Les approches de la maîtrise de l’information dans la littérature scientifique française en SIC traitent les questions des littéracies informationnelles (Le Deuff, 2012) et de la translittéracie (Serres, 2012), mais aussi des cultures de l’information et de l’Education aux Médias et à l’Information (Liquète, Delamotte, Chapron, 2012) depuis de nombreuses années. Elles sont pour une partie centrées sur les approches didactiques de ces pratiques (Liquète, 2019), et sur certains publics, les jeunes, en particulier (Cordier, 2017 ; Lehmans, Morandi, 2014). Les frictions terminologiques autour des cultures de l’information (Liquète, 2019, Cordier, 2012) dépendent des prismes culturels (Loicq, 2017) et professionnels des acteurs (Serres 2012).
En 2001, Bawden a proposé une revue de littérature conséquente sur l’Information Literacy (IL), qui révèle déjà une absence de consensus sur la définition, la couverture et les approches de l’IL. Ainsi ce terme renvoie-t-il aussi bien à des compétences, qu’à des capacités cognitives. L’IL est également déclinée selon des applications variables selon le domaine visé de l’information : library literacy, media literacy, computer literacy, fonctional literacy, digital literacy… (Le Deuff, 2012). Cette dernière notion de digital literacy initialement proposée par Gilster (1997), place, d’après Simmonot (2009), l’esprit critique au premier rang des compétences numériques. L’esprit critique est lui-même pourtant alternativement considéré comme un composant de l’IL (Oberman et Kimmage, 1995), ou comme sa nécessaire extension (Georgiadou, et al., 2018) quand il n’est pas tout simplement agrégé dans une concaténation des deux expressions sous la forme de « critical information literacy » (Tewell, 2015, 2018 ; Elmborg, 2006). Enfin, les circulations entre les notions de maîtrise de l’information et d’esprit critique ont été abordées dans (Desfriches Doria, 2018).
Cet appel propose ainsi d’interroger la portée de la culture numérique (Millerand, 2004) au regard des enjeux de citoyenneté, en vue de permettre une (ré)appropriation individuelle, réflexive et démocratique des espaces numériques.). Proches des questionnements sur la citoyenneté numérique (Le Deuff, 2009) le présent appel vise à réinterroger ces apports au prisme de la question des littéracies au service de la réception critique.
Ainsi, dans le contexte du numérique où les rapports entre documents, acteurs et concepts forment des écosystèmes complexes (Szoniecky, 2019 ), et au-delà des tentatives de définitions des politiques d’éducation aux médias, les réponses à cet appel pourront aborder comment ces écosystèmes se transforment notamment à travers des dispositifs numériques réflexifs qui stimulent ou inhibent l’accès aux connaissances, la mise en débat des questions de société, l’émancipation individuelle et le pilotage collectif des politiques publiques.
Cet appel incite également à questionner les processus de réception et de fabrication des contenus médiatisés, à travers l’évolution et la transformation constante de leurs formes et formats, toujours plus hybrides, de par leur nature numérique (Cotte, 2004 ; Despres-Lonnet ; Cotte, 2007).
Les propositions d’articles, provenant de chercheurs en SIC, dont la diversité des cadres théoriques et méthodologiques permettront de proposer des apports selon deux axes, et pourront inclure des propositions théoriques, des articles relevant d’études de cas et de manière privilégiée d’études de terrain ou d’expérimentations.
Axe 1. Culture, dialogisme et réflexivité numériques
Au-delà des déclarations d’intention, en matière d’éducation, et considérant que l’ensemble des enjeux de citoyenneté ne peuvent reposer uniquement sur la capacité des citoyens à prendre en charge un écosystème numérique qui se complexifie davantage à l’occasion de chaque évolution technologique, il s’agira de proposer des pistes/actions de transformation de l’univers numérique, vers une prise en compte de l’éthique, du respect des libertés individuelles (data et technologies invasives, nudge…), et du soutien à la mise en débat des questions de société, en regard des échéances et des enjeux écologiques et sanitaires actuels.
- Comment penser les formes de régulation dans les médias sociaux (Badouard, 2020) ? Dans quelle mesure peut-on appréhender les publications dans ces réseaux sociaux comme des débats, aujourd’hui alors même qu’aucune forme d’accord tacite ni de régulation (exceptée la suppression de comptes) n’intervient et par conséquent, que « tout est permis » ? Quelles éventuelles formes de débat en ligne sont aujourd’hui possibles et quels en sont les impensés ?
- Qui possède une autorité pour dire le vrai ou le juste et comment légitimer ces sources ? Quel rôle attribuer aux « médias centers » ?
- Quelles expertises informationnelles, médiatiques faut-il savoir mettre en œuvre, enseigner, diffuser, pour prémunir la société et ses citoyens des effets potentiellement négatifs de la circulation d’informations hybridées ?
