Argumentaire
En 2010 la revue Études de communication propose un dossier intitulé « Pratiques informationnelles : Questions de modèles et de méthodes ». Les coordonnateurs du dossier constatent dans l’introduction de ce numéro 35 la variété des terrains investis pour analyser les pratiques informationnelles et invitent à dépasser cet éparpillement empirique pour « poser des questions de nature méthodologique, théorique et épistémologique » (Chaudiron et Ihadjadene, 2010). De fait, interroger la validité des théories et des modèles informationnels a incontestablement permis d’affirmer conjointement un champ conceptuel et d’analyse.
Un consensus semble s’être fait jour autour de la définition de la notion de pratiques informationnelles posée en 2009, très souvent reprises dans les écrits scientifiques en SIC : dans le cadre d’une approche anthropocentrée, les pratiques informationnelles sont comprises comme « la manière dont l’ensemble des dispositifs (…), des sources (…), des compétences cognitives et habiletés informationnelles sont effectivement mobilisées dans les différentes situations de production, de recherche et de traitement de l’information » (Ihadjadene et Chaudiron, 2009). Il semble toutefois que l’on ait peu remarqué une proposition notable d’enrichissement de la notion de « pratiques informationnelles » précisément dans le numéro 35 de la revue Études de communication dès l’année suivante. Les auteurs-coordonnateurs ajoutent en effet une dimension collective à la pratique informationnelle ainsi qu’une dimension communicationnelle en y intégrant les situations « d’usage, de partage et de communication de l’information » (Chaudiron & Ihadjadene, 2010, p. 16). Cette définition vient consacrer les liens observés socialement entre information et communication, mais aussi entre logiques individuelles et logiques sociales d’appréhension de l’information.
Plus de dix ans après ce numéro d’Études de Communication que nous considérons fondateur, en tant que chercheuse et chercheur en Sciences de l’information et de la communication engagé·es dans des recherches inscrites dans le domaine des cultures de l’information et du document, nous souhaitons par ce dossier prolonger le questionnement. Pourquoi est-il pertinent, aujourd’hui, de retravailler les « pratiques informationnelles » d’un point de vue théorique comme méthodologique ? En quoi la connaissance fine de pratiques informationnelles situées dans des contextes socio-économiques et culturels mais aussi professionnels permet-elle d’affirmer ou à l’inverse d’invalider la pertinence de modèles conceptuels ? En quoi les évolutions connues par l’ordre documentaire contemporain incitent à renouveler les questionnements et les modes d’appréhension scientifiques de l’information, du document et de la connaissance ?
Dans le champ de la Library and information science, le recours aux questionnements, concepts et méthodes de la phénoménologie a favorisé une pluralité d’études centrées autour de la notion d’expérience informationnelle (information expérience). Dans ce cadre, l’information est considérée comme un processus ayant à la fois une dimension sociale, culturelle, sensible, intellectuelle et émotionnelle qui participe pleinement à l’appréhension du monde par le sujet (Bruce et al., 2014 ; Cordier, 2019 ; Gorichanaz, 2020). Par ailleurs, les évolutions de l’environnement informationnel de cette dernière décennie conduisent à une reconfiguration des modes d’accès à l’information à travers l’usage des supports mobiles qui constitue un facteur d’évolution des conditions matérielles, spatiales et temporelles. L’environnement informationnel déployé depuis la dernière décennie favorise une porosité accrue des frontières entre l’information scientifique, professionnelle, la vulgarisation, l’actualité et le divertissement qui circulent via les médias sociaux et les réseaux sociaux numériques. Ce nouvel environnement informationnel génère des questionnements sur les phénomènes de redistribution de l’autorité cognitive et de crédibilité de l’information (Sahut et Tricot, 2017), sans oublier les tensions entre ouverture cognitive et culturelle permise par la facilité d’accès des ressources en ligne (Cordier, 2019 ; Pasquier, 2018) et effets de clôture informationnelle induits par l’homophilie des relations des réseaux sociaux et/ou la fonction de personnalisation des algorithmes de classement des informations (Cardon, 2015).
Partant de ces évolutions qui sont autant d’enjeux à prendre en considération, le présent dossier invite donc à renouveler l’étude des pratiques informationnelles dans leurs approches conceptuelles et méthodologiques en tenant compte de la richesse des réflexions déjà menées dans le domaine et ayant donné lieu à des avancées épistémologiques et empiriques remarquables. Sans que ce cadre ne soit exhaustif ni limitatif, il nous semble pouvoir pointer quelques entrées principales ; toute proposition qui s’insère dans une entrée précise, combine plusieurs entrées ou qui même en propose une autre est bienvenue.
