Revue Communication & Management

Dynamiques collaboratives et aspirationnelles au sein des écosystèmes d’innovation et transformation numérique des entreprises : quels enjeux ?

Réponse attendue pour le 15/06/2025

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Avec la complexité des processus d’innovation, les entreprises, prises ici comme des « organisations humaines » au sens de (Jacot, 1991), évoluent de plus en en plus dans des écosystèmes d’innovation qu’ils soient territoriaux ou topologiques (Adner and Kapoor, 2010 ; Gawer and Cusumano, 2014 ; Ozor et al., 2024 ; Baldwin et al.,2024). Par écosystème d’innovation, nous entendons tout réseau complexe composé d’un ensemble d’acteurs interdépendants, en interactions formelles et/ou informelles et coévoluant dans un contexte stratégique, dont le but est de développer des innovations (Moore, 1993, 1996 ; Adner, 2006). Au-delà de l’hétérogénéité des acteurs et la complexité de leurs relations, l’écosystème d’innovation se caractérise par la modularité et/ou un espace d’orchestration (Autio, 2022). La modularité signifie que les actions créant les contributions complémentaires entre les acteurs sont liées mais faiblement de telle manière que le retrait de l’une d’elles ne compromettrait pas la valeur de l’ensemble. Cela suppose un espace d’orchestration qui facilite ou harmonise ces actions.

Le paradigme technologique émergent issu de la quatrième révolution industrielle met le numérique au cœur des processus d’innovation (Cannavacciuolo et al., 2023 ; Patnaik 2020). Ce dernier devient alors omniprésent et pervasif dans les différents secteurs d’activité (industrie, BTP, enseignement, santé, tourisme, …). Par ses vertus d’instantanéité, de connectivité, de rapidité calculatoire, de neutralisation des distances métriques, … le numérique contribue à asseoir des processus collaboratifs, connectifs et participatifs entre les entreprises faisant partie desdits écosystèmes. Cela sans oublier les tensions associées aux processus compétitifs, concurrentiels, voire parfois, directement conflictuels pouvant aussi se mettre en place.

La complexité de ces tensions se retrouve dans la coopétition, c’est-à-dire l’alliance stratégique entre concurrents permettant d’être à la fois en compétition sur certains projets et en même temps en coopération-collaboration sur d’autres (Ben Letaifa et Rabeau, 2012 ; Chiambaretto, Fernandez et Le Roy, 2019). Cette dynamique, bien décrite dans les travaux sur les écosystèmes (Bacon et al., 2020, mais pas que), permet aux entreprises de partager des ressources pour atteindre des objectifs communs tout en maintenant une rivalité sur d’autres fronts. D’une part, cette coopétition peut favoriser l’innovation, l’efficacité et l’efficience opérationnelle, ainsi que l’accès à de nouveaux marchés. D’autre part, elle peut aussi exiger une gestion et une communication complexes qui peuvent être sources de conflits car des informations sensibles peuvent être (in)volontairement divulguées à des partenaires, lesquels ayant des intérêts divergents. Le numérique, en utilisant les données comme principale matière première, amplifie la complexité de ces enjeux.

Par conséquent, l’engagement des acteurs dans un processus d’innovation, comme la transformation numérique mobilisant l’écosystème, dépasse une vision purement stratégique incluant la prise en compte des risques info-communicationnels pour incorporer d’autres éléments comme les attentes cherchant à réaliser les espoirs associés à des aspirations motivationnelles. Par attentes est entendue un jugement des conséquences probables d’une performance ayant des conséquences tangibles, voire mesurables (Bandura, 1977 : 21). L’aspiration est comprise comme “une source permanente d’orientation, d’efficacité personnelle, d’intérêt et de satisfaction. Sans aspiration et sans implication active dans ce qu’ils font, les personnes sont démotivées, s’ennuient et sont incertaines quant à leurs capacités” (Bandura, 1977 : 461). Dans cette perspective, les travaux de (Ballet et al., 2018 : 25-26) soulignent la forte influence des « services écosystémiques culturels » sur la construction de l’identité et des aspirations des acteurs sociaux. Celles-ci peuvent s’exercer, d’une manière interactionnelle, dans une logique multiscalaire allant de l’échelle individuelle (c’est-à-dire du point de vue du manager (Cranmer et al., 2022) à celle de l’écosystème (échelle inter-organisationnelle, (Adner et Feiller 2019)). Cela en passant par une échelle de l’entreprise.

