Sciences du Design lance un appel à articles sur le thème « Design & médium(s) » pour son numéro 19 à paraître au printemps 2024, sous la direction de Estelle Chaillat (ENS Paris Saclay, Télécom Paris), Ambre Charpier (Panthéon Sorbonne Paris 1, Télécom Paris), Anitra Lourie (Panthéon Sorbonne Paris 1, Télécom Paris), Céline Monvoisin (UQAM, Montréal), Justine Péneau (Montpellier) et Dorian Reunkrilerk (Ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse, Paris).
Ce numéro thématique s’intéresse à la relation intrinsèque entre les pratiques de design et les médiums qu’elles accueillent, combinent et produisent, et qui réciproquement, ménagent certains espaces de conception.
Observation et appareil théorique
Les marqueurs et post-it du co-design, le corps du.de la designer qui essaie un prototype, les calques de l’architecte qui se superposent sous l’effet du critérium, les textures d’une laine ennoblie du.de la textilien.ne, l’écran sérigraphique ou numérique du.de la graphiste, les indices contextuels déchiffrés par le.la paysagiste… Autant d’exemples qui illustrent la polymorphie du vocable « médium » et suggèrent l’hétérogénéité des approches théoriques et méthodologiques qui tentent de le circonscrire (Kramer, 2015). À la fois environnement perceptif (Benjamin, 1968), milieu sensible (Locke, 1735), appareil d’enregistrement technique et culturel (Kittler, 1986), ressource sémiotique (Bezemer & Kress, 2015), cadre de l’interaction (Latour, 1994) ou espace poétique de représentation (Gentès, 2017), ces perspectives divergentes insistent pourtant toutes sur les natures et modalités multiples du médium mais aussi sur son rôle transformatif de nos expériences et des représentations sensibles du monde.
Il serait hâtif de penser la réciprocité relationnelle entre le.la praticien.ne, l’acte de design et le médium comme un simple effet miroir. On retiendra que le préfixe re- de la réciprocité appelle autant le contraire, l’itération que l’augmentation. En cela, la réciprocité se nourrit de la puissance de chaque partie dans un échange fait de surprises et d’affects mutuels, de manipulations et de maîtrises progressives dans une visée de dépassement et/ou d’épuisement projectif.
Cet appel, en accord avec le postulat théorique précédent, propose de penser les pratiques de conception au prisme du médium, compris comme médiateur et transformateur. Ce numéro thématique dépasse une lecture exclusivement informationnelle du médium qui limite sa fonction à celle de support ou de véhicule de message et qui éclipserait tant sa matérialité, son affordance (Gibson, 1979) que son incorporation (Merleau-Ponty, 1945), au profit de sa fonction de représentation (Mersch, 2016). A l’inverse, l’entrelacement des multiples propriétés des médiums enrichit l’acte de conception par sa dimension phénoménologique et incarnée, conjuguant réceptions multisensorielles, compréhensions expérientielles et production multimodale, permettant aux concepteurs.trices de faire advenir des propositions formelles et symboliques nouvelles. Concepteurs.trices et médiums entretiennent ainsi un rapport dialogique de transformations réciproques : si ces médiums sont transformés par l’action du.de la designer, celui-ci est en retour transformé par ce qu’ils lui renvoient (Julien et Rosselin, 2009 ; Schön, 1983). À cet effet, le concept de médium permet une lecture des nombreuses dimensions que les formats d’inscriptions, présents dans l’activité de design, mobilisent dans cette conversation.
