Interfaces numériques

Quelle juste place du numérique dans nos sociétés actuelles et à venir, sous l’angle de l’éthique de l’environnement ?

Mis en ligne le

Réponse attendue pour le 21/02/2025

Type de réponse Résumé

Type de contribution attendue Article

Nom de la publication Interfaces numériques

Éditeur Université de Limoges

Coordinateurs

  • Thomas  ANH NGOC HOANG
  • Magali  PRODHOMME
  • Céline  CHOLET
  • Claire  MAHÉO
  • Arnaud  LEVY

Contacts

Interfaces numériques lance un appel à contributions en vue d’un numéro intitulé « Quelle juste place du numérique dans nos sociétés actuelles et à venir, sous l’angle de l’éthique de l’environnement ? » sous la direction de Thomas ANH NGOC HOANG, Magali PRODHOMME, Céline CHOLET, Claire MAHÉO et Arnaud LEVY. Les propositions sont attendues pour le 21 février 2025 pour une sortie du numéro en novembre 2025.

Présentation

Nous partons du constat suivant : le numérique est de plus en plus frappé d’un paradoxe. D’un côté, il est omniprésent et pénètre tous les aspects de la vie humaine, individuels et sociaux. Selon le Baromètre du numérique de l’ARCEP (2023), « le numérique s’installe toujours plus dans les usages de la vie quotidienne », avec un niveau élevé de la population (87 %) disposant d’ordinateurs ou de smartphones (en moyenne 10 équipements numériques par foyer en 2023)2.

A ce titre, le numérique est un « milieu » (Bachimont, 2015) qui façonnerait notre être-au-monde, si bien qu’il est possible de voir à l’œuvre une « deep digitalization » dont témoigne l’intelligence artificielle, une étape supplémentaire du développement technologique.

D’un autre côté, « la numérisation du monde » (Flipo, 2021) s’avère profondément problématique sur les plans anthropologique, politique, éthique, comme écologique (Allard et al., 2022 ; Jarry- Lacombe et al., 2022), étant synonyme de « désastre écologique » (Flipo 2021). En effet, le numérique a une importante empreinte énergétique et matérielle et un effet « d’entrainement puissant sur les consommateurs » (Flipo, 2020).

C’est ce paradoxe fondamental que nous nous proposons d’examiner, de manière critique et pratique à partir de l’éthique de l’environnement. Depuis l’article fondateur de Richard Sylvan Routley (Routley [1973] 2019), l’éthique environnementale entend modifier fondamentalement les rapports des humains à la nature en se donnant : (i) « un nouvel objet, le monde naturel non humain, jugé digne de considération morale pour lui-même », (ii) une « nouvelle temporalité  » incluant le présent et le futur (les générations futures), (iii) une échelle spatiale variable, et (iv) une nouvelle méthode de type « holiste ne séparant pas les parties du tout, l’homme de la nature, le sujet de l’objet » (Afeissa, 2007, p. 10-11).

Dans cette perspective, il nous semble nécessaire de questionner la place du numérique dans nos sociétés actuelles et à venir. Ce questionnement fait actuellement l’objet de débats et de discussions importants dont on peut identifier, à ce jour, deux postures bien connues.

Dans un cas, il est question de plaider pour l’impératif de la sobriété numérique en changeant de modes de vie en vue de nouveaux « genres de vie », car la trajectoire du numérique n’est pas sobre et implique des externalités négatives d’un point de vue écologique (Flipo, 2020).

Dans un autre cas, il importe de mener une « politique de renoncement », une « écologie du démantèlement » de certains imaginaires, modes d’organisation et infrastructures dont nous héritons : il s’agit de rediriger notre écologie en faisant face à ces « communs négatifs » (Bonnet, Landivar, Monnin, 2021). Dans cette optique, si le smartphone relève de « technologies zombies » (Halloy, 2020), la question consiste à savoir comment vivre avec le numérique afin de « développer un art de la fermeture » (Monnin, 2022), pas seulement à l’échelle individuelle, mais de manière collective, donc politique, sur la base du principe de viabilité (Monnin, 2023).