- Comment travailler sur l’éducation à l’esprit critique (Desfriches Doria, 2018) et la culture critique en contexte numérique, avec des dispositifs innovants et réflexifs de lutte contre les formes de déformation de l’information (Serious game, Intelligence Artificielle, générateur d’arguments, etc.) pour former et cultiver le sens du débat, et la remise en question chez les citoyens. En d’autre termes comment mettre les acteurs et usagers du numérique en quête d’une réflexivité sur, et par, le numérique ?
L’une des orientations de l’éducation à la culture numérique interroge la réception et la fabrication des contenus médiatisés, à travers l’évolution constante de leurs formes et formats.
Axe 2. Analyse critique des hybridations de l’information, des formats, et rôle de la fiction
À travers l’analyse des ressorts permettant de comprendre la fabrication des rumeurs, des fake news, des mensonges ainsi que du rôle joué par les acteurs de l’écosystème numérique (médias, journalistes, sites de Hoax et de Fact Checking, GAFAM, FAI, communautés du libre, simples utilisateurs…) dans la fabrication-diffusion de ces informations qui polarisent la société (Mercier, 2018), l’angle adopté ici permettra d’adresser la question suivante : dans quelle mesure la maîtrise des formats et de leurs codes sémiotiques influence l’autorité, la crédibilité et de la légitimité des auteurs ? Ainsi si l’on considère la préexistence du mouvement cinématographique du docu-fiction, qui brouille les frontières entre les genres en insérant au documentaire classique des éléments narratifs propres à la fiction, cela invite à interroger le rôle des formats et de leur réception, qui ne peuvent plus désormais constituer des critères fiables d’évaluation de l’information. Aussi, comment mener plus loin l’analyse des formats, de leurs codes sémiotiques et de leur formes d’hybridations, ainsi que celle des glissements argumentatifs qu’ils (sup)portent, afin de rendre compte et de donner des prises d’analyse de ces contenus médiatisés ? L’axe 2 pourra accueillir des productions visant à :
- Étudier les logiques d’argumentation à l’œuvre : Comment les codes langagiers, sémiotiques et médiatiques sont-ils détournés au profit de la contrefaçon de l’information ? Comment les procédés de manipulation empêchent-ils les récepteurs de construire une critique réflexive de ce qu’ils voient, entendent, ou lisent dans les médias ? Quels sont les leviers émotionnels à l’œuvre pour prendre le pouvoir sur la vision du monde des individus ?[1]
- Étudier la porosité des univers des récits fictionnels et informationnels : Dans quelle mesure les processus de narration des œuvres de fiction s’invitant dans les sphères de l’information médiatique concourent-ils à questionner le statut de l’information et sa véracité ? Quel rôle du récit, de la fiction, dans l’appréhension du doute raisonnable et du doute vraisemblable (Smith, 2015) ? Le mélange des genres au sein de la sphère informationnelle, les emprunts à d’autres formats courts issus du web, à des formes narratives brouillant les frontières établies, ne seraient-ils pas le reflet d’une transformation des habitus de réception ? Quel rôle attribuer au mélange de genres dans la création de formes de confusion (Garçon, 2005) ?
- Que nous dit l’appétence actuelle de certains publics pour les fake news, sur l’évolution des modes de réception, dans un écosystème où les écrans prennent de plus en plus de place, où les plateformes émettrices de séries et autres formats fictionnels sont portées par les GAFAM qui sont aussi devenus producteurs de contenus et acteurs de la lutte contre les fake news ?
- Comment appréhender le rapport à la véracité d’une information puisque d’après Lordon (2020)[2] , toute publication médiatique est aussi un récit, le fait faisant toujours l’objet d’une énonciation ? Dans quelle mesure les approches de l’analyse de discours peuvent-elles constituer des outils d’analyse des mises en récit médiatiques ?
Calendrier
- Séminaire consacré à l’appel : 24 juin 2021
- Pour la proposition d’article : Date de remise des intentions de communiquer (résumé) : 17 juillet 2021
- Date de réception des articles complets (se référer à la feuille de style de la revue) : 17 octobre 2021
- Date de retour aux auteurs : 17 novembre
- Date de réception des articles corrigés : 30 décembre 2021
Références bibliographiques
Association of College and Research Libraries (ACRL). (2016). Framework for information literacy for higher education. [consulté le 15/08/18] http://www.ala.org/acrl/sites/ala.org.acrl/files/content/issues/infolit/Framework_ILHE.pdf
Badouard R. (2020). La régulation des contenus sur Internet à l’heure des « fake news » et des discours de haine. Communications, 1(1), 161-173. https://doi.org/10.3917/commu.106.0161 SMASH
Bawden D. (2001). Information and digital literacies : a review of concepts. Journal of documentation.
Citton Y. (Ed.). (2014). L’économie de l’attention : nouvel horizon du capitalisme ? La Découverte.
Cordier A. (2017). Grandir connectés : les adolescents et la recherche d’information. C & F Éditions.
Cordier A. (2012). Et si on enseignait l’incertitude pour construire une culture de l’information ?. Communication et organisation, (42), 49-60.
Cotte D. (2004). Le concept de « document numérique ». In : Communication et langages, n°140, 2ème trimestre. Dossier : Du « document numérique » au « textiel ». pp. 31-41.
