Argumentaire
L’horreur à l’écran est un genre lucratif. Les récents triomphes commerciaux le confirment : les deux films consacrés à Ça (2017 et 2019) de Stephen King font partie des productions les plus rentables des dernières années et les séries horrifiques telles que The Haunting (2018) ou American Horror Story (2011), pour ne citer que les plus connues, sont légions. La culture populaire et les fictions pour la jeunesse témoignent de la vitalité d’un genre qui transcende les catégories, les médias et les modes énonciatifs pour s’épanouir sur les chaînes de télévision comme HBO, FX ou AMC, à travers le système de replay des chaînes virtuelles et plus encore sur les plates-formes de streaming comme Netflix, Hulu ou encore Shadows : cette dernière est exclusivement consacrée à la fiction horrifique, signe que l’industrie du divertissement a parfaitement cerné les goûts du public actuel.
Dans son article intitulé, « La tripe cinématographique », Christian Oddos rappelle que « le but essentiel des films d’horreur est de transmettre une horreur visuelle et sordide ou encore d’infliger au spectateur, par l’intermédiaire d’un personnage, une horreur intellectuelle et morale »[1]. Cette définition date de 1988 : à cette époque, le cinéma reste une forme de divertissement majeure, mais déjà concurrencée par la télévision et la vidéo. Si le cinéma projette, ritualise et sacralise l’expérience horrifique, la télévision la diffuse et la vidéo la fétichise. L’avènement des networks puis de l’internet a depuis bouleversé notre rapport à la fiction cinématographique et télévisuelle. Les films et les séries sont plus nombreux, plus immédiatement disponibles ; les pratiques et les expériences se transforment. Ces changements à la fois confortent et renforcent la place de l’horreur dans le champ culturel tout en amorçant des métamorphoses esthétiques et formelles qu’il serait intéressant d’étudier dans le cadre précis des plates-formes de streaming et des chaînes virtuelles.
Les contributeurs pourront explorer les axes de recherche suivants (la liste n’est évidemment pas exhaustive) :
Axe esthétique : l’horreur à l’écran
Avant les années 2000, l’amateur de film d’horreur fréquentait les cinéclubs, collectionnait les cassettes vhs ou parcourait les programmes télévisés. Depuis, les chaînes thématiques sont apparues et l’usage de l’internet s’est généralisé. Le téléchargement et le streaming ont pris une ampleur telle que l’on peut visionner un film ou un épisode d’une série presqu’à tout moment, sur son ordinateur, sa tablette ou son téléphone portable. Dans quelle mesure ces nouveaux écrans et ces nouveaux modes énonciatifs influencent-ils l’esthétique horrifique et la représentation de l’horreur ?
Axe génétique : horreur et réécriture
Dans le vaste champ de la culture de masse, la citation, l’emprunt et la réécriture sont de mise. L’horreur n’échappe pas à la règle et depuis des décennies, les adaptations, les remakes et autres ré-imaginations nourrissent le genre : entre la littérature, le cinéma, la bande-dessinée et la télévision, les échangent sont nombreux et constants. Les nouvelles fictions horrifiques puisent à cette source, multipliant les références explicites ou les clins d’œil au spectateur. Quelles sont les tendances et les modalités de cette réécriture dans l’univers du streaming ?
Axe narratologique : horreur et sérialité
La série est peut-être la forme narrative dominante aujourd’hui. Dans le domaine des longs métrages, les diptyques, les trilogies ou les sagas foisonnent. Les séries d’horreur, feuilletonnesques ou anthologiques, constituent une part importante du catalogue des chaînes virtuelles et des plates-formes de vidéo à la demande. Les formats évoluent, les épisodes se font plus longs et se rapprochent des films en termes de réalisation, de rythme et de durée. On pourra se demander comment ce principe poétique et économique de sérialité informe la fiction horrifique.
Axe sociologique : horreur et société
Le récit d’horreur revêt très souvent, on le sait, une dimension allégorique. Mais on peut à bon droit s’interroger sur la portée métaphorique des fictions horrifiques contemporaines tant elles abordent de manière explicite, frontale, voire didactique, les questions qui animent nos sociétés. Il serait intéressant de réévaluer la forme et les fonctions de l’argumentation dans ces œuvres qui touchent désormais un très vaste public.