Approche et cadrage
Nous postulons ainsi que les pratiques de conception doivent considérer la multiplicité et la multimodalité des propriétés du médium – notamment matérielles, affectives, représentationnelles, institutionnelles, symboliques et techniques – afin d’engager un travail de sémiotisation, tant social et partagé qu’expérientiel et sensoriel, proprement générateur d’espaces de conception (Le Masson & Weil, 2016). Nous faisons alors l’hypothèse que l’approche de la matérialité dans le design (Levy, 2020 ; Beaubois, 2022 ; Graham et al., 2017 ; Henderson, 1998 ; Ingold, 2017 ; Mäkelä, 2007) et celle proposée en théorie des médias (Citton, 2017 ; Mitchell, 2008 ; Galloway, 2004 ; Hayles, 1999 ; Luhmann, 1997 ; Kittler, 1986 ; McLuhan, 1964), peuvent faire émerger une lecture théorique nouvelle prenant en compte la relation de réciprocité entre les pratiques de conception et les médiums qui les peuplent (Gentès, 2022). Nous proposons aux contributeurs et contributrices d’observer, dans une approche symétrique (Latour, 1991), l’activité de conception en tant que situation locale où se nouent des interactions entre une diversité d’acteurs.rices et de médiums, lesquelles produisent des inflexions dans l’activité même de conception, mais aussi dans les esthétiques, finalités, et éthiques qui en découlent. Cette perspective devra permettre d’observer les dynamiques réciproques entre la situation de conception et l’ensemble des éléments qui la constituent.
Nous invitons donc les auteurs et autrices à définir, interroger et enrichir cette dynamique réciproque et interdépendante entre médium et pratiques de conception à travers deux axes. Le premier s’intéresse au médium en tant qu’il façonne les dimensions phénoménologique, praxéologique, éthique, à l’œuvre dans l’activité de conception. Il s’agit de s’interroger sur le rôle et les effets produits par ces médiums sur les pratiques de conception. Symétriquement, le deuxième axe part des dimensions sociales, culturelles et politiques comme déterminant les médiums propices à une activité de conception. Il s’agit ici de prendre la pratique de design en tant que praxis favorisant ou non certaines visions du monde dans son activité dialogique avec les éléments (médiums) d’une situation.
Formats et pistes
Afin de rendre compte de la profondeur du concept de médium dans les pratiques de conception, nous invitons les auteurs et les autrices à s’appuyer sur les champs de l’art, de la théorie des médias, de l’esthétique, de la philosophie, du design, de l’anthropologie, des sciences de l’information et de la communication, etc. et encourageons vivement les collaborations entre chercheurs.euses de différents champs disciplinaires. Nous accueillons ainsi des propositions de diverses natures : empiriques, théoriques, méthodologiques, études de cas historiques, comparatives ou situées. La liste de questions suivante suggère, de façon non exhaustive, les thèmes à aborder au sein de ce numéro :
- Dialoguer : En quoi le concept médium peut-il favoriser une pratique dialoguant nécessairement avec un contexte donné, et plus encore participer à développer des contextes favorables aux pratiques du design ?
- Générer : Comment cette perspective médiatique du design permet-elle de reconsidérer tant l’activité de conception que la réception des artefacts produits, en faisant notamment de tout élément matériel l’amorce d’un rapport inventif au monde ?
- Enrichir : Comment la notion de matérialité, développée dans le champ du design depuis les années 1980 peut-elle être enrichie par la prise en compte des dimensions sociales, culturelles et politiques associées aux médiums ?
- Modéliser : Quels modèles analytiques peuvent-ils émerger d’une lecture centrée sur le concept de “médium” afin de mieux saisir les opérations à l’œuvre dans l’activité de design ?
- (Re)qualifier : En quoi la notion de médium permet-elle de regarder le design comme une activité recherchant la mise en mouvement des cultures matérielles (Malafouris, 2013 ; Ingold, 2011 ; Knappett, 2005) existantes en instituant différentes cultures de conception ? Comment la notion de médium permet-elle de requalifier les activités de design ?
- Distinguer : La notion de médium est-elle opératoire dans tous les actes de conception ? Peut-elle être une voie pour discerner les spécificités de chaque pratique de conception, que ce soit en art, en ingénierie, en design et dans d’autres domaines ? Quelles peuvent en être ses limites pour l’épistémologie du design ?
Modalités de soumission
Les auteurs et les autrices doivent soumettre un article complet (full paper) via la nouvelle plateforme éditoriale de la revue accessible à cette adresse : https://edition.uqam.ca/sciences-du-design
Un article complet comprend entre 30 000 signes (soit environ 5000 mots) et 40 000 signes (soit environ 7000 mots), hors bibliographies et notes. Merci de respecter scrupuleusement les consignes aux auteurs.