Où se trouverait donc la juste place du numérique aujourd’hui et demain : dans la sobriété numérique en termes de modes de vie ou dans un mouvement politique de renoncement ? Ou encore, dans la réinvention d’un numérique alternatif porté par divers acteurs : par exemple, un « numérique responsable » porté par l’Institut du Numérique Responsable qui cherche à rassembler des « entreprises et organisations autour de l’expérimentation et la promotion de bonnes pratiques pour un numérique plus régénérateur, inclusif et éthique »3  ; un « autre numérique » qui est « inscrit dans un horizon désirable » pour « déconstruire le numérique dominant » et pour « reprendre collectivement la main sur sa trajectoire » (Mabi, 2023) ; ou un « numérique d’intérêt général » (Levy, 2023) posant la question explicitement politique au sens étymologique de ce terme : « À quelles conditions le numérique peut-il servir l’intérêt général ? », donc un numérique qui devra servir les « justes fins » et rester dans une « juste place » (Ibid.)4.

Par ailleurs, il est fort intéressant de noter une nouvelle perspective émergente où un nombre grandissant d’acteurs « entendent mettre les technologies numériques au service de la transition écologique ». Le dossier de la revue Réseaux (2024), coordonné par Parasie et Shulz, donne à voir un panorama des recherches en sciences sociales, et cela, à partir de quatre études empiriques : l’informatisation de la question environnementale ; l’instrumentation des mobilisations écologiques ; la rationalisation des systèmes de production et de consommation ; l’expérimentation d’alternatives économiques à la logique productiviste (Ibid.). Ici, les auteurs proposent un questionnement de plus en plus significatif : « à quelles conditions – politiques, morales, épistémologiques, organisationnelles, etc. – le recours aux technologies numériques renforce notre capacité collective à comprendre et à agir pour limiter les dommages environnementaux ? » (Ibid.)

Ainsi, la question d’un numérique juste reste ouverte et mérite d’être examinée, sachant que celle de la justice est une question éthique par excellence, comme le soutient Paul Ricoeur dans sa célèbre formule de la « visée éthique » : « Une vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes5 (Ricoeur, 2015, p. 200)Comment articuler l’éthique comme souci de soi et l’éthique comme souci du monde en dotant le monde commun d’institutions justes ? (Renouard et al., 2020). Pour éviter de tomber dans des visions schématiques ou simplistes, de type « solutionnisme technique » ou « solutionnisme politique », nous avançons l’hypothèse de l’heuristicité d’une mise en tension entre ce que nous avons désigné par deux concepts quasi paradigmatiques, d’une part l’« hyperbien écologique » et, d’autre part, l’« hypersystème techno-numérique » (Hoang et al., 2022a ; 2022b) pour tenter d’appréhender la question écologique du numérique. Il s’agit d’une véritable ligne de crête, certes exigeante, mais salutaire de notre point de vue face à de nombreuses approches6.

Cette ligne de crête s’articule à une double approche que nous estimons complémentaire, à la fois une approche critique, par exemple celle des technocritiques (Jarrige, 2016) du capitalisme (Charbonnier, 2022), et une perspective pragmatico-prospectiviste, à savoir la quête de « nouveaux possibles » viables, durables, éthiquement et écologiquement désirables.

Ce dossier s’adresse aux différents acteurs – universitaires, acteurs civils et politiques, professionnels – qui travaillent la problématique du numérique à l’aune de l’éthique écologique. Dans cette visée d’« écologiser » et d’« éthiciser » le numérique, il nous semble indispensable d’explorer et d’inventer de nouveaux possibles, en adoptant, dans le sillage des travaux de Bruno Latour, une approche et une posture modeste de la « composition ». Si nous voulons « composer un monde commun » (Latour, 2015 ; 2021) sur la base des conditions d’habitabilité, alors comment « composer » un numérique juste, si ce n’est d’avoir recours à nos « capacités de sélection » (Latour, 2021, p. 52), de « plonger dans les controverses » (Ibid., p. 53), d’entreprendre, comme dans un travail musical, « des arrangements, des négociations, des modus vivendi  » (Ibid., p. 54) ?