Dans ce contexte, à l’instar d’un Pharmakon, au sens de (Stiegler, 2006), le numérique est donc à la fois poison et remède, tout dépend du « dosage ». Ainsi, restreindre sur un plan analytique l’accompagnement des processus transformatifs des entreprises à la simple lecture technologique serait limitatif à l’amplification et la réussite desdits processus. Des approches info-communicationnelles, managériales, … trouveront à cet égard tout leur sens pour implémenter les processus d’innovation au sein des entreprises. Le créatif, l’onirique, l’imaginaire, le sensible, comme traits idiosyncratiques du manager, ne sont plus considérés comme des “impédimenta” à laisser au bord de la route pour ne pas entraver la marche de la “via recta” rationalisante vers l’efficacité, la productivité et la performance (Maffesoli, 2010). De ce fait, des problématiques liées à la construction du sens, aux aspirations des acteurs, à leur engagement (Shinkle, 2012 ; Sun et al., 2020), leur enthousiasme, mais aussi leur crainte, leur hésitation, leur doute, … sont à prendre en compte pour mieux penser et humaniser les processus de transformation numérique.

En évoquant l’humain dans toute sa complexité, des auteurs comme Dominique Wolton (Wolton 2019) pense que l’interactivité (communication technique privilégiant le message), permise par l’arsenal des outils-machines-dispositifs-protocoles, n’est jamais synonyme d’intercompréhension (communication humaine privilégiant la relation). La première ne peut jamais surclasser ou remplacer la seconde, précise le même auteur. Se posent donc avec acuité les questions relatives à l’altérité, à la cohabitation, à la négociation, à la collaboration, à l’interculturalité professionnelle, … afin de stimuler les évolutions des aspirations croisées des acteurs sociaux engagés dans les processus de transformations numériques.
À cet égard, quels liens entre dynamiques collaboratives et aspirationnelles des acteurs et transformations numériques des entreprises ? Telle est l’interrogation que le présent appel à articles ambitionne d’y apporter des éléments de réponse. Cela à travers des apports théoriques (conceptuels, méthodologiques, …) et/ou empiriques (cas applicatifs multiscalaires et multisectoriels) provenant de divers champs disciplinaires (sciences de l’information et de la communication, sciences de gestion, sciences économiques,…). C’est dans ce sens que les contributions attendues peuvent s’inscrire dans l’un des 4 axes ci-après qui, nous tenons à le préciser, ne sont pas étanches les uns aux autres :

Les transformations numériques des entreprises au sein des écosystèmes par le prisme actorial

Sans prétendre à l’exhaustivité, cet axe a pour dessein d’interroger le rôle, de frein ou de moteur, du numérique dans la mise en place des processus communicationnels interacteurs, ainsi que toutes les stratégies qui leurs sont afférentes (collaboration, coopération, compétition, évitement, attentisme, …). Il s’intéresse à la dynamique des acteurs et des actions ainsi que leur coévolution. Dans une perspective plus intra-organisationnelle, cet axe interroge la manière dont ce processus, issu du jeu des acteurs, se traduit au sein des entreprises ou des organisations. Il pourrait s’agir d’interroger les liens entre le numérique et diverses problématiques : comme celle du sens et de la QVT (Qualité de Vie au Travail) au sein des différents microcosmes (Arnoux-Nicolas, 2023 : 23), ou celle qui questionne les vécus de certains acteurs dans le cadre des nouvelles formes du travail qualifiées d’alternatives, ainsi que toutes les reconfigurations organisationnelles induites (le télétravail, le coworking, le nomadisme numérique,…) (Arnoux-Nicolas, 2023 : 20, 22), ou encore celle portant sur la conduite et la gestion du changement organisationnel (qu’il soit épisodique et/ou continu-situé (Weick et al, 99 ; Orlikowski, 96 ; Suchman, 87), …

Les transformations numériques des entreprises au sein des écosystèmes par le prisme de l’instrument

L’accent est ici mis sur l’analyse de divers dispositifs et instruments numériques, qu’ils soient tangibles (appareillage, dispositifs technologiques, …) et/ou immatériels (logiciels, plate-formes collaboratives, …), ayant pour dessein d’orchestrer, faciliter, équiper, mesurer (par des indicateurs, métriques, …), … la conduite et la gestion des processus de transformation des entreprises. Cet axe est prioritairement dédié aux contributions provenant du courant des écosystèmes de plateforme et /ou “Digital business ecosystem”. Des propositions sur les plateformes digitales conceptualisées comme intermédiaires d’innovation facilitant les relations et la coévolution entre les acteurs (start-ups, entreprises, universités ou centres de recherche et organisations publiques) peuvent être éclairantes pour cet axe. En outre, des problématiques portant sur le big-data, la datavisualisation, l’intelligence artificielle, …ont pleinement leur place dans les questionnements pouvant irriguer cet axe. Il peut s’agir aussi d’interroger les pans de métiers et compétences afférents ou émergents (data scientist, architecte data, data analytics manager, …),.

