La santé est définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme « un état de bien-être physique, mental et social complet et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » (OMS, 1946). Cette définition souligne les interactions de toute une série d’éléments autres que physiologiques pour concourir à un « état de bien-être physique, mental et social ». La complexité se situe alors au niveau de ces interactions, et ce, tant au niveau individuel que collectif, au niveau des organisations que de la société tout entière, etc. Ainsi, la santé n’est plus seulement une affaire individuelle mais aussi une préoccupation collective. Ce rapport de force individuel/collectif de la santé est particulièrement manifeste à l’intersection de deux approches : celle de l’espace public (Contandriopoulos, Denis, et Langley, 2004 ; Habermas, 1962 ; Miège, 2010 ; Romeyer, 2011) et celle de la sphère organisationnelle (Apker, 2012 ; Bonneville, 2003 ; Carré et Lacroix, 2001 ; Cherba et Vásquez, 2014 ; Cordelier, 2013, 2019 ; Harrison et Williams, 2016 ; Mayère, 2013 ; Zook, 1994). Ici, la santé invoque nécessairement des questions de gouvernance et de citoyenneté, de politique et d’économie, d’innovation et de surveillance, de rôle et de responsabilité.Cette imbrication complexe de la santé, de l’espace public et de la sphère organisationnelle est mise en évidence en période de grandes crises sanitaires et d’épidémies, dont l’actuelle pandémie du COVID-19 est une des manifestations les plus entropiques. Il faut noter qu’au XVIIIe siècle, épidémie et pandémie étaient en français synonymes. Ce n’est que plus récemment que le terme d’épidémie est requalifié en pandémie lorsqu’elle s’étend à toute la population d’un continent. Pour l’OMS ce terme ne s’applique qu’en « cas de propagation mondiale d’une nouvelle maladie » (OMS, 2010). Confrontée à des défis épidémiologiques, économiques, émotionnels (Dujardin et Lépine, 2018), la santé en situation de pandémie révèle des failles précédemment cachées, tout comme elle est au centre d’innovations et d’expérimentations inédites. Ce sont à la fois les processus de publicisation et les pratiques organisationnelles des sociétés tout entières qui sont bousculées.
Bien évidemment les premiers scientifiques à être saisis de la question en situation de crises sanitaires et à qui l’on demande des solutions sont les spécialistes de médecine, de virologie, d’épidémiologie, etc. Pour autant, le choc provoqué par les situations de pandémie et les mesures qui accompagnent ces situations d’exception doivent être l’occasion pour les sciences humaines et sociales de s’exprimer, notamment, en ce qui nous concerne, pour les experts en matière de communication. Les mesures de distanciation, de confinement, le télétravail, le chômage partiel, la fermeture des frontières n’ont pas seulement remis en cause les fondements de la mondialisation, des échanges commerciaux et la structuration de l’économie mondiale. Ces mesures inédites ont aussi interrogé profondément une série de rapports tels que : impératifs sanitaires / priorités économiques ; valeurs, décisions et actions individuelles / collectives ; centralisation de la décision et de la responsabilité / délégation aux états ou collectivités. Cela a également fait émerger ou accéléré certaines pratiques de travail, de consommation, de consommation culturelle en lien avec les techniques d’information et communication.
Axe 1 : Les objets de santé
Axe 2 : Les rapports individuels /collectifs
Une pandémie mettra en relief les tensions inhérentes entre l’individu et le collectif. Par exemple, alors que de plus en plus d’individus se retrouvent à travailler à domicile, la notion même de collectif de travail devient floue. La démarcation entre vie privée et vie publique s’estompe (Cordelier et Breduillieard, 2012), car les pratiques de visioconférence rendent les espaces privés publics. Dans l’espace public, les individus entendent des messages sur l’importance de prendre soin de leur santé mentale et physique tout en étant les cibles de multiples conseils sur la manière de rester productif au travail pour les bienfaits du collectif. En d’autres termes, le bien-être se trouve sous injonctions paradoxales d’impératifs collectifs. En outre, si la pandémie est une situation globale et collective, elle est traitée individuellement par chaque État. De même, nous sommes tous enjoints de prendre des mesures individuelles de prévention mais dans le cadre d’une solidarité collective. Dans les organisations de santé (Zoller, 2010), une pandémie exige une souplesse de réaction qui peut être entravée par une culture protocolaire de la sécurité (Faraj et Xiao, 2006 ; Vogus, Sutcliffe et Weick, 2010). Ainsi, une pandémie peut catalyser les tensions au sein des équipes interprofessionnelles où l’autorité (Benoit Barné et Fox, 2017) de la hiérarchie professionnelle (Fox et Comeau-Vallée, 2020) délimite les rôles et les responsabilités tout en mettant à nu le travail d’une importance cruciale mais souvent sous-évalué accompli par les infirmières et les aides-soignants.
Axe 3 : La construction ou la perte de sens
De nombreux aspects de ce qui est considéré comme normal sont mis en doute en temps de pandémie (Seeger et Sellnow, 2016). Le sens du travail et le sens du vivre ensemble vacillent dans l’incertitude. Quelle est la valeur du travail et celle du lieu de travail ? Comment cloisonner temps de travail et vie privée en confinement ? Afin de donner du sens (Weick, 1979) à la situation et aux décisions (Castor et Bartesaghi, 2016), les décideurs comme les médias ont fait appel à de nombreux spécialistes. Se sont alors affrontés dans l’espace public le doute scientifique et le besoin de certitude des médias, la temporalité des décisions politiques à celle de la science, etc. Tour à tour, politiciens, commentateurs et scientifiques rivalisent pour construire du sens. Le flux incessant de messages, les intérêts défendus par les uns et les autres, les modalités différentes d’expression ont provoqué finalement ambiguïté et méfiance. Si les controverses et le débat font partie de la publicisation et de la communication scientifique, elles sont contradictoires avec la quête immédiate de sens d’une part et elles renforcent le climat de défiance vis-à-vis à la fois des décideurs et des experts d’autres part. Lors d’une crise sanitaire, cette quête de sens se retrouve également au sein des organisations (Weick, 1995 ; Weick et Sutcliffe, 2015 ; Weick, Sutcliffe, et Obstfeld, 2005) où les routines et les points de repères habituels peuvent perdre leur sens.