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Lieu de l’événement Salle Vasari - INHA, 6 rue des petits champs , Paris
L’invention du téléphone, de la télégraphie électrique et de la radio a profondément transformé les modalités de l’écoute. Ces technologies ont accompagné le développement d’approches physiologiques et la mesure de plus en plus précise des phénomènes sonores. Elles ont favorisé l’émergence d’un ensemble de compétences sonores, et ont structuré l’écoute comme une pratique corporelle et sociale spécifique. Le développement des outils de reproduction et de transmission sonore a également conduit à la constitution de régimes auditifs particuliers et d’un ensemble de reconfigurations spatiales, qui ont eu un impact significatif sur les arts et les cultures de l’écoute en inscrivant le son, la technologie et la médiation sonore dans des systèmes complexes d’interaction sociale et esthétique.
À partir de l’hypothèse d’une intrication entre les cultures auditives, les régimes de perception associés et les techniques d’écoute, la journée d’étude Télé-Phonies propose l’analyse des régimes de perception et des cultures de l’écoute liés à la notion plurielle de distance. Envisager l’écoute non seulement comme le propre des réseaux de communication téléphoniques et des médias de masse radiophoniques, mais, plus largement, comme un ensemble de pratiques et de techniques médiatiques d’écoute à distance au sein ou en marge de ces réseaux, nous permettra de comprendre leur profond impact sur les arts du son et les cultures auditives.
L’écoute implique toujours une forme de distance, qu’elle soit matérielle, métaphorique, géographique, temporelle ou sociale. D’un point de vue matériel, cette distance se concrétise à travers les infrastructures techniques, qui modifient l’expérience de l’écoute et introduisent un rapport renouvelé aux éloignements topologiques, culturels et attentionnels qui nous séparent. Dans certains cas, ces médiations sonores entraînent de profondes reconfigurations spatiales et sociales, structurant de véritables territoires de l’écoute. La notion de distance peut également renvoyer à des enjeux sociaux et culturels, tels que les inégalités d’accès aux technologies, mais aussi aux questions liées au handicap et aux contrastes entre les différentes cultures auditives.
Pour aborder ces enjeux, la journée d’étude Télé-Phonies adopte une approche pluridisciplinaire, convoquant les méthodologies de l’histoire de l’art, de l’archéologie des médias et des études sonores, mais aussi des Science and Technology Studies (STS) et de l’histoire de la musique. Les objets et pratiques artistiques envisagés seront eux-mêmes le plus souvent hybrides, situés à la jonction des arts plastiques, des cultures sonores et de la musique, et plus généralement en marge des techniques et pratiques culturelles qui dominent l’historiographie de l’écoute à distance.
Du rêve d’un art « en quatre dimensions » professé par le Manifeste futuriste La Radia en 1933, au projet Echoes of the Moon (1987) de Pauline Oliveros, l’histoire de l’art et de la musique montre à quel point les imaginaires et les pratiques de l’écoute ont été alimentés par les techniques radiophoniques et téléphoniques, mais aussi radioastronomiques. Le désir de connexion à distance de la modernité se heurte cependant aux réalités sociales et politiques des infrastructures et des environnements techniques. Leur matérialité et leur réancrage culturel remettent en question le fantasme moderne d’une communication transparente. Dès les années 1960 et 1970, des artistes interrogent l’histoire des techniques médiatiques de transmission et d’enregistrement du son, en adoptant une approche proche de celle de l’archéologie des médias. À partir des années 1980, d’autres appropriations politiques, communautaires et expérimentales de la radiophonie viennent en redessiner les contours sociaux et matériels, tandis que la musique et la création sonore embrassent les réseaux de télécommunication. La création sonore à distance est alors réactivée sur un mode collaboratif et préfigure l’ère contemporaine de la « musique mobile ».
L’histoire de l’enregistrement sonore influence profondément les imaginaires liés à un régime « schizophonique » qui, dissociant le son reproduit de son origine par sa médiation technique, est à l’origine de nombreuses recherches en psychoacoustique, mais aussi de narrations qui forment l’hypothèse d’une dimension spectrale de l’enregistrement et de la transmission sonore. Il est par exemple possible d’envisager l’écoute acousmatique et ses dispositifs, érigés par la musique concrète en véritable méthodologie de l’écoute réduite, comme une forme d’écoute à distance ; il en va de même pour certains modes de communication sonore par la voix, ainsi que pour les techniques du corps, telles que la ventriloquie.
Les différentes distances qui traversent l’histoire du son médié dessinent de véritables écologies politiques de l’écoute. Ainsi, l’écoute à distance est associée aux contextes militaires et civils d’espionnage et de surveillance ; elle peut s’inscrire dans le contexte généralisé d’une « guerre sonore », où l’affect vibratoire est redéfini par la distanciation et la virtualisation de la violence. Elle est aussi habitée de technologies comme l’échosondeur ou le sonar, dont l’étude de l’ancrage au sein de logiques extractivistes révèle la dimension sonore de l’exploitation des ressources naturelles à l’heure de l’anthropocène et du capitalisme tardif. Les normes de perception, d’accessibilité de l’écoute médiée et des technologies auditives sont également interrogées par les Disability media studies. Récemment, la généralisation des communications à distance via des plateformes de vidéoconférence interroge la place du son et de l’écoute dans les environnements digitaux.
Les axes suivants pourront être envisagés :
- techniques du corps et écoute à distance
- écoute à distance dans la recherche scientifique ; interfaces et sonification, acoustémologie
- enregistrement sonore, écoutes acousmatiques ; circulation des enregistrements ; études de formats
- imaginaires et utopies de l’écoute à distance ; conquête spatiale
- handicap, technologies de l’écoute assistée et augmentée, écoute post-humaine
- cultures auditives au sein des réseaux de télécommunication et des médias de masse
- paradigme digital de l’écoute à distance ; visioconférence et écoute
- approches écologiques de l’écoute à distance ; extractivisme et techniques sonores
- techniques d’écoute à distance dans les contextes de conflits armés ; technologies de surveillance
- spectralité, “hantologie” du son transmis ou enregistré
Modalités de contribution
Les propositions (titre, résumé de 4000 signes environs, biographie de l’auteur·ice) sont à envoyer en anglais ou en français à imago.tele.visions@gmail.com avant le 26 mai 2025.
Comité de sélection
- Léa Dreyer (Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
- Evgenii Kozlov (Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
- Pierre-Jacques Pernuit (Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
- Clara Royer (Paris 1 Panthéon-Sorbonne)