Les transformations numériques des entreprises au sein des écosystèmes par le prisme du design

Il s’agit globalement dans cet axe de questionner le rôle du design, pris ici comme à la fois une « formalisation  » (design doing) et une « conceptualisation  » (design thinking) au sens de (Vial, 2015), dans la conception de diverses méthodologies afin de renforcer les dynamiques croisées entre entreprises et écosystèmes dans les processus de transformations numériques. L’analyse pourrait aussi porter sur les processus de réception, des usages, voire les mésusages, des artefacts conçus. Sur un versant processuel, les contributions attendues dans le cadre de cet axe pourraient également questionner la place des modes de faire “tâtonnants”, si chers au design (tests, prototypages, errements, controverses, itération, …), dans la conduite des processus de transformation numérique. Ainsi, la triade (essai-erreur-retour en arrière) numérique constitue un angle d’attaque pertinent permettant d’appréhender et de saisir la part de l’incertitude, de l’improvisation, de la sérendipité et de la disruptivité dans lesdits processus.

Les transformations numériques des entreprises au sein des écosystèmes par le prisme du terrain

Avec des approches empiriques, portant sur des cas applicatifs multiscalaires et multisectoriels, il est question ici d’analyser le “comment” du déploiement et de l’instrumentalisation du numérique dans les processus de transformation des entreprises. Des cas d’étude sur des perspectives différentes mais complémentaires des écosystèmes sont Il peut s’agir des cas d’étude d’écosystèmes centrés sur l’entreprise, où cette dernière agit en tant que pivot de l’écosystème (Keystone). L’exemple de la dynamique d’un écosystème comme celui de Siemens peut être très éloquent. Ce dernier agit en tant qu’orchestrateur, transformant son offre en une galaxie de services numériques pour accompagner les entreprises de son écosystème dans leur transformation numérique. Dans cet écosystème, Siemens a combiné son portefeuille existant d’outils et de services logiciels pour offrir aux entreprises partenaires qui utilisent ses technologies et solutions la possibilité de créer des pools de données complets, de développer des jumeaux numériques, qui mappent et relient toutes les étapes de la fabrication industrielle dans un monde virtuel.

Dans un second temps, des études sur les dynamiques d’écosystèmes ancrées sur des territoires, à l’instar de la dynamique de la French-Tech peuvent apporter des éléments complémentaires, justifiant le rôle des politiques publiques, et des dispositifs socio-techniques.

Au-delà des promesses-prophéties euphorisantes, faisant du numérique le remède miracle à tous les maux du monde de l’entreprise, comment les divers secteurs d’activité (écologique, énergétique, sanitaire, …) conçoivent et instrumentalisent-ils concrètement le numérique pour assurer des transitions réussies (sur un plan humain, managérial, communicationnel, productif, …) ? L’exemple du couple Urbain-TIC, déployé dans une logique multi-échelle (villes intelligentes, BIM, CIM, TIM, domotique, Urbatique, …), est, à cet égard, probant et illustratif de la numérisation généralisée de la fabrique de la ville, basée sur des dynamiques d’innovation collaborative. Dans cet univers, des problématiques liées au rôle du numérique, à travers la mobilisation de divers dispositifs (ex : table Immersite de Nobatek) supposés générer des fertilisations dialogales croisées et des ruissellements communicationnels positifs dans la co-conception urbaine (Khainnar, 2021) et la démocratie participative, constituent un prisme d’analyse pertinent à questionner. Enfin, des approches comparatives, se dressant dans une logique à la fois inter (sectoriels et/ou échelles), sont aussi vivement encouragées afin de dégager les ressemblances/dissemblances dans les divers cas étudiés.

Éléments bibliographiques

Adner, R. (2006). Match your innovation strategy to your innovation ecosystem. Harvard business review, 84(4), 98.

Adner, R., & Kapoor, R. (2010). Value creation in innovation ecosystems : How the structure of technological interdependence affects firm performance in new technology generations. Strategic management journal, 31(3), 306-333.

Arnoux-Nicolas, C. (2023). Trouver du sens dans son travail : des aspirations alliant l’individuel et le collectif. Action publique. Recherche et pratiques, 17(2), 17-25. https://doi.org/10.3917/aprp.017.0017

Bacon, E., Williams, M. D., & Davies, G. (2020). Coopetition in innovation ecosystems : A comparative analysis of knowledge transfer configurations. Journal of business research, 115, 307-316.

Baldwin, C. Y., Bogers, M. L., Kapoor, R., & West, J. (2024). Focusing the ecosystem lens on innovation studies. Research Policy, 53(3), 104949.

Ballet, J., Marchand, L., Pelenc, J. & Vos, R. (2018). Capabilities, Identity, Aspirations and Ecosystem Services : An Integrated Framework. Ecological Economics, 147, 21–28. https://doi.org/10.1016/j.ecolecon.2017.12.027

Bandura, A. (1997). Self-efficacy : The exercise of control. New York, NY : Freeman.

