Argumentaire
Les mouvements de contestation sont définis comme des phénomènes épisodiques durant lesquels les manifestants revendiquent des droits, s’opposent à des lois et à des décisions politiques ou s’insurgent contre des pouvoirs qu’ils considèrent comme illégitimes ou non démocratiques. Actuellement, ces mouvements sociaux prennent de plus en plus d’ampleur et définissent de nouveaux modes de communication. Les manifestants occupent physiquement les espaces à travers les marches et les sit-in pour revendiquer davantage de justice sociale, de démocratie ou de retour aux valeurs démocratiques, ou en dénonçant leurs limites. Les discours issus de cette activité militante constituent désormais un terrain intéressant à observer, où chants, dénonciations, colères et solidarité s’entremêlent. Les manifestants utilisent des pancartes, s’arment de mots, adoptent des slogans et défendent des mots d’ordre pour faire entendre leurs voix et assoir leurs revendications (Krieg-Planque et Oger 2018). En effet, ces discours sont pétris de conflits et marqués par des positionnements différents ; ils représentent le support de réflexions polémiques. Les discours émanant de ces mouvements s’inscrivent dans un interdiscours (Maingueneau 2014), c’est-à-dire dans un « espace discursif extérieur à un discours donné, faisant constitutivement irruption à l’intérieur de celui-ci » (Authier-Revuz 1985 : 275) et définissant ainsi un réseau de sens. La contestation des régimes totalitaires ou des pratiques anti-démocratiques motivent ces mouvements à l’instar des « printemps arabes », des « indignés » en Espagne, du mouvement des « gilets jaunes » en France, des « hirak » algérien et marocain, de celui des « Black lives matter » aux USA, les mouvements de contestation en Amérique du Nord, à Hong Kong, etc. Le déclenchement de ces mouvements de contestation a suivi, ces dernières années, des processus similaires (Larzillière, Petric et Wieviorka 2013) qui livrent une visibilité intéressante et dans la rue et sur les réseaux sociaux numériques (désormais RSN) ainsi qu’à travers les médias et leurs discours.
Ces mouvements révolutionnaires s’organisent à travers les réseaux sociaux (Bodin & Chambru 2019), des trolls interviennent dans les évènements qui en découlent et le rôle des médias se trouve souvent mis en cause dans le traitement de ces évènements (Rigoni, Theviot et Bourdaa 2015). L’occupation de la rue est relayée par les RSN, où la visibilité participe de la consolidation du mouvement et de son organisation physique. La contestation peut s’organiser également uniquement sur les réseaux sociaux et se déplacer dans les espaces publics quand un cadre plus vaste d’expression s’offre à des militants, comme c’est par exemple le cas pour les mouvements féministes, mais également des manifestations estudiantines ou antiracistes. Souvent, les mouvements de contestation sociaux intègrent des micro-contestations qui se joignent au mouvement général, d’où le caractère à la fois hétéroclite et unificateur de ces mouvements ; ceci impose de revoir les pratiques de pouvoir au sein des sociétés à travers le monde. Partout où les modèles de société sont en crise et où les fractures idéologiques et économiques creusent les inégalités sociales, la contestation populaire contre les élites s’organise ; de ce fait, mots d’ordre et slogans apparaissent comme l’unique recours pour certains citoyens de crier leurs colères, de poser leurs revendications ou de les faire aboutir dans une sorte de démocratie participative réclamée par les citoyens.
Les mouvements contestataires ont, certes, fait l’objet d’études dans le domaine de la sociologie, de l’histoire et des sciences de l’information et de la communication, mais aussi du domaine des analyses du discours. En effet, il faut remonter aux études sur les tracts de mai 1968 (Demonet 1975, Geoffroy et Gouazé 1975) et aux études sur les slogans qui y sont produits (Touillier Feyrabend 1983) pour comprendre l’intérêt accordé aux productions révolutionnaires. Aussi, l’articulation de l’analyse argumentative avec les travaux de la sociologie des mobilisations dans les discours contestataires (Rennes 2011) ou l’étude du « discours de l’action collective » (Orkibi 2015) participent de la mise en place de l’étude des caractéristiques de ces discours contestataires. L’objectif de cet ouvrage est d’étudier ces discours issus des mouvements de contestation et d’en montrer les spécificités.
