Présentation
Le discours est un terme dont la notion est ambiguë puisqu’elle a plusieurs polysémies et significations. Les différents travaux qui ont été consacrés à la notion de discours seraient incapables de donner une définition commune au concept. Dans la plupart des études, le discours se rapporte à une forme langagière censée avoir un but et une stratégie. Il s’agit pour Adam (1998) d’« énoncé caractérisable certes par des propriétés textuelles mais surtout comme un acte de discours accompli dans une situation (participant, institutions, lieu et temps) » (Adam, 1998, p.23). Benveniste considère que le discours constitue « toute énonciation supposant un locuteur et un auditeur, et chez le premier, l’intention d’influencer l’autre en quelque manière » (Benveniste, 1966a, p. 242). Ainsi, un discours se caractérise par un certain nombre d’éléments propres au moment de son énonciation. Il s’agit par exemple de sa structure syntaxique qui engendre un sens et qui véhicule un message destiné à influencer. En effet, c’est le locuteur ayant une idée claire et préalable sur le rôle que son discours doit jouer, oriente ce dernier pour assurer un objectif antérieurement bien défini.
Depuis plusieurs mois, les crises (sanitaire, économique, géopolitique, …) sont à la une de l’actualité au point de faire quasiment partie de la vie quotidienne. Ces crises, quelle que soient leurs natures, impactent plus ou moins directement l’entreprise. En ces temps caractérisés par la succession de crises, la question de la communication et du discours devient une préoccupation centrale et constitue non seulement un domaine d’intérêt pour les praticiens mais aussi un terrain propice de recherche.
L’objet de ce dossier thématique est d’apporter des éclairages aux questionnements évoqués ci- après et d’ébaucher les voies diverses que pourrait emprunter une analyse du discours managérial dans un contexte de crises : (i) les pratiques discursives utilisées dans une communication de crises, (ii) les déterminants d’un discours managérial efficace en temps de crises (performativité, légitimité et sens) et leurs limites et enfin (iii) la portée stratégique du discours et sa nécessaire (dé)construction.
Les contributions à ce numéro spécial ouvert à différentes disciplines scientifiques peuvent s’inscrire dans l’un des axes ci-dessous :
Axe 1 : Les pratiques discursives dans une communication de crise
Le discours est un acte de langage spécifique émis dans un contexte particulier. Il contribue à façonner la/une réalité et à donner du sens aux actions et aux intentions. Ce discours s’appuie sur des modèles et des systèmes liés qui contribuent également à former une vision particulière de la réalité et de l’environnement dans laquelle elle se situe. Il se caractérise par une construction symbolique qui véhicule un sens et peut constituer un vecteur idéologique faisant apparaître des représentations qui réfèrent à une idéologie dominante (Heni, 2014). Pour Parker (1992), les discours sont des recueils constitués de textes « signifiants » et « le texte » désigne toute forme de supports écrits, oraux ou dessinés rendant le discours accessible aux autres (Grant et al., 2001). C’est pourquoi l’analyse de discours ouvre tout d’abord la voie aux plusieurs hypothèses théoriques et un corpus qui permet de voir l’importance des processus linguistiques mais aussi le rôle du langage dans la création de la réalité sociale (Chia, 1995). Ensuite, elle permet non seulement l’analyse d’un support de recherche constitué de plusieurs textes, mais aussi étudier leur méthode de production, de communication et leur réception par leurs destinataires (Van dijk 1997) et surtout leur articulation/confrontation avec d’autre discours.
Le discours est étroitement lié à la pratique linguistique. Puisque dans la pratique linguistique le langage reste l’instrument fondamental qui permet une conception et une production discursive. Ainsi, la production discursive tente toujours d’atteindre son objectif par l’intermédiaire de stratégie adaptée aux circonstances et aux raisons de sa production : un système idéologique et thématique et une rhétorique semblent devenir nécessaires pour qu’un discours puisse accomplir sa mission.
Voici quelques-unes des questions auxquelles cet axe propose d’apporter des éléments de réponse : Quelle structure syntaxique engendre un sens et véhicule un message destiné à influencer ? Quel ensemble d’énoncés concoure à la création d’un sens tout en disposant des figures rhétoriques et stylistiques ? quelle(s) adaptation(s) de structures et de dispositifs stylistiques dans le cadre d’un discours en contexte de crises ? Quelle interrogation systémique du discours et de ses dispositifs est nécessaire dans un contexte de crises permettant d’éviter une forme de crise de discours ?
