Design, Arts, Medias

Design et arts plastiques : points de convergence

Mis en ligne le

Réponse attendue pour le 17/06/2024

Type de réponse Résumé

Type de contribution attendue Article

Nom de la publication Design, Arts, Medias

Coordinateurs

  • Aurélie Michel , Centre de recherche sur les médiations, Université de Lorraine

1. Résumé

Pour ce dossier thématique, nous avons choisi d’interroger les liens entre le design et les arts plastiques. Si le risque est d’aborder une question largement explorée, il s’agira ici d’identifier les apports d’un champ à un autre et de dégager des problématiques, des modes opératoires, des process, qui créent des espaces de dialogue(s) entre deux domaines, a priori divergents et notamment dans leurs pratiques et méthodes.

Qu’est-ce-que le design fait à l’art et l’art au design ? Cette question prend tout son sens, si l’on considère la naissance et l’évolution de ces disciplines et leur inscription dans un champ plus global : celui de l’art et de la création. Nous souhaitons donc ici apporter un éclairage sur cette question des convergences et des apports réciproques de deux disciplines, qui poursuivent des objectifs certes différents, mais dont les recoupements sont fréquemment interrogés aussi bien à l’aune de leur émergence (historique) que de leur situation actuelle (ancrage dans la création contemporaine).

2. La thématique du dossier

Comme le souligne Marie Pok1 l’expression « design-art2 », qui juxtapose deux termes désignant des disciplines différentes, perturbe et dérange. La démarche qui consiste à accoler ces deux mots ne fait que renforcer l’incompréhension des enjeux qu’elle recouvre. Car le dessein de ces croisements n’est pas évident à saisir. On parle également de « design de cimaise » pour qualifier ce processus, qui consiste à brouiller les frontières entre art et design. Mais quel en est le but ? Ces deux domaines, même s’ils s’opposent notamment sur le terrain de la finalité, adoptent, à certains moments, des réflexions et des conceptions, qui sont proches et qui contribuent à interroger leurs démarches respectives.

 

Si la question de la fonction, du ou des usages, de l’utilité est fréquemment mise en avant pour différencier les pratiques du design et des arts plastiques, elle est aussi ce qui peut les rapprocher. Dans l’ouvrage Design, carrefour des arts, publié en 2003, Raymond Guidot explique cet état de jonction du design défini comme un lieu de croisements inscrit « dans une pluralité de cheminements créatifs3 ». Il y est aussi question de la terminologie du mot « design », mêlant le projet et la formalisation de celui-ci à travers l’outil du dessin. S’il nous faut nécessairement passer par ce point terminologique concernant le « design », le terme « arts plastiques » peut, lui aussi, être questionné. Dans son ouvrage Arts Plastiques, archéologie d’une notion, Dominique château explique que la dénomination apparaît au XIXe siècle, mais que sa « formation sémantique4 » est bien plus ancienne. Il fait référence non seulement à la question de la matière, mais aussi à celle de la classification des procédés. La « plasticité », un terme qui fait écho aux pratiques du modelage et à certaines démarches adoptées dans le domaine de la sculpture, peut convoquer un rapprochement entre le design et les arts plastiques, plus particulièrement par le biais des matériaux.

Nous proposerons, ici, différentes approches pour aborder cette question des points de convergence entre le design et les arts plastiques : tout d’abord à travers les modes de fabrication de l’objet et la mise au point de certaines méthodes pouvant être proches. Ensuite, la question du statut de l’objet interrogé par la pratique du détournement ou de l’appropriation pourra également être mobilisée. Enfin, l’idée d’espace habitable ou d’environnement5 permettra de mettre en avant la question des échelles et du glissement qui peut être opéré entre l’échelle du corps et celui de l’architecture, renouant avec l’idée d’un « art total ».

