On peut se risquer à définir le champ de la réflexion éthique comme celui de la confrontation à des situations complexes, où nul choix, jugement ou solution idéale ne s’impose, et où il s’agira néanmoins de pouvoir arbitrer entre différentes options en présence et d’argumenter ce choix. Or justement, à mesure que progresse la « numérisation du monde » (Flipo, 2021) et que l’ampleur des mutations (politiques, économiques, sociales, culturelles, psychiques, esthétiques…) se dessine, les débats publics, essais et travaux académiques se multiplient, visant à saisir le couple problématique que forment l’éthique et le numérique (voir notamment Balicco et al., 2018 ; Domenget et al., 2022 ; Ess, 2013 ; Germain et al., 2022 ; Naudet, 2016 ; Roelens et Pélissier, 2023). Ce numéro vise ainsi à faire le point à la fois sur les ressources déjà disponibles et sur les possibles heuristiques, pratiques encore à construire pour aborder le double enjeu d’une éthique du numérique et d’un numérique éthique au XXIème siècle.
En effet, certaines de ces contributions au développement comme à la structuration d’une culture (du) numérique (Cardon, 2019 ; Rieffel, 2014) cherchent avant tout à mieux percevoir et saisir ce qu’il se passe, autrement dit à proposer une compréhension des transformations majeures, qui touchent en particulier aux conditions mêmes de la vie éthique pour chaque individu humain. Se doter à nouveau frais de boussoles et de cartes permettant de nous orienter dans l’exercice du jugement est alors important. L’éthique des technologies numériques rencontre alors parfois l’art difficile de la prospective, ce qui n’est pas en outre sans questionner l’éthique de la recherche elle-même, en bien des cas ( Coutellec et al., 2021 ; Latzko-Toth et Pastinelli, 2022 ; Théry et al., 2011). Dans cette visée compréhensive, à quels modèles d’analyse, l’éthique peut-elle recourir ? De quelle manière le questionnement éthique s’inscrit dans le numérique au travers des pratiques de chercheurs, de professionnels et de citoyens ? Quelles questions éthiques soulève le numérique du point de vue de l’information et de la communication ?
L’idée selon laquelle la numérisation du monde impliquerait, pour pouvoir être bénéfique, d’apprendre à lui donner de nouveaux cadres non seulement légaux et politiques mais aussi axiologiques (Bernholz et al., 2021 ; Loveluck, 2015 ; Sadin, 2015) fait également son chemin, non sans tensions avec certaines aspirations plus libertaires qui animaient et animent encore des acteurs importants de la culture numérique comme de son industrie. L’éthique trouve ici son champ d’exercice sans doute le plus connu et reconnu, dans sa dimension normative : faudra-t-il alors s’appuyer, pour articuler de telles normes, sur les devoirs moraux, les vertus humaines, la quête du plus grand bien-être, quelques principes bien choisis, les droits individuels ou encore l’attention aux vulnérabilités les plus multiples ? Existe-t-il un monde numérique désirable, et si oui lequel ? Comment articuler numérisation, démocratisation et inclusion ? Quels enjeux de justice sont alors soulevés, et à quelle échelle ?
Ces mêmes mutations numériques et les questionnements qu’elles suscitent se traduisent aussi massivement par des discours, des revendications et des actions de résistance (controverses sociales, environnementales ; droit à la déconnexion, droit à l’oubli ; boycotts, etc.) qui, s’ils ne freinent pas à ce jour le flux d’activités médiées par les dispositifs d’information et de communication numériques (tels que les médias socionumériques, les assistants vocaux, les robots conversationnels, etc.), constituent progressivement un pan de la pensée critique contemporaine à part entière. Se peut-il alors que les recours quotidiens à ces dispositifs numériques fassent craindre le non-respect généralisé de l’éthique, de la déontologie, du respect d’autrui, de la vie privée, de l’intimité et de l’environnement ?
Que les contributions proposées s’inscrivent dans des approches compréhensives, normatives et/ou critiques, il s’agira en particulier de mettre en évidence les éléments qui témoignent respectivement de continuités et de ruptures par rapport à la longue histoire et à la riche actualité de la pensée morale (Billier, 2010/2021). On pourra par exemple se questionner sur les enjeux éthiques de la gestion/diffusion des données (Ginouvès et Gras, 2018), de la post-vérité en ligne (Bronner, 2022), de l’intelligence artificielle et des algorithmes (Gibert, 2021 ; Rochel, 2022) ou de nouvelles normativités sociales liés à la numérisation (Boullier, 2016/2019). On pourra aussi se demander ce que change effectivement le travail sur le couple « éthique et numérique » par rapport à ce qu’ont été et sont plus globalement les préoccupations éthiques dans le champ des sciences de l’information et de la communication. Enfin, sachant que l’éthique est en soi un domaine de recherche pluriel et que les définitions mêmes de l’éthique ne sont pas unanimes, il serait précieux de pouvoir montrer comment le numérique met chacun de ces horizons et territoires de recherches à l’épreuve.
Conformément à la ligne éditoriale de la revue Interfaces numériques, les contributions que ce dossier a vocation à réunir devront témoigner d’une ouverture interdisciplinaire et d’une commune volonté d’interroger les fondements éthiques, idéologiques, politiques, sémiotiques de l’objet de recherche investigué. La saisie de la thématique du numérique et la mise en avant des préoccupations éthiques qu’elle soulève devra être substantielle et non simplement périphérique.
Organisation scientifique
La réponse à cet appel se fait sous forme d’une proposition livrée en fichier attaché (nom du fichier du nom de l’auteur) aux formats rtf, docx ou odt. Elle se compose de deux parties :
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Un résumé de la communication de 4 000 signes maximum, espaces non compris, comprenant : titre, sous-titre et mots-clés ; type de démarche de recherche mise en œuvre et cadre théorique ; problématisation développée ; annonce détaillée d’un plan prévisionnel d’ensemble ; principaux résultats à présenter et/ou conclusions majeures à proposer ; orientations bibliographiques principales.
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Une courte biographie du (des) auteur(s), incluant titres scientifiques, le positionnement scientifique (la discipline dans laquelle le chercheur se situe), la section de rattachement.
Le fichier est à retourner, par courrier électronique, pour le 15 avril 2023, à roelens.camillejean@orange.fr et jean-claude.domenget@univ-fcomte.fr. Un accusé de réception par mail sera renvoyé.
Calendrier prévisionnel :
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25 janvier 2023 : lancement de l’appel à articles ;
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15 avril 2023 : date limite de réception des propositions ;
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À partir du 1 mai 2023 : avis aux auteurs des propositions ;
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1er septembre 2023 : date limite de remise des articles ;
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1er septembre au 15 octobre 2023 : expertise en double aveugle, navette avec les auteurs ;
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15 novembre 2023 : remise des articles définitifs ;
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Fin décembre 2023 : sortie du numéro.
Modalités de sélection
- Un premier comité de rédaction se réunira pour la sélection des résumés et donnera sa réponse début mai 2023.
- L’article complet devra être mis en page selon la feuille de style qui accompagnera la réponse du comité (maximum 25 000 signes, espaces compris). Il devra être envoyé par courrier électronique avant le 1er septembre 2023 en deux versions : l’une entièrement anonyme et l’autre nominative.
- Un second comité international de rédaction organisera une lecture en double aveugle des articles et enverra ses recommandations aux auteurs au plus tard le 15 octobre 2023.
- Le texte définitif devra être renvoyé avant le 15 novembre 2023.
- Les articles qui ne respecteront pas les échéances et les recommandations ne pourront malheureusement pas être pris en compte.