Axe 2 : Communication de crise : facteurs, pouvoir et limites
Le discours managérial, et au-delà de sa visée performative, constitue un outil de mobilisation et de stimulation des acteurs par lequel une identification à l’organisation est facilitée et une construction de sa légitimité est ainsi permise (Wehbi Sleiman et al., 2020). Même si le lien entre identification organisationnelle et légitimité reste à préciser (Buisson, 2005), la légitimité de l’organisation s’appuie sur des représentations et passe par un processus de communication collective (Abric, 1994). Ainsi, le discours managérial joue un rôle essentiel dans un processus de légitimation discursif en véhiculant un ensemble d’idées, de valeurs, de normes et de pratiques (Héni, 2014). Certaines stratégies discursives permettent d’instituer une existence symbolique de l’organisation afin qu’elle soit acceptée et « légitimée » dans l’imaginaire social global. D’un autre côté, dans certaines périodes marquées par une crise de légitimité, sont notées une absence et voire une disparition soudaine du discours managérial. Ainsi, discours et légitimité organisationnelle sont deux notions interdépendantes et dont les liens sont complexes à étudier notamment en temps de crise.
Le différents discours (communiqués de presse, articles et publications, discours managériaux, rapports annuels…) qui tentent de commenter une crise, de l’expliquer et de présenter l’action de l’entreprise et sa logique jouent un rôle important et cherchent à avoir un pouvoir d’influence sur les représentations collectives. Cependant, cette inflation discursive rend parfois problématique la compréhension de la portée du discours et de ses différentes implications sur l’entreprise et son environnement. Autant de phénomènes empiriques révélant que le discours n’est pas neutre et que, pouvant produire des effets sur les représentations, les activités et les acteurs, doit être considéré comme l’un des objets de la stratégie d’une organisation.
Voici quelques-unes des questions auxquelles cet axe propose d’apporter des éléments de réponse : Quels sont les déterminants de la performativité du discours managérial en contexte de crise et quelle est sa capacité à contribuer à un processus de légitimation organisationnelle (interne ou vis- à-vis des parties prenantes de l’organisation) ? Dans quelle mesures le discours managérial dans une communication de crise peut-il impacter le comportement des acteurs et agir effectivement sur la réalité sociale et les représentations individuelles ou collectives ? Comment et dans quelles conditions le discours managérial en contexte de crise peut-il être porteur/créateur de sens ? Quels sens et contre-sens du discours managérial dans une communication de crise : déterminants, pouvoir et limites ?
Axe 3 : Le discours managérial comme outil stratégique de communication en temps de crise
L’intérêt au discours managérial aussi bien de la part des praticiens que des chercheurs montre non seulement la force symbolique qu’il peut avoir mais aussi son importance stratégique comme outil permettant d’agir sur la réalité sociale de l’organisation. En ce sens, le discours devient un outil stratégique aussi bien d’un point de vue managérial que d’un point de vue institutionnel (Rivière, 2006) et qui permet aux managers de « manipuler » les idées et les messages véhiculés (van Dijk, 1998) afin de légitimer des actions controversées, d’installer une croyance dans l’imaginaire des acteurs ou de renforcer leur identification à l’organisation. Autrement, le discours devient un outil stratégique, notamment en temps de crise. En effet, le caractère stratégique du discours renvoie à une double dimension : une première, délibérée visant à agir sur (ou transformer) la réalité organisationnelle et une deuxième émergente et inattendue qui serait le résultat non seulement du discours lui-même mais aussi de sa réception. Le cadre général d’analyse approprié serait alors celui d’une réalité socialement construite (Berger et Luckmann, 1966).
Voici quelques-unes des questions auxquelles cet axe propose d’apporter des éléments de réponse :
- Comment et dans quelles mesures le discours managérial peut-il être considéré comme stratégique dans une communication de crise ?
- Quel effet du discours managérial sur son environnement et le développement d’un contre-discours menant à un affrontement d’idées, de valeurs et de représentations ?
- Quid de la culture organisationnelle et plus largement la nécessaire prise en compte des dimensions culturelles dans la (dé)construction du discours managérial stratégique ?
Références bibliographiques
Abric J.C. (1994). Les représentations sociales : aspects théoriques, Dans J-C. Abric (Ed), Pratiques sociales et représentations, Paris : Presses Universitaires de France, pp. 11-36.
