Le revue Communication et organisation lance un appel à contributions sur le thème « Dynamiques contemporaines de la communication interne » sous la direction de Vincent Brulois et Valérie Lépine. Les résumés sont attendus pour le 29 janvier 2024
Présentation
En 1994, la revue Communication & organisation (C&O) publiait un dossier intitulé La communication interne : une approche croisée1. La démarche était novatrice à l’époque, pour le premier terme comme pour le second. En effet, la fonction était encore récente dans les entreprises françaises, et com- mençait à être organisée dans sa dimension professionnelle2 comme scientifique3. Le numéro a donc constitué une ressource à la fois pour les chercheuses et les praticiennes sans oublier les étudiantes.
Remise en contexte
Les années 1980 sont touchées par un triple processus – de mondialisation, de numérisation, de financiarisation – qui en font une décennie de transformations importantes. Deux rapports en ren- dent compte et actent la modernisation d’abord de la société, puis des entreprises. Il s’agit de ré- enchanter l’entreprise et de faire adhérer les salariés au « parti de l’entreprise »4, identifiée comme nouveau totem. Pour les organisations, Crozier (1991) remarque qu’il devient alors « décisif » de penser la façon dont elles deviendront « active[s] dans l’environnement ». Le vecteur d’action en sera la communication. Celle-ci devient une activité sociale normale et normalisée (Miège, 1989), faisant entrer les organisations dans une nouvelle ère de la gestion symbolique (Le Moënne, 1994). À l’externe, il s’agit de miser sur l’image pour toucher les imaginaires. En interne, il s’agit « d’ins- taurer une communication qui rende l’organisation plus performante » (Galinon-Mélénec, 1994).
Mais la crise du début des années 1990 rebat les cartes. La demande stagne, le chômage monte, la conjoncture économique difficile fait surgir un décalage entre l’image construite de l’entreprise et la réalité. Le mythe de l’entreprise réenchantée ne tient plus ; surfer sur l’image et la com’ ne suffit plus. C’est dans ce contexte qu’est construit le dossier de Communication & organisation en 1994. Son objet est clairement nommé – la communication interne – et son objectif aisément décrit : « repérer les différents points d’entrée [de] la communication interne », proposer une approche croisée, c’est- à-dire une « trame à la fois théorique et pratique » pour « développer une réflexion transdiscipli- naire » (ibid.). Au final, le dossier fait ressortir que la communication interne « a dépassé le stade des balbutiements » mais « a toujours du mal à rentrer dans le cadre d’une définition claire et précise sur le terrain » (Hotier, 1994). Il n’en reste pas moins que la démarche était doublement novatrice dans sa volonté de croiser deux axes de lecture de l’objet communication interne : un premier (approche croisée) rapprochant sphère scientifique et sphère professionnelle, un second (réflexion trans- disciplinaire) voulant faire dialoguer sciences de l’information et de la communication (SIC) et autres disciplines sur ce même objet. Ce regard singulier a fait de ce numéro un oldie but goldie qu’il convient à présent de revisiter.
30 ans plus tard…
Aujourd’hui, si l’importance de la communication interne n’est pas démentie dans la sphère pro- fessionnelle, elle semble un objet quelque peu délaissé dans la sphère scientifique. Pour exemple, l’expression communication interne n’apparaît qu’en une seule occurrence dans l’ouvrage de la Confé- rence permanente des directeurs et directrices des unités de recherche en SIC (2018). Certes, d’autres formulations, visant à se démarquer des visions opérationnelles ou fonctionnalistes, ont été avancées pour étudier ce que la communication fait à l’organisation ou, plus précisément, pour signaler la dimension organisante de la communication :
- communication organisationnelle (au pluriel ou au singulier) pour marquer l’existence d’un champ de recherche cohérent et aussi un élargissement épistémologique des probléma- tiques au-delà du périmètre intra-organisationnel ;
- communication managériale pour insister sur le rôle normatif et d’ingénierie symbolique d’une communication au service de la performance des organisations (Floris, 1996)
- communication institutionnelle pour souligner la visée englobante des communications, dépas- sant la distinction interne et externe et pour caractériser des mises en formes et en normes comme processus structurants l’ensemble des systèmes productifs (Le Moënne, 2013).
