Jouer est reconnu comme une activité qui peut, selon les jeux, concourir au développement de l’individu et à la préservation de sa santé (Nijhof et al., 2018). Le jeu est actuellement présent dans de nombreux domaines tels que la prévention, l’éducation thérapeutique, la médiation ou la remédiation. Les contextes d’utilisation du jeu varient grandement, allant du jeu utilisé comme outil d’apprentissage et de rééducation au jeu support utilisé pour soutenir le lien et la communication entre le patient et le thérapeute. Les jeux vidéo ont notamment été très utilisés ces dernières années dans le cadre du soin. Les résultats des études évaluant l’efficacité de jeux numériques à visée thérapeutique sont prometteurs. Plusieurs méta-analyses (Grynszpan et al., 2014) mettent en avant l’efficacité de ces jeux dans la remédiation de domaines variés comme le langage ou les habiletés sociales. Une possible explication neuronale à ces bénéfices serait que leur usage peut stimuler l’activité électrique du cerveau en lien avec la mémoire, les émotions et la concentration : des fonctions cognitives fondamentales à tout processus d’apprentissage (Mondéjar et al., 2019). La question de considérer les jeux vidéo comme outils de soin est soulevée à travers le monde. Le jeu sérieux EndeavorRX (Kollins et al., 2020), développé aux États-Unis par Akili Interactive Labs, constitue un bon exemple d’application thérapeutique dans le cadre des troubles neurodéveloppementaux, puisqu’il a même été agréé traitement thérapeutique du TDAH (remboursé sur prescription médicale) par la Food and Drug Administration en 2020. En Allemagne, l’Institut fédéral des médicaments et des dispositifs médicaux a mis en place une procédure afin d’évaluer les applications numériques de santé (https://www.bfarm.de/EN/MedicalDevices/DiGA/_node.html). Depuis décembre 2019, la loi sur les soins de santé numériques a introduit la prescription d’applications qui sont remboursées par les assureurs maladie. En France, plusieurs jeux sérieux sont déjà reconnus comme des dispositifs médicaux (c’est le cas par exemple du jeu Mila Learn sorti en 2021, https://www.mila-learn.com). En 2020, le gouvernement a mis en place le Living et Learning Lab Neurodéveloppement (https://www.lillabneurodev.fr) visant notamment à évaluer l’impact des jeux sérieux destinés aux personnes avec trouble du neurodéveloppement. Depuis février 2022, le jeu Odysight (Brucker et al., 2019) bénéficie d’un remboursement par la sécurité sociale dans le cadre de l’article 51 sur l’innovation organisationnelle en santé, ce qui pourrait ouvrir la porte à un remboursement de droit commun.
Malgré cet engouement pour le jeu vidéo utilisé dans le cadre du soin, encore très peu d’études s’intéressent au contexte d’utilisation de ces jeux et à la façon dont ils sont construits. Ce dossier thématique vise à réunir des contributions s’intéressant à la question du jeu numérique comme objet de soin, c’est-à-dire les jeux numériques ayant un objectif thérapeutique et destinés aux patients. Le but de ce dossier est de discuter l’apport spécifique du jeu numérique, mais également ses limites, dans la prise en charge médicale de patients, quel que soit l’âge ou la pathologie étudiée. Il s’articulera autour de deux axes majeurs.
Axes
Usages thérapeutiques des jeux vidéo et impacts sur les comportements du joueur
Le premier axe s’intéressera principalement au contexte d’usage des jeux vidéo en situation de soin ainsi qu’aux comportements du joueur générés dans ce cadre. L’utilisation d’un jeu numérique permet de soutenir la motivation et l’engagement (Gelineau et al., 2021). Le patient est alors plus impliqué et participant, ce qui se trouve être particulièrement adapté aux situations de rééducation ayant pour caractéristique d’être longues et répétitives (Ronimus et al., 2019). Avec une génération d’enfants qui maîtrisent les supports informatisés et peuvent s’en servir de manière autonome, les jeux vidéo offrent par ailleurs une grande souplesse d’utilisation, que ce soit en termes de lieu ou d’horaire. Ceci ouvre la porte à des entraînements à domicile sans supervision directe donnant la possibilité de proposer des entraînements ciblés, répétés et fréquents (Ronimus et al., 2019). L’utilisation de jeux vidéo grand public est également possible dans le domaine de la santé (Kato, 2010). L’objectif est alors de s’appuyer sur les caractéristiques intrinsèques à la situation créée par le jeu vidéo. Le jeu peut ainsi être utilisé pour ses capacités d’immersion et de captation de l’attention qui permettent par exemple à des enfants cancéreux de détourner leur attention des effets secondaires provoqués par la chimiothérapie (Kato, 2010). Il peut également être utilisé comme support de symbolisation et de subjectivation au sein de groupes thérapeutiques (Gillet & Jung, 2019). Enfin, le jeu vidéo est utilisé pour soutenir la création de l’alliance thérapeutique entre patient et thérapeute (Leroux, 2009), favoriser les interactions entre eux (Duris, 2022), ou encore pour permettre au thérapeute d’en connaître davantage sur le fonctionnement psychique du patient (Berthier, 2019). La présentation de méthodologies d’évaluation des comportements du joueur, et notamment l’évaluation du transfert de ces comportements induits dans le jeu à la vie courante, sera particulièrement appréciée.