3. Les axes du dossier

Axe 1. La fabrique de l’objet : questionner les processus

 

Peut-on comparer la fabrique du designer et celle de l’artiste ? Des similitudes existent-elles dans les modes d’appropriation de certains savoir-faire ou dans le choix des modes de production ? L’existence depuis plusieurs années de petites séries élaborées par les designers, avec des démarches moins contraintes, interroge le statut de l’objet et la manière dont la fabrication de ce dernier est pensée. Les puristes identifient cette démarche à une forme d’opportunisme, qui consiste à aligner les productions sur le marché de l’art afin d’en tirer un plus grand bénéfice, mais on peut aussi se demander si cette volonté de renouer avec des processus de fabrication moins importants ne permet pas de questionner les fondements de la production et la manière de consommer un objet.

 

En effet, si l’on considère certains mouvements et démarches marquantes dans l’histoire du design, qui questionnent déjà ses modes de production, on peut mentionner le travail de Gaetano Pesce, avec ses « séries différenciées », initiées par la conception des Pratt Chairs (1983 à 1986, Pratt Institute, New York) qui se concentre davantage sur le processus de fabrication que sur l’objet fini et qui introduit une part de hasard dans la chaîne de production. À ce propos, Céline Picart emploie les termes de « picturalité » et « plasticité » qui « confère[ent] à ces objets une dimension artistique évidente6 ». Cet espace de liberté rapproche la manière de faire du designer de celle de l’artiste, dans le sens où ce n’est pas l’habileté du geste qui prime, mais bien l’action de produire, le « faire » qui est au centre de la démarche choisie. Au-delà de cette démarche, Gaetano Pesce fournit un apport essentiel dans la pratique du design : réintroduire l’idée d’une différenciation au sein de la production industrielle. D’autres pratiques, plus récentes, peuvent être citées, en particulier celles qui marquent le design hollandais et qu’on retrouve dans le travail de Maarten Baas, dans ses séries Smoke (2002) ou Clay (2006). Il est également possible dans cet axe d’aborder cette question fondamentale posée par l’apparition des techniques de fabrication via le numérique, comme le prototypage rapide, ayant permis de développer un nouveau vocabulaire de formes qui, en empruntant les voies de l’organique confine au merveilleux7.

 

Axe 2. Dessein(s) et statut de l’objet : faire appel au détournement

Historiquement, les rapprochements entre art et design ont été manifestes à plusieurs reprises, comme c’est le cas dans les années 60, avec les acteurs du design radical en Italie et des groupes tels qu’Archizoom Associati ou Superstudio. Les mouvements critiques inhérents au champ de l’art, qui remettent en cause différents paramètres au sein de la création, allant des outils au(x) lieu(x) de production mettent également en tension les différentes pratiques et tentent une déconstruction des catégories : « L’anticonformisme des mouvements artistiques (pop art, minimal art, arte povera, antiform, art conceptuel, art sociologique, land art, body art, …) qui s’exprime au long des années 1960 et jusqu’au début de la décennie suivante sert, à certains moments, de véritable passerelle entre art et design contestataire, d’autant plus que les artistes eux-mêmes s’installent, à l’occasion, en créateurs d’objets utilitaires8. ». L’historien Raymond Guidot évoque également l’impact du « nouveau design », dans les années 80, qui se libère de certains préceptes du design industriel ou en repense différemment les modalités et tend vers un imaginaire, jusqu’ici évacué. En outre, l’approche du designer autrichien Robert Stadler nous semble en ce sens intéressante, car elle dépasse le clivage entre art et design, notamment dans l’exposition que ce dernier a proposée avec l’appui d’Alexis Vaillant à la Galerie Poirel de Nancy, du 13 juin au 12 octobre 2014. Intitulée QUIZ, elle s’intéresse aux objets qui « camouflent et escamotent leur fonctionnalité », ces « objets multi-strates, dont on découvre les caractéristiques seulement progressivement9 ».
Ces « choses » (Robert Stadler préfère ce terme à celui d’« objets ») peuvent relever aussi bien du design que des arts plastiques. C’est leur caractère ambigu qui prime ici dans les choix effectués. Au-delà de cette ambivalence qui entraîne une perte de repères, la question du détournement est un des biais (au sens de « détour », « subterfuge ») qui questionne le statut de l’objet et le fait passer à l’« état de chose10 ». Cette question du détournement est centrale dans la pratique des arts, puisqu’elle est notamment au cœur de mouvements tels que le surréalisme ou le dadaïsme. La mise en lumière de l’œuvre de Meret Oppenheim, au-delà de sa pièce la plus connue du Déjeuner en fourrure (1936), ménage une place de choix à cette question. Les œuvres plus récentes de Philippe Droguet ou Jana Sterbak prenant appui sur le détournement des matériaux vont également dans ce sens.