Mais, sous cette appellation, la communication interne n’a fait l’objet récemment ni de numéros de revue ni d’ouvrages universitaires. Elle semble même s’être éclipsée des priorités des recherches en communications organisationnelles alors qu’elle était pourtant bien présente dans les années 1990 et 2000 (d’Almeida, 2001 ; Bonnafous, 1993, de la Broise & Brulois, 2010, Bryon-Portet, 2008, Corbalan, 1999 ; Giroux, 1994 ; Nicotri, 2001, Gallinon-Mélénec, 2010, Giordano, 2005). Ainsi, on ne dénombre que peu de travaux français dans la dernière décennie, à quelques exceptions près (Brulois, 2020 ; Brulois & Charpentier, 2013 ; Chauvin, 2010 ; Heller, 2019 ; Ivanov, 2013 ; Lépine, 2015 ; Morillon, 2015 ; Morillon & alii, 2018…).
Bien entendu, de nombreux objets de recherche connexes se préoccupent d’étudier des phéno- mènes ou dispositifs qui ont un lien plus ou moins étroit et direct avec la communication interne (les dispositifs sociotechniques qui équipent la coopération, les échanges au et de travail, les con- séquences de la généralisation des logiques gestionnaires comme le New Public Management). Des travaux portant de façon centrale sur les missions, les acteurs professionnels de la communication interne, la fonction, les pratiques et dispositifs, l’évaluation de l’activité, sont plus rares et les cher- cheurs et chercheuses qui s’y attèlent sont souvent des collègues ayant eu une trajectoire en proxi- mité avec la sphère professionnelle (par la réalisation d’un doctorat sous CIFRE, par une expérience professionnelle en entreprise, voire la réalisation d’une thèse après avoir été un ou une praticienne chevronnée entamant un parcours réflexif).
Si l’on s’intéresse par ailleurs aux formations, à partir des intitulés de diplôme, le nombre de mention ou parcours indiquant explicitement la communication interne est aujourd’hui quasiment nul5 alors même que le terme communication d’entreprise s’affichait comme une option des IUT dès les années 1980. De même que les relations publiques semblent avoir été bannies des intitulés de for- mation (tandis que la tradition anglo-saxonne des Public Relations reste bien vivante), la communi- cation interne semble frappée du stigmate d’objet pratique, de fonction opérationnelle sans réel intérêt académique. Pourtant, nombre de cursus continuent à former les étudiants aux enjeux et techniques de la communication interne (méthodes d’audit de la communication interne, maîtrise des outils numériques ou non, culture et organisation, théories des organisations, théories de la motivation et psychosociologie du travail, …) en lien avec des problématiques de gestion des RH, de management, ou encore d’accompagnement du changement.
Dans la sphère professionnelle enfin, la communication interne est souvent présentée comme le parent pauvre de la fonction communication. Ses budgets et moyens humains sont réduits en com- paraison des ressources considérables octroyées à la communication commerciale, publicitaire ou corporate. Par ailleurs, la communication interne est fréquemment perçue par les salariés comme une fonction subordonnée à la direction voire comme une courroie de transmission des messages managériaux.
Toutefois, la pandémie de Covid-19 et l’état de crise dans lequel se sont trouvées de très nom- breuses organisations dans tous les secteurs où des confinements successifs ont été imposés, ont changé la donne. La fonction Communication interne a été largement sollicitée pour imaginer de nouvelles façons de faire lien malgré la distance (fédérer sans réunir), d’animer les collectifs à dis- tance (soutenir la coopération sans réunir les équipes), d’instaurer un nouvel horizon de sens (mal- gré l’incertitude) pendant les confinements, puis de réinstaurer du sens lors du retour sur site (site familier hier, devenu inhospitalier en raison de la contrainte des gestes barrières). Bref, la commu- nication interne, habituellement peu visible, est devenue lors de cette période très concrète pour soutenir, permettre, consolider le collectif. La fonction s’est trouvée renforcée, sa légitimité accrue. Son périmètre s’est élargi en même temps que les frontières de l’entreprise se sont assouplies en raison de la recomposition des formes d’organisation du travail dans la période dite post-Covid. Le télétravail, le flex office, le multitasking, autrefois marginaux, se sont largement répandus et sont at- tendus par les nouvelles générations.
C’est dans ce contexte que nous proposons de réinvestir le domaine de la communication interne et de ses acteurs pour analyser les continuités mais surtout les dynamiques contemporaines dans une fonction désormais ancrée dans les organisations, pour des acteurs maintenant formés à la communication en majorité, et pour un champ de recherche à présent structuré et structurant pour les SIC. Pour ce faire, nous avons privilégié trois focales qui portent les questionnements : sur la fonction elle-même, sur la recherche scientifique, sur la dimension internationale.