En effet, la parole contestataire présente des propriétés de l’ordre de l’éthos et du pathos qu’il est intéressant de décrire. Les dimensions persuasive, incitative, exhortative du texte dit ou écrit, ainsi que les aspects pathétiques (Charaudeau 2015) et pathémiques de la parole scandée, chantée ou entonnée, participent de la force rhétorique (Krieg-Planque 2015) que génèrent des effets illocutoires et perlocutoires. Au-delà des revendications exprimées sous forme de formules ou de slogans caractérisés par leur brièveté et leur caractère émotionné, des éthos et des anti-éthos se donnent à construire à travers le discours protestataire, grâce à des stratégies rhétoriques auxquelles recourent les manifestants et l’instance contestée à l’instar de la légitimation /délégitimation, la crédibilité/décrédibilisation, le sarcasme, la dérision, la subversion, etc. En outre, cette contestation est prise dans un interdiscours qui définit les textes contestataires comme pour le « dégagisme » par exemple. Cet interdiscours est nourri par des expériences antérieures externes ou internes de lutte qui ont marqué ces dernières décennies. L’accentuation de ces caractéristiques dépend du contexte de production de la parole, à savoir la situation de tension qui prévaut parfois lors de certaines manifestations de rue. Ainsi, le contexte intervient comme une variable à même de caractériser les aspects formels du discours manifestant, comme le caractère bref et émotionné de l’expression. Les citoyens qui sont engagés dans un militantisme plus ou moins intense sont connectés entre eux, en y ajoutant des citoyens plus ou moins politisés, cela pourrait avoir un effet viral sur le caractère de la contestation dont les modes d’organisation et de communication présentent des similarités intéressantes à décrire, notamment des points de vue des discours qui y sont véhiculés.
Axes thématiques
Les contributions pourraient s’articuler autour des axes suivants :
- Analyse discursive des slogans, chants, pancartes scandés et brandis lors des manifestations ;
- Etude de la dimension argumentative et pragmatique des formules (Krieg-Planque, 2003, 2009) et d’autres énoncés reprenables ;
- Analyse des discours médiatiques et numériques contestataires ;
- Analyse des discours politiques (représentants des gouvernements, des leaders d’opposition, de personnalités publiques, etc.) décrivant les mouvements de contestation ;
- Analyse des discours autour du rôle des médias dans le traitement médiatique des événements ;
- Propriétés de la parole contestataire en fonction des supports et des contextes de sa production ;
- Construction de l’éthos et de l’anti-éthos dans les discours contestataires ;
- Analyse des discours des trolls et leurs contre-discours dans les processus de contre-révolutions (discours de la haine, insultes, etc.) ;
- Propriétés discursives des fake-news (Sini et Cetro 2020), du complotisme, de la propagande et du révisionnisme comme stratégies de manipulation politicienne, en rapport avec les mouvements contestataires.
Bibliographie indicative
- Amossy, R., (2014), « L’éthos et ses doubles contemporains. Perspectives disciplinaires », Langage et société, n° 149, p. 13-30. DOI : 10.3917/ls.149.0013. URL : https://www.cairn-int.info/revue-langage-et-societe-2014-3-page-13.htm
- Bonnafous, S., Tournier M., (1995), « Analyse du discours, lexicométrie, communication et politique », Langages, n° 117, p. 67-81 ; https://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1995_num_29_117_1706
- Bernard Barbeau, G., (2015), « De l’appel à mobilisation à ses mécanismes sociodiscursifs : le cas des slogans écrits du printemps érable », Argumentation et Analyse du Discours, n° 14, URL : http://journals.openedition.org/aad/1969 ; DOI : 10.4000/aad.1969
- Bodin, C., et Chambru, M., (2019) (S/D), « Fake-News ! Pouvoirs et conflits autour de l’énonciation publique du ″ vrai ″ », Etudes de communication, N° 53, https://doi.org/10.4000/edc.9104
- Boutet, J., (2016), Le pouvoir des mots. Paris, La Dispute.
- Bourdieu, P., (2011), Langage et pouvoir symbolique. Paris, Fayard.
- Cetro, R., et Sini, L., (Ed.) (2020), Fake news rumeurs, intox…stratégies et visées discursives de la désinformation. Paris, L’Harmattan.
- Charaudeau, P., (2017), Le débat public. Entre controverse et polémique. Enjeu de vérité, enjeu de pouvoir. Paris, Lambert-Lucas.
- Gerardin-Laverge, M., (2018), « C’est en slogant qu’on devient féministe. Hétérogénéité du genre et performativité insurrectionnelle », Semen, revue de sémiolinguistique des textes et discours, N° 44, http://journals.openedition.org/semen/10779 ; DOI : https://doi.org/10.4000/semen.10779
- Grinshpun, Y., (2013). « Discours manifestant et contestation universitaire » (2009). Argumentation et Analyse du Discours, n° 10, URL : http://journals.openedition.org/aad/1476, DOI : 10.4000/aad.1476
- Jerad, N., (2011), « La révolution tunisienne : des slogans pour la démocratie aux enjeux de la langue », Archivio Antropologico Mediterraneo on line anno XII/XIII. 13 (2), Università degli Studi di Palermo, URL : http://www.archivioantropologicomediterraneo.it/riviste/estratti_13_2/05.pdf
- Larzillière, P., Petric, B., et Wieviorka, M., (2013), « Révolutions, contestations, indignations », Socio, n° 2, p. 7-24, URL : https://doi.org/10.4000/socio.341
- Londei, D., Moirand, S., Reboul-Touré S, et Reggiani L, (Ed.) (2013), Dire l’événement : langage, mémoire, société. Paris : Presses Sorbonne nouvelle.