Axe 3. La question des échelles : du corps à l’espace habitable

Le dernier axe propose de mettre en tension les pratiques du design et des arts plastiques, en abordant d’une part la question des échelles et d’autre part celle d’un passage entre les proportions du corps et de l’espace habitable. Si dans le domaine des arts plastiques, les distorsions d’échelles sont assez fréquentes, faisant ainsi passer un objet domestique à l’état de sculpture monumentale (Claes Oldenburg, Piero Gilardi, Lilian Bourgeat, Matthieu Mercier) ou, à l’inverse, jouant sur la miniaturisation des éléments (Sébastien Gouju) ; la question d’une transformation de l’échelle doit intégrer la conservation d’une fonction visible ou dissimulée (Studio 65, Gruppo Strum).

De même, si on considère la question de l’environnement, que le corps vient parcourir, le design peut devenir un modèle pour la création de ce Camille Morineau nomme un « art habitable11 ». Ces démarches peuvent être mises en lien avec les propositions singulières de Verner Panton et notamment son Phantasy landscape (1970) réalisé pour Visiona II ou l’approche d’Olivier Mourgue pour la 3e édition (1972) de ce même projet initié par la firme Bayer pour promouvoir l’utilisation de la mousse polyuréthane.

4. Modalités des contributions :

  • Les propositions sont à retourner pour le 17 juin 2024 à l’adresse suivante : aurelie.michel@univ-lorraine.fr
  • Vous fournirez un résumé (entre 2000 et 3000 signes) synthétisant le contenu de votre proposition d’article. Merci de joindre dans votre document une courte bibliographie, ainsi qu’une biographie de 4 lignes environ.
  • Pour l’envoi des articles : il vous faudra respecter scrupuleusement les normes de mise en forme précisées dans les consignes aux auteurs. Les articles doivent présenter des recherches et analyses inédites, claires et documentées.

 

Calendrier :

  • 17 juin : envoi des propositions
  • 17 juillet : retour sur l’acceptation ou non de la proposition
  • 1er septembre : envoi des articles à la coordinatrice du numéro
  • 1er octobre : retour des avis aux auteurs après expertise
  • 2 novembre : retour définitif des articles corrigés par les auteurs
  • 18 novembre : publication en ligne

 

Bibliographie :