Axe 1 : La communication interne est-elle en crise ou en transformation ?
Depuis 30 ans, et jusqu’à peu, la mort de la communication interne ou sa disparition – à tout le moins sa crise – étaient régulièrement annoncées. Pourtant, elle bouge encore si on se fie au nombre de postes qui reprennent cet intitulé au niveau professionnel. La loi PACTE (mai 2019) est passée par là, reconnaissant que les salariés étaient moins une partie prenante de l’entreprise qu’une partie constituante. Il convient donc de s’adresser à eux de façon singulière. La communication interne serait-elle alors d’abord une affaire de relations et de proximité ? Mais alors comment évaluer le travail en communication interne dans une entreprise de plus en plus friande de mesures d’effi- cacité et de performance ? En outre, cette dimension microsociale est à placer dans un contexte porteur d’enjeux macrosociaux. Ces enjeux sont culturels (évolution des pratiques langagières via les réseaux numériques, évolution du rapport au travail via quiet quitting ou big quit, éclatement des lieux de travail via le télétravail), sociaux (rapports de genre ou de générations, équilibre vie profes- sionnelle/vie personnelle) et sociétaux (crises géopolitiques, économiques, écologiques). Entre autres, dans quelle mesure le télétravail oblige-t-il la communication interne à se réinventer ? Com- ment faire entreprise (exister et faire projet ensemble) quand unités de lieu, de temps et d’action ne sont plus la règle ? Le rôle de la communication interne peut-il se limiter à sensibiliser à la crise écologique ou à valoriser les fresques du climat ? Au final, quelles incidences peuvent avoir ces enjeux, et la façon de les comprendre, dans l’évolution de la fonction ?
En outre, la communication interne n’est-elle pas aussi une affaire de contenu ? Que faut-il penser alors de l’apparition de nouvelles pratiques professionnelles (content factory) ? La communication serait elle principalement un métier de transmission d’informations, produisant du contenu qu’il s’agit de mettre en mots, en signes, en forme – dans des formats ou des écritures renouvelés par le numérique – pour une mise en sens adaptée au dispositif utilisé ? Quid alors de la connais- sance du contexte (connaissance de l’activité, des individus, de leur métier et de leur contexte de travail) dans lequel s’effectue cette transmission ? La fonction se limite-t-elle à un rôle de diffuseur de contenus ou doit-elle endosser un rôle de médiateur voire d’organisateur des relations internes ? Si aujourd’hui, tout le monde communique, que porte de singulier la communication envers les salariés ? Dans quelle mesure la fabrique de sens proposée (imposée ?) par l’entreprise (notamment via les promesses de la RSE, des démarches d’entreprise à mission) répond-elle à la quête de sens des individus ? Fonction symbolique, la communication interne est-elle une fonction essentielle de l’entreprise ?
Axe 2 : La communication interne peut-elle être étudiée comme objet de recherche ?
La communication interne est à n’en pas douter une notion et une catégorie de pratiques bien définies dans le domaine professionnel. Dans certains champs académiques (sciences de gestion), cette catégorie fait assez peu l’objet d’un travail de déconstruction/reconstruction. En SIC, en re- vanche, chercheurs et chercheuses ont travaillé à se démarquer de la sémantique professionnelle poursuivant un objectif de distanciation critique en investiguant les enjeux de la communication interne comme opérateur de la communication organisationnelle. Participant à la construction sociale de l’organisation, la communication interne entretient des liens qui sont à interroger et à caractériser avec d’autres notions telles que celles de motivation, d’engagement (ou enrôlement dans une approche critique), de coopération voire de collaboration ou encore de confiance et sentiment d’appartenance.
Les approches interactionnistes explorent les négociations, les co-constructions significatives issues des échanges au plus près de l’activité ; les perspectives intégrée ou intégrative cherchent à penser ensemble les phénomènes et pratiques d’information et communication qui traversent et structu- rent l’organisation ; les approches en communication stratégique (fréquentes en gestion) tendent à considérer les agencements ou (dés)alignements entre communication interne et enjeux stratégiques des organisations ; dimension stratégique que les approches critiques visent à éclairer en soulignant les rapports d’aliénation symbolique ou d’assujettissement et de pouvoir ; tandis que les approches culturelles mettent en avant l’étude des systèmes de valeurs, les cultures (organisationnelle, managériale, de métier).