Axe épistémique : de la fiction à l’objet critique
Depuis un certain nombre d’années déjà, le milieu universitaire et la critique journalistique s’est emparé des productions de la culture de masse. On remarquera que les approches sociologiques ou culturalistes dominent en la matière. L’idée selon laquelle les films ou les séries actuelles reflèteraient notre société et ses tensions est en passe de devenir un lieu commun. Cet intérêt ne laisse pas d’interroger les rapports d’influence réciproque qui peuvent exister entre les créateurs et ce public d’experts et assimilés : tout se passe comme si la reconnaissance de la fiction horrifique en tant qu’objet critique valait pour une reconnaissance esthétique, un gage de qualité et de réussite. Face à l’engouement universitaire et plus généralement médiatique, les créateurs ne sont-ils pas tentés de produire et de diffuser de façon industrielle des œuvres dans l’air du temps, destinées non seulement à divertir, mais aussi à être commentées par les critiques et les chercheurs de tout bord ?
Échéances
Les propositions (environ 250 à 300 mots) sont à envoyer au responsable du numéro avant le 3 mars 2021.
Les articles retenus devront être remis avant le 1er juillet 2021.
Bibliographie sélective
Arouimi, Michel, L’épouvante fondatrice, L’effet miroir des films d’horreur, Rosières-en-Haye, Camion noir, 2017.
Astic, Guy, Outrance et ravissement. Images et mots de l’horreur 1, Aix-en-Provence, Rouge Profond, 2017.
Astic, Guy, Territoires de l’effroi. Images et mots de l’horreur 2, Aix-en-Provence, Rouge Profond, 2017.
Astruc, Frédéric (dir.), Représenter l’horreur, Aix-en-Provence, Rouge Profond, 2015.
Bordas, Arnaud, De chair et de sang. Les plus grandes figures du cinéma d’horreur, Paris, Huginn & Muninn, 2013.
Chevalier-Chandeigne, Olivia, La Philosophie du cinéma d’horreur. Effroi, éthique et beauté, Paris, Ellipses, 2014.
Dessinges Catherine, Perticoz, Lucien, « Les consommations de séries télévisées des publics étudiants face à Netflix : une autonomie en question », in Les Enjeux de l’information et de la communication, n° 20/1, 2019/1, pp. 5-23
Dufour, Eric, Le Cinéma d’horreur et ses figures, Paris, Presses universitaires de France, 2006
Esquenazi, Jean-Pierre, Les Séries télévisées : L’Avenir du cinéma ?, Paris, Armand Colin, 2010.
Favard, Florent, Écrire une série TV : La Promesse d’un dénouement, Tours, PUFR, 2019.
Florent, Favard, « Séries et genres de l’imaginaire », in Revue de la BNF, n°59, 2019/2, pp. 97-103
Godin Marc, Gore, autopsie d’un cinéma, Paris, Édition du Collectionneur, 1994.
Jeannot, Étienne, Les stratégies de la peur dans le cinéma d’horreur, Paris, L’Harmattan, 2019.
Jenner, Mareike, Netflix and the Re-invention of Television, Palgrave MacMillan, 2018.
Jost, François, « Repenser le futur avec les séries. Essai de narratologie comparée », in Télévision, n°7, 2016, pp. 13-30.
Lafond, Frank (dir.), Cauchemars américains. Fantastique et horreur dans le cinéma moderne, Liège, Édition du Céfal, 2003.
Laroche, Robert, L’enfer du cinéma 2. Dictionnaire du cinéma d’épouvante, Paris, Scali, 2007.
Lenne, Gérard, Cela s’appelle l’horror, Paris, Librairie Seguier, 1989.
Letourneux, Matthieu, Fictions à la chaîne. Littératures sérielles et culture médiatique, Paris, Le Seuil, collection « Poétique », 2017.
Lipovetsky, Gilles, Serroy, Jean, L’Écran global, Paris, Seuil, 2007.
Paquet-Deyris, Anne-Marie (dir.), Les cinémas de l’horreur. Les maléfiques, Condé-sur-Noireau, Charles Corlet, 2010.
Rouyer, Philippe, Le Cinéma gore. Une esthétique du sang, Paris, Édition du Cerf, 1997.
Triollet, Christophe (dir.), Gore & violence, collection « Darkness. Censure & Cinéma », La Madeleine, Éditions LettMotif, 2017.
Note
[1] Christian Oddos, « La tripe cinématographique », Solaris, no 81, 1988, p. 41.
Mots-clés
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