  •   BARRAL, Jacquie, GILLES, Joël (dir.), Dessein dessin design, Saint Etienne, Publications de l’université de Saint Etienne, 2007.
  • BAUDRILLARD, Jean, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968.
  •   BEAURIN Vincent, DOMERCQ Fabrice, MENDINI Alessandro, Fragilisme, Paris, Fondation Cartier pour l’Art Contemporain, 2002.
  •   BRAYER, Marie-Ange, DANCER-MOURÈS, Martine (dirs), Design et merveilleux : de la nature de l’ornement, Orléans, HYX/MAMC+, 2019.
  •   BUSINE, Laurent, GIELEN, Denis (dirs), Le fabuleux destin du quotidien, Boussu, MAC’S/Musée des Arts Contemporains au Grand Hornu, 2010.
  •   COLIN, Christine, TAMLYN, Diana, Design & imitations, Paris, Industries françaises de l’Ameublement, 2005.
  • COLIN, Christine, Question(s) design, Paris, Flammarion, 2010.
  •   CHATEAU, Dominique, Arts Plastiques. Archéologie d’une notion, Paris, 1999. Jacqueline Chambon, 1999.
  •   DAGOGNET, François, Pour l’art d’aujourd’hui. De l’objet de l’art à l’art de l’objet, Paris, Dis-Voir, 2012.
  •   FLAMAND, Brigitte (dir.), Le design. Essais sur des théories et des pratiques, Paris, Éditions du Regard, 2006.
  •   FRANCASTEL, Pierre, Art et techniques aux XIXe et XXe siècles, Paris, TEL – Gallimard, 1991.
  •   GAILLEMIN, Jean-Louis (dir.), Design contre design : deux siècles de création, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 2007
  • GUIDOT, Raymond (dir.), Design, carrefour des Arts, Paris, Flammarion, 2003.
  •   GUIDOT, Raymond, « Des arts plastiques aux arts appliqués », Actualités des arts plastiques, n°85, 2e trimestre 1992, Paris, Centre de documentation pédagogique.
  •   PÉCOIL, Vincent, VADROT, Olivier (dirs), The Freak Show, Paris, Les Presses du Réel, 2007.
  •   POLLET, Juliette, Le grand détournement, journal de l’exposition, Paris, Centre National des Arts Plastiques, 2017.
  •   SOUBEN Véronique, STRATMANN Veit, « ART ET DESIGN, vers un même dessein ? », in Revue Laura N°6, octobre 2008, p. 2.
  • STADLER, Robert, VAILLANT, Alexis (dirs), Quiz : sur une idée de Robert Stadler, Paris, Manuella Éditions, 2014.
  •   WILLIAMS, Gareth (dir.), Telling Tales : Fantasy and Fear in Contemporary Design, Londres, Victoria & Albert Museum, 2009.

Notes

(1) Marie Pok est journaliste indépendante, directrice du CID – Centre d’Innovation et de Design au Grand Hornu. Elle a rédigé plusieurs articles dans des revues, catalogues et ouvrages collectifs. Elle est également commissaire indépendante.

(2) POK, Marie, « Design et art : un mariage arrangé », in BUSINE, Laurent et GIELEN, Denis (dirs.), Le fabuleux destin du quotidien, Boussu, MAC’S/Musée des Arts Contemporains au Grand Hornu, 2010, p. 205

(3)GUIDOT, Raymond (dir.), Design, carrefour des arts, Paris, Flammarion, 2003, 8

(4) CHATEAU, Dominique, Arts plastiques, archéologie d’une notion, Paris, Jacqueline Chambon, p. 7.

(5) Dans le domaine des arts plastiques, la notion d’environnement peut être décrite de la manière suivante : une production en prise direct avec l’espace, voire réalisée pour cet espace (in situ) et qui s’origine dans des mouvements tels que le land art ou l’arte povera.

(6) PICART, Céline, « Gaetano Pesce, designer-artisan ? », Figures de l’art, 7, Pau, Presses Universitaires de Pau, 2004, p. 408.

(7) Voir à ce sujet BRAYER, Marie-Ange, DANCER-MOURÈS, Martine (dirs), Design et merveilleux : de la nature de l’ornement, Orléans, HYX/MAMC+, 2019.

(8) GUIDOT, Raymond (dir.), cit., p.45

(9) STADLER, Robert, VAILLANT, Alexis (dirs), Quiz : sur une idée de Robert Stadler, Paris, Manuella Éditions, 2014, p. 19

(10) Terme utilisé par Robert Stadler, , p. 24

(11) MORINEAU Camille, « Artistes et designers contemporains, la fin des rivalités », in GUIDOT Raymond, cit., p. 261. Cette même idée est reprise dans le texte « Design & art contemporain », rédigé avec Stéphane Calais pour le catalogue d’exposition Design contre design

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