Ben Letaifa, S. et Rabeau, Y. (2012). Évolution des relations coopétitives et rationalités des acteurs dans les écosystèmes d’innovation. Management International/International Management/Gestión Internacional, 16(2), 57-84.

Cannavacciuolo, L., Ferraro, G., Ponsiglione, C., Primario, S., & Quinto, I. (2023). Technological innovation-enabling industry 4.0 paradigm : a systematic literature review. Technovation, 124, 102733.

Chiambaretto, P., Fernandez, A. et Le Roy, F. (2019). 10. La coopétition ou l’art de coopérer avec ses concurrents. Dans : Sébastien Liarte éd., Les grands courants en management stratégique (pp. 281-312). Caen : EMS Editions.

Cranmer, E. E., Papalexi, M., Tom Dieck, M. C., & Bamford, D. (2022). Internet of Things : Aspiration, implementation and contribution. Journal of Business Research, 139, 69-80.

Gawer, A., & Cusumano, M. A. (2014). Industry platforms and ecosystem innovation. Journal of product innovation management, 31(3), 417-433.

Jacot, JH (dir). (1991). Formes anciennes, formes nouvelles d’organisation, Presses Universitaires de Lyon.

Khainnar, S. (2021). Les nouvelles « cultures de conception urbaine » : Esquisse de quelques traits distinctifs. Revue Française des Sciences de l’Information et de la Communication RFSIC. 23 | 2021. https://journals.openedition.org/rfsic/11968

Maffesoli, M. (2010). La cyberculture postmoderne : une conception émotionnelle, tribale et relativiste. https://books.openedition.org/msha/10725

Moore, J. F. (1993). Predators and prey : a new ecology of competition. Harvard business review, 71(3), 75-86.

Moore, J. F. (1996). The death of competition : leadership and strategy in the age of business ecosystems. HarperBusiness New York.

Orlikowski, W. J. (1996). Improvising organizational transformation over time : A situated change perspective. Information Systems Research, 7(1), 63-92.

Ozor, J., Ronde, P., Tung, S., & Boyer, J. (2024). The “Middleground” as a catalyst for the dynamics of innovation in an ecosystem ? The case of Eurasanté in Hauts-de- France. Technological Forecasting and Social Change, 209, 123731.

Patnaik, S. (2020). New paradigm of Industry 4.0. Internet of Things, Big Data & Cyber Physical Systems. Cham : Springer.

Shinkle, G. A. (2012). Organizational aspirations, reference points, and goals : Building on the past and aiming for the future. Journal of management, 38(1), 415-455.

Stiegler, B. et Ars Industrialis. (2006). Réenchanter le monde – La valeur esprit contre le populisme industriel. Paris : Edition Flammarion.

Suchman, L. A. (1987). Plans and situated actions : The problem of human-machine communication. Cambridge, UK : Cambridge University.

Sun, C., Luo, C., & Li, J. (2020). Aspiration-based co-evolution of cooperation with resource allocation on interdependent networks. Chaos, Solitons & Fractals, 135, 109769.

Vial, S. (2015). Le design. Que sais-je ? Paris : PUF.

Weick, K. & Quinn, R.E. (1999). Organizational change and development. Annual Review of Psychology, 50, 361-386.

Wolton, V. (2019). Communication, incommunication et acommunication. Dans Hermès, La Revue 2019/2 (n° 84), pages 200 à 205. Éditions CNRS Édition

Calendrier prévisionnel

  • Publication de l’AAA : mi-janvier 2025
  • Date limite de réception de l’article intégral : 15 juin 2025
  • Évaluation par le comité de lecture (retour aux auteurs) : 30 octobre 2025
  • Renvoi des articles définitifs : 31 janvier 2026
  • Renvoi de la seconde version des articles : 30 avril 2026
  • Publication du n° de la revue : été/automne 2026

Consignes de rédaction des propositions

L’article intégral sera envoyé par mail avant le 15 juin 2025 aux coordinateurs du numéro :

Chaque proposition de contribution devra comporter :

  • le titre et le sous-titre de l’article, les nom et prénom de chaque auteur, son rattachement ;
  • 3 à 5 mots-clés ;
  • un résumé d’environ 1000 signes (espaces compris) ;
  • l’article définitif d’environ 35 000 signes (espaces compris, hors bibliographie). Il doit suivre les normes de soumission de la revue, disponibles sur : Instructions aux auteurs | COMMUNICATION & MANAGEMENT
  • une bibliographie

La revue Communication & Management est une revue classée en Sciences de l’information et de la communication (SIC), ainsi que par la FNEGE (au rang 4).