- Maingueneau, D., (2014), Discours et analyse du discours. Introduction. Paris, Armand Colin.
- Maingueneau, D., (2012a), Les phrases sans texte. Paris, Armand Colin.
- Maingueneau, D., (2012b), Analyser les textes de communication, nouvelle édition revue et argumentée. Paris, Armand Colin.
- Mebtoul, M., (2019a). « Le mouvement social algérien du 22 février 2019 : profondeur et puissance au cœur de l’espace public », Revue des Sciences Sociales, n° 07, Faculté des Sciences Sociales Université Mohamed Ben Ahmed Oran 2, p25-37.
- Morsly, D., (2016), Les mots des révolutions arabes, Ch. Sini et F. Laroussi (dirs.), Langues et mutations sociopolitiques au Maghreb, p. 153-164, Rouen, PURH.
- Krieg-Planque, A., Oger, C., (2018), « Slogan », Publictionnaire. Dictionnaire critique et encyclopédique des publics, Université de Lorraine, En ligne : http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/slogan/
- Krieg-Planque, A., (2013), Analyser les discours institutionnels. Paris, Armand Colin.
- Krieg-Planque, A., (2009), La notion de formule en analyse du discours. Cadre théorique et méthodologique. Besançon, PU de Franche-Comté.
- Paveau, M-A., (2013), « Analyse discursive des réseaux sociaux numériques », Dictionnaire d’analyse du discours numérique, Technologies discursives, [Carnet de recherche], URL : http://technodiscours.hypotheses.org/?p=431,
- Paveau, M-A., (2017), L’analyse du discours numérique. Dictionnaire des formes et des pratiques. Paris, Hermann.
- Provenzano, F., (2015), « Tel Quel à la rue : subjectivation et argumentation dans le discours théorique et dans l’affiche militante de Mai 68 », Argumentation et Analyse du Discours [En ligne], n° 14, URL : http://journals.openedition.org/aad/1897 ; DOI : https://doi.org/10.4000/aad.1897
- Rennes, J., « Les formes de la contestation. Sociologie des mobilisations et théories de l’argumentation », A contrario, 2011/2 (n° 16), p. 151-173. DOI : 10.3917/aco.112.0151. URL : https://www.cairn.info/revue-a-contrario-2011-2-page-151.html
- Rigoni, I., Theviot, A., et Bourdaa, M., (2015), « Médias, engagements, mouvements sociaux », Sciences de la société, n° 94, p. 3-12.
- Ringoot, R., (2104), Analyser le discours de presse. Paris, Armand Colin.
Comité scientifique
- Abbès-Kara Attika (ENS de Bouzeréah – Alger)
- Ali-Bencherif Mohammed-Zakaria (Université Abou Bekr Belkaid -Tlemcen)
- Morsly Dalila (Université d’Angers)
- Bernard-Barbeau Geneviève (Université de Sherbrooke)
- Bektache Mourad (Université Abderrahmane Mira – Bejaia)
- Bestandji Nabila (Université d’Alger 2 Abou El kacem Saâdallah)
- Oulebsir Fadila (Université d’Alger 2 Abou El kacem Saâdallah)
- Dourari Abderrezak (Université d’Alger 2 Abou El kacem Saâdallah)
- Paveau Marie-Anne (Université Paris 13)
- Longhi Julien (Université de Cergy-Pontoise)
- Ouaras Karim (Université d’Oran 2 Mohamed Ben Ahmed)
- Liénard Fabien (Université du Havre)
- Djordjevic Léonard Ksenija (Université Montpellier 3 Paul-Valéry)
- Grinsphun Yana (Paris III Sorbonne Nouvelle)
- Miliani Hadj (Université Abdelhamid Ben Badis- Mostaganem)
- Arnaud Richard (Université Montpellier 3 Paul Valéry)
- Chaibi Hassiba (ENS de Bouzeréah – Alger)
- Krieg Planque Alice (Université Paris-Est Créteil)
- Kebbas Malika (Université de Blida 2)
- Bonhomme Marc (Université de Berne)
- Yahiaoui Kheira (ENS d’Oran)
- Maingueneau Dominique (Université Paris-Sorbonne)
- Veniard Marie (Université Paris Descartes).
Calendrier
Date limite de soumission des résumés : 15 mars 2021
Notification des réponses du Comité Scientifique : 29 avril 2021
Envoi des articles : 31 Juillet 2021
Consignes pour la rédaction du résumé
Les résumés doivent comporter environ 1000 mots.
- Un titre
- Une courte problématisation et un état de l’art succinct (incluant des références).
- Les objectifs de l’article clairement énoncés
- Une présentation et une justification du choix du cadre théorique et de la démarche méthodologique.
- Une présentation du corpus
- Une courte bibliographie indicative.
- Une courte notice biographique
Concernant les articles : une feuille de style sera envoyée aux auteurs dont les contributions seront retenues.
Les résumés doivent être envoyés simultanément aux adresses suivantes :
ibtissemchachou@yahoo.fr, kamilaoulebsir83@gmail.com, albin.wagener@gmail.com