Méthodologie de conception de jeux vidéo à visée thérapeutique
Le deuxième axe de ce dossier s’intéresse aux méthodes spécifiques de création de ces jeux numériques en lien avec les patients, leurs familles et les professionnels de santé. L’intérêt de la santé pour les jeux numériques a effectivement amené les créateurs de jeux à se poser de nouvelles questions sur le plan du design de ces jeux afin de favoriser l’accessibilité et la compréhension des mécaniques de jeu et de soutenir la motivation sans que pour autant l’objectif lié au soin ne soit oublié. Les jeux sérieux notamment sont des jeux vidéo qui, au-delà de leur aspect ludique, possèdent un objectif d’apprentissage clair dans le domaine éducatif ou thérapeutique (Mondéjar et al., 2019). Selon Robert et Ayeri-Martin (p. 72 ; 2012), « les jeux sérieux sont les plus complexes à développer, car ils exigent une bonne connaissance de la pédagogie, de la formation et de la conception de jeux vidéo ». Que penser alors de la complexité de la création de jeux dans le domaine de la santé, qui ajoutent également la nécessité d’une bonne connaissance de la pathologie, des limitations auxquelles peuvent être confrontées les malades, mais également une connaissance du cadre de soin et des pratiques cliniques ? Plusieurs auteurs ont tenté de répertorier les caractéristiques que doit présenter ce type de jeux (Grossard et al., 2023), mais la littérature manque concernant l’impact des choix en design sur le comportement du joueur dans le cadre thérapeutique et rééducatif. Actuellement, les choix en termes de design de jeu (game design) sont généralement pris en lien avec les professionnels de santé. Cependant, plusieurs études soutiennent l’idée d’impliquer les utilisateurs et leur famille dès l’étape de la conception du jeu (Carlier et al., 2020) dans une logique de design participatif ou de co-design. Au même titre que les autres acteurs impliqués dans le projet, les usagers sont amenés à participer à la conception du dispositif et de son contenu, mais aussi à des études d’usage afin de s’assurer que le jeu vidéo est correctement conçu et adapté aux différents besoins. Par exemple, certains jeux vidéo requièrent des compétences motrices qui peuvent être difficiles à mobiliser pour les utilisateurs (Quezada et al. 2017). De plus, inclure à la fois les professionnels et les utilisateurs permet de prendre en compte leurs deux points de vue qui se concentrent souvent sur des aspects différents du jeu ; les professionnels sont attachés aux objectifs et au contenu du jeu alors que les utilisateurs recherchent également la personnalisation et la gamification (Tang et al. 2019). L’utilisation d’une approche de conception multidisciplinaire et centrée sur le patient permet le décloisonnement des savoirs, et peut garantir que les besoins du patient et des professionnels de santé sont satisfaits (Carlier, 2020), ce qui est un point important pour assurer la mise en œuvre réussie d’un nouvel outil dans le cadre d’un établissement de santé.
Les contributions portant sur les méthodologies de co-design des jeux numériques à visée thérapeutique ainsi que sur les impacts des choix de design de jeu sur la perception et l’utilisation du jeu vidéo dans le cadre thérapeutique sont bienvenues dans cet axe.
Pour soumettre un article
Les auteur·es désirant répondre à cet appel doivent envoyer aux responsables du dossier un résumé de leur proposition d’article (facultatif, mais recommandé). Ce résumé, à envoyer avant le 30 novembre 2023, ne doit pas excéder 5 000 signes (espaces compris).
Les articles doivent être envoyés aux responsables du dossier au plus tard le 30 avril 2024 ainsi que les éléments demandés en fichier joint (le nom du fichier est le nom de l’auteur) au format « .doc ». Ce fichier est composé des éléments suivants :
- Le titre de l’article et le nom du (des) auteur(s) avec leur rattachement institutionnel et contact courriel.
- Un résumé de 1 000 signes, espaces compris, en français et en anglais.
- Une liste de mots-clefs (5 à 8) en français et en anglais.
- L’article, d’une longueur de 25 000 à 50 000 signes, espaces compris, devra respecter les indications aux auteurs. Une autre version de l’article, entièrement anonyme (références, nom de l’auteur, etc.), devra également être jointe pour évaluation.
- Une courte biographie du (des) auteur·es.
Ces documents sont à envoyer par courrier électronique à Stacie Petruzzellis (stacie.petruzzellis@univ-lorraine.fr) et Charline Grossard (charline.grossard@aphp.fr).
Calendrier
- 30 novembre 2023 : date limite pour soumettre une proposition (facultatif, mais recommandé).
- Décembre 2023-Janvier 2024 : retour sur les résumés.
- 30 avril 2024 : date limite de réception des articles.
- Juillet-septembre 2024 : retour des avis après expertise en double aveugle.
- 15 octobre-30 novembre 2024 : date limite de remise des articles définitifs (selon la date de réceptions des avis).
- Novembre 2024-Janvier 2025 : allers-retours de corrections avec les auteur·es.
- Février/mars 2025 : relectures par les responsables de la revue et dernières modifications des textes.
Bibliographie
Les utilisateurs des institutions qui sont abonnées à un des programmes freemium d’OpenEdition peuvent télécharger les références bibliographiques pour lequelles Bilbo a trouvé un DOI.
BARTHIER, B. (2019). Minecraft, le jeu vidéo populaire devenu médiateur thérapeutique. In M. Haza (dir.), Médiations numériques : jeux vidéo et jeux de transfert (p. 113-136). Erès.
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BRUCKER, J., BATHIA, V., SAHEL, J. A., GIRMENS, J. F., et MOHAND-SAID, S. (2019). Odysight : a mobile medical application designed for remote monitoring – a prospective study comparison with standard clinical eye tests. Ophthalmology and therapy, 8(3), 461-476.
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Mots-clés
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