) 7 (2) : 5‑9. https://doi.org/10.3917/atic.007.0005.
Deleuze Gilles. 1989. « Qu’est-ce qu’un dispositif ? » Dans Michel Foucault philosophe. Rencontre internationale. Paris, 9, 10, 11 janvier 1988, 185–195. Paris : Seuil.
Dispositif(s) dans l’art contemporain. Marges, 20, 1, 2015, shs.cairn.info/revue-marges-2015-1 ?lang =fr.
Foucault Michel. 2003. Surveiller et punir : naissance de la prison. Bibliothèque des Histoires. Paris : Gallimard.
Gavillet Isabelle. 2010. « Chapitre 2. Michel Foucault et le dispositif : questions sur l’usage galvaudé d’un concept ». Dans Les dispositifs d’information et de communication, p. 17‑38. De Boeck Supérieur. https://doi.org/10.3917/dbu.masso.2010.01.0017.
Gomez-Mejia Gustavo. 2016. Les fabriques de soi ? identité et industrie sur le web. Les essais numériques. Paris : MkF éditions.
Haraway Donna. 2007. « Savoirs situés : la question de la science dans le féminisme et le privilège de la perspective partielle. » Dans Manifeste cyborg et autres essais, anthologie établie par Laurence Allard, Delphine Gardey et Nathalie Magnan. Paris : L’Harmattan.
Jacquinot-Delaunay Geneviève et Laurence Monnoyer-Smith. 1999. « Avant-propos : Il était une fois ». Hermès, La Revue 25 (3), p. 9‑14. https://doi.org/10.4267/2042/14968.
Jeanneret Yves. 2005. « Dispositif ». Dans Commission Nationale Française pour l’Unesco, “La société de l’information” : glossaire critique, La Documentation Française.
Jost François. 1999. Introduction à l’analyse de la télévision. Infocom. Paris : Ellipses.
Julliard Virginie. 2022. « Communauté politique, sémiotique, émotionnelle. Ce que la circulation des images révèle de la structuration de la mobilisation anti-genre sur Twitter ». Communication & langages 212 (2) : 131‑53. https://doi.org/10.3917/comla1.212.0131.
Labelle Sarah. « Pouvoir des médiations dispositives et consécration de l’agir ingénieur. Enquête sur les politiques de données en France ». Approches Théoriques en Information-Communication (ATIC) 2023/2 N° 7, 2023. p. 101-117. https://doi.org/10.3917/atic.007.0101.
Merzeau Louise. 2016. « Le profil : une rhétorique dispositive ». Itinéraires. Littérature, textes, cultures, no 2015‑3. https://doi.org/10.4000/itineraires.3056.
Meunier Jean-Pierre. 1999. « Dispositif et théories de la communication : deux concepts en rapport de codétermination », Hermès, La Revue 25, p. 83-91.
Miège Bernard. 1989. La société conquise par la communication. Nouv. impress. Grenoble : Presses Univ. de Grenoble.
Monnoyer-Smith Laurence. 2013. « Chapitre 1 – Le web comme dispositif : comment appréhender le complexe ? » Dans Manuel d’analyse du web en Sciences Humaines et Sociales, p. 11‑31. Armand Colin.
Musso Pierre. 2003. Critique des réseaux. Paris : Presses universitaires de France.
Pailler Fred, Florian Vörös. 2017. « Des effets aux affects : médiations, pouvoir et navigation sexuelle en ligne », Revue française des sciences de l’information et de la communication, n° 11, https://doi.org/10.4000/rfsic.2873
Souchier Emmanuël, Étienne Candel, Gustavo Gomez-Mejia, et Valérie Jeanne-Perrier. 2019. Le numérique comme écriture : théories et méthodes d’analyse. Codex. Malakoff : Armand Colin.
Sperber Dan. 1982. Le savoir des anthropologues. Collection Savoir. Paris : Hermann.
Tadier Elsa. 2018. Les corps du livre du codex au numérique. Enjeux des corporéités d’une forme médiatique : vers une anthropologie communicationnelle du livre. Thèse de doctorat, sous la direction de Emmanuël Souchier et Anne Zali, CELSA/Paris Sorbonne.
Vial Stéphane. 2010. « Il était une fois « pp7 », ou la naissance d’un groupe sur l’Internet : Retour sur la socialisation en ligne d’une communauté étudiante ». Réseaux 164 (6) : 51‑70. https://doi.org/10.3917/res.164.0051.