Délibérément interdisciplinaire, ce dossier est ouvert aussi bien aux Sciences de l’Information et de la Communication qu’à toute discipline en Sciences Humaines et Sociales. Les propositions d’articles pourront s’inscrire dans l’un ou plusieurs de deux axes suivants, sans toutefois exclure d’autres sujets en lien avec le thème principal.

Axe 1 : Analyse des processus de construction et de médiatisation des représentations et des récits (médiatiques, artistiques, militants, etc.) tournés vers une écologie du numérique, en d’autres termes, de l’invention de nouveaux imaginaires du numérique à l’ère de « l’hyperbien écologique » ;

Axe 2 : Analyse des modalités d’engagements individuels et collectifs, à travers des dispositifs, des pratiques et des stratégies d’acteurs, en vue de la construction de nouveaux modes de vie éco-numériques.

Bibliographie

AFEISSA Hicham-Stéphane (dir.) (2007). Ethique de l’environnementNature, valeur, respect, Textes clés, Paris, Vrin.

ALLARD Laurence, MONNIN Alexandre, NOVA Nicolas (dir.) (2022). Écologies du smartphone, Lormont, Le Bord de l’eau, coll. « Documents ».

BACHIMONT Bruno (2015). Le numérique comme milieu : enjeux épistémologiques et phénoménologiques, Revue Interfaces numériques, volume 4, no3 http://dx.doi.org/10.25965/interfaces-numeriques.386

BONNET Emmanuel, LANDIVAR Diego et MONNIN Alexandre (2021). Héritage et fermeture. Une écologie du démantèlement, Paris, Divergences.

CHARBONNIER Pierre (2022). Culture écologique, Paris, Les Presses de Sciences Po, coll. « Les Petites Humanités ».

FLIPO Fabrice (2020). L’impératif de la sobriété numérique. L’enjeu des modes de vie, Editions Matériologiques

FLIPO Fabrice (2021). La numérisation du monde. Un désastre écologique, Editions L’Echappée.

HOANG Anh Ngoc, MELLOT Sandra et PRODHOMME Magali (2022a). Le numérique questionné par l’éthique située des écologies politiques, Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 25 | 2022. URL : http://journals.openedition.org/rfsic/13239 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rfsic.13239

HOANG Anh Ngoc, MELLOT Sandra et PRODHOMME Magali (2022b). Le numérique à l’épreuve de l’écologie. Interfaces numériques, 11(1). https://doi.org/10.25965/interfaces-numeriques.4805

JARRIGE François 2016 [2014], Technocritiques. Du refus des machines à la contestation des technosciences, La Découverte.

JARRY-LACOMBE Bernard, BERGERE Jean-Marie, EUVE François, TARDIEU Hubert (2022). Pour un numérique au service du bien commun, Odile Jacob.

LATOUR Bruno (2015). Composer un monde commun. Études, 69-78. https://doi.org/10.3917/etu.4212.0069

LATOUR Bruno (2021). Habiter la terre. Entretiens avec Nicolas Truong, Éditeur : Les Liens qui Libèrent.

LEVY Arnaud (2023). Pour un numérique d’intérêt général, https://www.communication-democratie.org/fr/publications/2023-07-04-pour-un-numerique- dinteret-general/

MABI Clément (2023). Le numérique que nous voulons, mars 2023, https://aoc.media/opinion/2023/03/20/le-numerique-que-nous-voulons/

MONNIN Alexandre, HALLOY José, NOVA Nicolas, 2020. « Au-delà du low tech : technologies zombies, soutenabilité et inventions. Interview croisée de José Halloy et Nicolas Nova par Alexandre Monnin », document en ligne https://www.ritimo.org/Au-dela-du-low-tech-technologies-zombies-soutenabilite-et-inventions

MONNIN Alexandre (2022). Il nous faut développer un art de la fermeture, Socialter, 2022/2 (N° 50), p. 36-39. URL : https://www-cairn-info.srvext.uco.fr/magazine- socialter-2022-2-page-36.htm

MONNIN Alexandre (2023). Politiser le renoncement, Editions Divergences.

PARASIE, S. et SHULZ, S. (2024). Le numérique au service de la transition écologique ? Un panorama des recherches en sciences sociales. Réseaux, N° 244(2), 11-45. https://doi-org.srvext.uco.fr/10.3917/res.244.0011.