Un article complet comprend entre 30 000 signes (soit environ 5000 mots) et 40 000 signes (soit environ 7000 mots), hors bibliographies et notes. Merci de respecter scrupuleusement les consignes aux auteurs.
Calendrier
- 15 octobre 2023 : Soumission des articles complets
- 30 octobre 2023 : réponse provisoire aux auteurs.rices
- 30 janvier 2024 : réponse définitive aux auteurs.rices
- Juin 2024 : publication en ligne
Références
Beaubois, V. (2022). La Zone obscure : vers une pensée mineure du design. it : éditions.
Benjamin, W, (1968). Work of Art in the Age of Mechanical Reproduction. Dans Illuminations. (traduit par Hannah Arendt). Harcourt, Brace & World.
Bezemer, J., & Kress, G. (2015). Multimodality, learning and communication : A social semiotic frame. Routledge.
Citton, Y. (2017). Médiarchie. Média Diffusion.
Galloway, A. R. (2004). Protocol : How control exists after decentralization. MIT press.
Gentès, A. (2022). Pour une théorie « média-centrée » du design. Approches Theoriques en Information-Communication (ATIC), 4(1), 51-71.
Gentès, A.. (2017). The In-Discipline of Design : Bridging the Gap Between Humanities and Engineering. Springer.
Gibson, J. J. (1979). The Ecological Approach to Visual Perception. Taylor & Francis.
Hayles, N. K. (1999). The condition of virtuality. Dans P. Lunenfeld (dir.), The digital dialectic : New essays on new media. MIT Press
Henderson, K. (1998). The role of material objects in the design process : A comparison of two design cultures and how they contend with automation. Science, Technology, & Human Values, 23(2), 139-174.
Ingold, T. (2017). Correspondences, Knowing from the inside. Aberdeen University Press.
Ingold, T. (dir.). (2011). Redrawing anthropology : Materials, movements, lines. Ashgate Publishing, Ltd.
Julien, M. P., & Rosselin, C. (dir.). (2009). Le sujet contre les objets… tout contre : Ethnographies de cultures matérielles. CTHS.
Kittler, F. (1986). Grammophon, Film, Typewriter. Brinkman & Bose.
Knappett, C. (2005). Thinking through material culture : An interdisciplinary perspective. University of Pennsylvania Press.
Krämer, S. (2015). Medium, messenger, transmission : An approach to media philosophy. Amsterdam University Press.
Latour, B. (1994). Une sociologie sans objet ? Remarques sur l’interobjectivité. Sociologie du travail, 587-607.
Latour, B. (1991). Nous n’avons jamais été modernes, essai d’anthropologie symétrique. La Découverte.
Le Masson, P. et Weil, B. 2016. Fayol, Guillaume, Chevenard – la Science, l’Industrie et l’exploration de l’inconnu : logique et gouvernance d’une recherche conceptive.Entreprises et Histoire, (83), 79-107.
Levy, P. (2020). Artefactual emptiness : On appropriation in kansei design. Proceedings of the Kansei Engineering and Emotion Research International Conference 2020, KEER2020.
Locke, J. (1735). An Essay concerning Human Understanding… etc (Vol. 1). A. Bettesworth.
Luhmann, N. (1997). Die gesellschaft der gesellschaft (Vol. 2). Suhrkamp Verlag.
Mäkelä, M. (2007). Knowing through making : The role of the artefact in practice-led research. Knowledge, Technology & Policy, 20, 157-163.
Malafouris, L. (2013). How things shape the mind. MIT press.
McLuhan, M. (1964). Understanding media : the extensions of man. SIgnet Books.
Merleau-Ponty, M. (1945). Phénoménologie de la perception. Gallimard.
Mersch, D. (2018). Théorie des médias : une introduction (traduit par Emmanuel Alloa). Les presses du réel.
Mitchell, W. J. (2008). Addressing media. MediaTropes, 1(1), 1-18.
Schön, D. A.. (1983). The Reflective Practitioner : How Professionals Think in Action. Basic Books.
Mots-clés
- Mots-clés
- Design