Quelles sont les avancées théoriques et les approches propres aux SIC qui permettent d’étudier l’émergence puis la circulation, le partage des savoirs, des imaginaires, des affects, des normes dont la communication interne serait l’un des vecteurs privilégiés ? Quelles articulations conceptuelles peuvent rapprocher ou distinguer la communication interne des phénomènes et pratiques de mé- diation, traduction, relation, transmission ? Les difficultés d’accès au terrain et à l’observation de l’activité, du travail et de celles et ceux qui le vivent et le réalisent ne sont pas récentes. Les modalités de recherche-action, recherche-intervention ou encore recherche partenariale ont-elles évolué lors des dernières décennies et avec quel bilan ?
Les contributions de cet axe montreront comment et pourquoi peut-on (doit-on) étudier cet objet (la communication interne) aujourd’hui ? Quels outils épistémologiques et méthodologiques avons-nous pour le faire en SIC ? Fort de cet ancrage, dans quelle mesure est-il nécessaire d’étu- dier cet objet et ces acteurs de façon transdisciplinaire ?
Axe 3 : Une analyse comparative internationale de la communication interne est-elle possible ?
Dans son premier édito, la revue C&O notait que, ce que l’on appelle « communication des orga- nisations en Europe » est appelé « communication organisationnelle de l’autre côté de l’Atlantique » (1992). Qu’en est-il du terme communication interne ? Si ce terme désigne bien une fonction dans les entreprises de quelques pays, quelle terminologie désigne, dans d’autres pays, de telles pratiques de communication en organisation ? Dans le monde anglo-saxon, le terme Internal Communication est utilisé. Comment alors est organisée la fonction ? Quelles pratiques sont mises en œuvre ? Dans quelle mesure les évolutions identifiés dans l’axe 1 provoquent-elles une évolution des pratiques et de la fonction ? Si « toute manière de dire est une manière de faire » (d’Almeida & Carayol, 2014), alors ces quelques interrogations sont d’importance.
En outre, les relations publiques, vues comme l’organisation des communications d’une entreprise envers ses publics, apparaissent comme une tradition anglo-saxonne. Pourtant, dès 1951, CROZIER remarquait le développement par les entreprises américaines des Public Relations, au titre de « pro- pagande extérieure », parallèlement aux techniques de « human engineering » en interne. De fait, une distinction des publics était opérée. Aujourd’hui, il semble que cette distinction soit restée, voire se soit affirmée et qu’elle structure les formations existantes comme les champs de recherche6. En France et en Belgique par exemple, les professionnels de la communication interne se sont regrou- pés en association ad hoc. Qu’en est-il pour les autres pays européens ? Au Maroc, c’est une même démarche qui a conduit à la création de l’association marocaine de communication interne. Au- delà, CARAYOL & D’ALMEIDA (2014) ont rappelé l’utilisation du terme communication intégrée au Bré- sil. Quels types de pratiques ce terme désigne-t-il alors ? De façon générale, est-il possible d’iden- tifier les dénominations de la communication interne à travers le monde, la façon dont elle est structurée, le rôle qu’elle joue dans les organisations et les pratiques professionnelles développées sous ce terme ?
Hier, le numéro 5 de C&O faisait place à sa manière à cette dimension internationale de la communication interne. La liste des auteurs retenus pour le dossier était déjà éclectique, du fait de leur parcours (académique ou professionnel) mais aussi de leur provenance (France ou Québec). Si les relations de recherches sont toujours prégnantes entre ces deux rives de l’Atlantique, est-il possible aujourd’hui, d’ouvrir ce tropisme international afin d’éclairer la communication interne au-delà du seul cadre français ou francophone ? Les contributions de cet axe pourront ainsi ouvrir une perspective comparative de la communication interne et renforcer un dialogue entre cher- cheurs et chercheuses à l’international.
Calendrier :
- Envoi des propositions sous forme de résumés : 29 janvier 2024
- Retour aux auteurs de la sélection des propositions : 05 février 2024
- Remise de l’article intégral : 06 mai 2024
- Retour aux auteurs de l’évaluation par le comité de lecture : 28 juin 2024
- Retour des articles définitifs (revus après évaluation) : 02 septembre 2024
Publication du numéro : décembre 2024