RENOUARD Cécile, BEAU Rémi, GOUPIL Christophe et KŒNIG Christian (sous dir.) (2020). Manuel de la grande transition, Les Liens qui libèrent

RICŒUR Paul ([1990], 2015). Soi-même comme un autre, Éditions du Seuil.

SYLVAN ROUTLEY Richard [1973] (2019). « A-t-on besoin d’une nouvelle éthique, d’une éthique environnementale ? ». Dans : Richard Sylvan Routley éd., Aux origines de l’éthique environnementale (pp. 19-55). Paris cedex 14 : Presses Universitaires de France. https://doi-org.srvext.uco.fr/10.3917/puf.routl.2019.01.0019

Organisation scientifique

La réponse à cet appel se fait sous forme d’une proposition livrée en fichier attaché (nom du fichier du nom de l’auteur) aux formats rtf, docx ou odt. Elle se compose de deux parties :

  • Un résumé de la communication de 4 000 signes maximum, espaces non compris ;
  • Une courte biographie du (des) auteur(s), incluant titres scientifiques, le terrain de recherche, le positionnement scientifique (la discipline dans laquelle le chercheur se situe), la section de rattachement.

Le fichier est à retourner, par courrier électronique, pour le 21 février 2025, à thomas.hoang@uco.fr et mprodho2@uco.fr . Un accusé de réception par mail sera renvoyé.

Calendrier prévisionnel

  • 21 février 2025 : date de clôture de la réception des propositions ;
  • 28 mars 2025 : avis aux auteurs de leur proposition d’article ;
  • 6 juin 2025 : date de clôture de remise des articles pour expertise en double aveugle ;
  • 15 juillet 2025 : premier retour aux auteurs de leur article ;
  • 1er octobre 2025 : date de clôture des articles « bon à tirer » (BAT) ;
  • Novembre 2025 : sortie du numéro.

Modalités de sélection

Le comité de rédaction se réunira pour la sélection des résumés.

L’article complet devra être mis en page selon la feuille de style qui accompagnera la réponse du comité (maximum 35 000 signes : espaces, notes, figures, résumés, textes compris). Il devra être envoyé par courrier électronique en deux versions : l’une entièrement anonyme et l’autre nominative.

Le comité de rédaction organisera une lecture en double aveugle des articles par un comité scientifique et enverra les recommandations aux auteurs.

Contact : thomas.hoang@uco.fr et mprodho2@uco.fr
Interfaces Numériques est une revue scientifique reconnue revue qualifiante en Sciences de l’Information et de la Communication sous la direction Nicole Pignier et de Benoît DrouillaT.
Présentation de la revue classée par l’HCERES (Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur) : https://www.unilim.fr/interfaces-numeriques/

Notes

1Cet appel à articles fait suite à la journée d’étude du 19 juin 2024 du même nom : « Quelle juste place du numérique dans nos sociétés actuelles, et à venir, sous l’angle de l’éthique de l’environnement ? », organisée par l’équipe du projet de recherche “Communication et médiation en écologie numérique (COMEEN)”, du Centre Humanités et Sociétés, Université catholique de l’Ouest.

2Site arcep.fr : https://www.arcep.fr/cartes-et-donnees/nos-publications-chiffrees/barometre-du-numerique/le-barometre-du-numerique-edition-2023.html (dernière consultation le 17 décembre 2024).

3https://institutnr.org/

4Le texte qui sert de « cadre de référence » est intitulé « Pour un numérique d’intérêt général », rédigé par Arnaud Lévy, co-fondateur de la coopérative Noesya. https://www.communication- democratie.org/fr/publications/2023-07-04-pour-un-numerique-dinteret-general/

5Nous soulignons le terme « juste » dans l’extrait.

6Alexandre Monnin identifie par exemple deux postures extrêmes, diamétralement opposées dans le domaine écologique : « une rupture immédiate et brutale des dépendances vis-à-vis de la Technosphère et le business as usual, l’inaction synonyme d’aggravation du péril anthropocénique » (Monnin, 2023, p. 21)

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