Adams C. A., Hill W.-Y., Roberts C.B. (1998). “Corporate social reporting practices in Western Europe :
Legitimating corporate behaviour ?”, British Accounting Review, vol. 30, n°1, pp. 1-21.
Berger P. et Luckmann T. (1966). The social construction of reality : a treatise in the sociology of knowledge, Londres, Penguin Books.
Benveniste E. (1966). « Les relations de temps dans le verbe français », dans Problèmes de linguistique générale, Tome I, Paris, Gallimard, pp. 237-250.
Buisson, M. (2005). La gestion de la légitimité organisationnelle : un outil pour faire face à la complexification de l’environnement ?. Management & Avenir, 6, 147-164.
Chia R. (1995). “From modern to post-modern organizational analysis”, Organization Studies, vol. 16 n°4
Grant D., Keenoy T.and Oswick C. (2001), “Organizational discourse : key contributions and
challenges”, International Studies of Management and Organization, vol. 31 n° 3, pp. 5-24
Héni A. (2014). Etude des procédés discursifs de légitimation mobilisés par l’Etat et une entreprise privée dans un contexte de gestion de crise – A partir du cas Deepwater Horizon au large de la Louisiane-Approche sociopolitique. Thèse de doctorat en communication publique. Québéc. Canada.
Parker I. (1992). Discourse Dynamics, Routledge, Londres
Rivière, A. (2006). Le discours organisationnel vu par les sciences de gestion : monologue, polyphonie ou cacophonie ? Entreprises et histoire, 42, 29-45.
Van Dijk T.A. (1997), “Discourse as an interaction in society”, in van Dijk, Discourse as social
interaction, pp.1-37, Sage, London.
Wehbi Sleiman, M., Aloui, A. & Baruel Bencherqui, D. (2020). Sens et performativité dans les discours de RSE. Recherches en Sciences de Gestion, 137, 369-396.
Calendrier prévisionnel
- Date limite de réception des propositions (5 pages maximum) : 1er septembre 2022
- Sélection des propositions et retour aux auteurs : 30 septembre 2022
- Soumission de l’article intégrale : 30 novembre 2022
- Avis aux auteurs : 15 janvier 2022
- Soumission de l’article révisé : 15 mars 2023
- Relecture supplémentaire et acceptation définitive : 15 mai 2023
- Soumission de la version finale : 15 juillet 2023
- Publication du numéro de la revue : Automne 2023
Les propositions de contribution (5 pages maximum) seront envoyées par mail avant le 1er septembre 2022 à l’adresse suivante : propositionmss2022@gmail.com
Règles éditoriales de la revue Management et Sciences Sociales
Mise en page :
- Mise en page (format A4) : marges (supérieures, inférieures et latérales) de 2,5,
- Longueur du texte 20 pages au maximum, y compris la bibliographie et les annexes. Le texte sera justifié (aligné à gauche et à droite),
- Caractères : Calibri (12 points), en interligne simple. Les notes de bas de page (Calibri 10 points) sont réservées aux commentaires et Elles doivent être numérotées dans l’ordre d’insertion.
Première page :
La première page, non numérotée, comprendra uniquement :
- Le titre de l’article en français (Calibri 16 gras),
- Le(s) noms(s) de(s) auteur(s) et leur affiliation : institution et éventuellement laboratoire d’accueil
(Calibri 12),
- Un CV de chacun des auteurs (200 mots maximum par auteur (Calibri 12),
- L’adresse postale et électronique, le téléphone et le fax de l’auteur à qui la correspondance doit être adressée (Calibri 10),
- Un résumé : interligne simple de maximum 200 mots indiquant la problématique, la méthodologie et les principaux résultats (Calibri 12, justifié),
- Un maximum de 5 mots clés (Calibri 12).
Intertitres :
La hiérarchie des titres ne doit pas dépasser trois niveaux :
- NIVEAU 1 : un chiffre (1. par ex.) titre en Calibri 16 gras interligne
- NIVEAU 2 : deux chiffres (1.1 par ) sous-titres en Calibri 14 gras interligne 1.
- NIVEAU 3 : trois chiffres (1.1.1 par ) sous-titres en Calibri 12 gras interligne 1.
Références bibliographiques : Seules seront citées en détail, à la suite de l’article, les références bibliographiques annoncées dans le corps de l’article, par ordre alphabétique des auteurs.
La Revue Management & Sciences Sociales est une revue classée FNEGE (rang 4)
Mots-clés
- Mots-clés
- Communication
- Crise
- Discours
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