Desfriches Doria O. (2018). « Culture Informationnelle et pensée critique, vers une approche créative », ESSACHESS. Journal for Communication Studies, vol. 11, no. 2(22).
Després-Lonnet M., Cotte D. (2007). Nouvelles formes éditoriales en ligne. In : Communication et langages, n°154, L’énonciation éditoriale en question. pp. 111-121.
Elmborg J. (2006). Critical information literacy : Implications for instructional practice. Journal of Academic Librarianship, 32, 192-199.
Farooq O., (2018). « The Effect of Elaborative Interrogation on the Synthesis of Ideas from MultipleSources of Information”. Criss Library Faculty Publications. 34.
Garçon F. (2005). Le documentaire historique au péril du « docufiction ». Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 4(4), 95-108. https://doi.org/10.3917/ving.088.0095 SMASH
Georgiadou E., Rahanu H., Siakas K. V., McGuinness C., Edwards J. A., Hill V., … & Knezevic R. (2018). Fake news and critical thinking in information evaluation.
Gilster P. (1997). Digital literacy. New York : Wiley Computer Pub.
Jehel S. (2020). La défiance des adolescents vis-à-vis de l’information journalistique dans le contexte de la crise de l’information, in Jehel. S et Saemmer. A, Éducation critique aux médias et à l’information en contexte numérique, Presses de l’Enssib.
Le Deuff O. (2012). Littératies informationnelles, médiatiques et numériques : de la concurrence à la convergence ?. Études de communication. Langages, information, médiations, (38), 131-147.
Le Deuff O. (2009). Penser la conception citoyenne de la culture de l’information. Les Cahiers du numérique, Lavoisier, 5 (3), pp.39-49. sic_00607084
Lehmans A., Morandi F. (2014). Approche translittéracique de l’activité informationnelle en éducation : Maturité informationnelle et grammaire des usages. Colloque Éducation aux médias, Nouveaux enjeux, rôles et statuts des acteurs Abidjan 13-14 mars 2014, Abidjan, Côte d’Ivoire.
Liquète V., Delamotte E., & Chapron F. (2012). L’éducation à l’information, aux TIC et aux médias : le temps de la convergence ?. Études de communication, 38.
Liquète V. (2019). Cultures de l’information. CNRS Éditions via OpenEdition.
Loicq M. (2017). De quoi l’éducation aux médias numériques est-elle la critique ?. tic&société, 11(1), 137-165
Mercier A. (2018). Fake news et post-vérité : 20 textes pour comprendre la menace. The Conversation France, 2018. hal-01819233, [en ligne] [consulté le 22/02/2021], https://hal.univ-lorraine.fr/hal-01819233/document
Millerand, F. (2004). L’appropriation du courrier électronique en tant que technologie cognitive chez les enseignants chercheurs universitaires : vers l’émergence d’une culture numérique ?. (Thèse de doctorat, Université de Montréal .
Oberman C., & Kimmage D. (1995). Russian-American Seminar on Critical Thinking and the Library. In Russian-American Seminar on Critical Thinking and the Library (1992 : Moscow, Russia). Graduate School of Library and Information Science. University of Illinois at Urbana-Champaign..
Serres A. (2012). Repères sur la translittératie : 5ème Séminaire du GRCDI, ”La translittératie en débat : regards croisés des cultures de l’information (infodoc, médias, informatique) et des disciplines”, Rennes, 7 septembre 2012 . 2012.
Simonnot B. (2009). Culture informationnelle, culture numérique : au-delà de l’utilitaire. Les Cahiers du numérique, 5(3), 25-37.
Smith F. (2015). Entre relativisme et dogmatisme : la quête d’une troisième voie, Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 77 | 2018, mis en ligne le 30 avril 2020, consulté le 05 août 2018. URL : http://journals.openedition.org/ries/6137 ; DOI : 10.4000/ries.6137 SMASH
Szoniecky S. (2019). « Métamorphoses et Hybridations d’une Archive Numérique Pour Sa Valorisation : Vers Des Écosystèmes de Connaissances » édité par S. Leleu-Merviel et K. Zreik. Journal of Human Mediated Interactions 20(1):77‑104.
Tewell E. (2015). A decade of critical information literacy : A review of the literature. Communications in Information Literacy, 9(1), 2.
Tewell E. C. (2018). The Practice and Promise of Critical Information Literacy : Academic Librarians’ involvement in Critical Library Instruction. College & Research Libraries, 79(1), 10.
[1] https://www.franceculture.fr/emissions/les-idees-claires-le-podcast/en-quoi-hold-est-il-un-documentaire-complotiste
[2] “Des faits n’ont jamais rien dit d’eux-mêmes (…) Des faits ne sont mis en ordre que par un travail de médiations qui ne leur appartiennent pas. Ils ne font sens que saisis du dehors par des croyances, des idées, des schèmes interprétatifs” (Manière de voir n°172, “un journalisme post-politique”, Août-Septembre 2020).
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