- L’étude des pratiques informationnelles suppose de porter une attention particulière au contexte dans lequel elles s’insèrent. Si ce concept de contexte traduit la volonté de prendre en compte l’ensemble des facteurs qui influencent les pratiques, il demeure polysémique et souvent flou (Paganelli, 2016 ; Simonnot, 2012). On peut alors s’interroger sur ses modalités de description, voire de combinaison des différents éléments le composant (spatial, temporel, social, matériel…) afin d’aboutir à une caractérisation précise des pratiques informationnelles. Cette attention portée au rôle du contexte va de pair avec une volonté de saisir des pratiques « situées » d’acteurs sociaux évoluant au sein de communautés et d’environnements spécifiques. Dès lors, on peut s’interroger sur les possibilités de « montée en généralité » des études adoptant cette approche. En d’autres termes, dans quelle mesure des modélisations de pratiques informationnelles peuvent-elles émerger de travaux qui donnent un poids si important à des variables contextuelles nombreuses et différentes ?
- De surcroît le bref état de la question proposé ci-dessus a suggéré la diversité des approches scientifiques récentes tant au niveau conceptuel que méthodologique. Ces approches sont-elles compatibles d’un point de vue théorique et empirique ? Plus encore, dans quelle mesure remettent-elles en question les fondements et les acquis forgés par les Sciences de l’information lors des décennies précédentes ?
- Qui plus est, l’accès apparaît indifféremment possible aussi bien à des informations connaissances (information knowledge ; information de type documentaire, scientifique, vulgarisée…) qu’à des informations de type actualité (information news) par les mêmes dispositifs info-communicationnels (réseaux sociaux numériques, moteurs de recherche…). Dans ce contexte, le questionnement sur les possibles articulations entre les Sciences de l’information (et Library and information science) et les Sciences de la communication (Medias studies) initié il y a dix ans semble plus que jamais d’actualité. On peut ainsi s’interroger sur les croisements entre les concepts, modèles, et méthodes issus de ces deux « disciplines » susceptibles de favoriser une approche réactualisée des pratiques informationnelles.
- Les reconfigurations contemporaines à la fois éditoriales, symboliques mais aussi culturelles, des objets informationnels engagent les problématiques de compréhension/réception des processus d’éditorialisation (Souchier et al., 2019), de mise à jour des logiques (économiques et politiques) de médiations des savoirs sous-tendues mais aussi de saisie de la matérialité de l’activité engagée. Que font ces reconfigurations et les formes culturelles de l’information émergentes aux modèles conceptuels et d’analyse permettant de saisir les pratiques informationnelles dans ce cadre ?
Sélection des propositions
La sélection des propositions de contribution se fait en deux temps :
- sur la base d’un résumé de 1 500 à 2 000 mots qui présentera les objectifs, l’argumentation et l’originalité de la proposition ainsi que quelques orientations bibliographiques,
- pour les résumés retenus, une seconde évaluation sera réalisée sur la base des articles définitifs.
Les instructions aux auteurs·rices, à respecter scrupuleusement, sont disponibles sur le site de la revue : https://journals.openedition.org/edc/668.
L’évaluation sera assurée de manière anonyme par au moins deux lecteurs·rices du comité.
L’envoi des résumés, au plus tard le 30 juin 2022, au format .doc/.docx ou .odt se fait aux deux adresses suivantes :
Les propositions d’articles et les articles définitifs d’une longueur de 35 000 signes (espaces, notes de bas de page et bibliographie compris) peuvent être soumis en français ou en anglais. Les articles définitifs sont publiés en français pour la version papier du numéro de la revue, français (et le cas échéant en anglais) pour la version électronique. Aucun engagement de publication ne peut être pris avant la lecture du texte complet.
Calendrier
- 30 juin 2022 : soumission des résumés pour évaluation
- 30 juillet 2022 : notification de l’acceptation ou du refus
- 15 décembre 2022 : remise de la version complète des articles
- 1er juin 2023 : réception des versions définitives des articles
- 15 décembre 2023 : publication du dossier dans le numéro 61 d’Études de Communication
Comité de lecture
- Mickael Buckland, université de Californie – Berkeley, USA
- Stéphane Chaudiron, université de Lille
- Viviane Clavier, université Grenoble-Alpes
- Isto Huvila, université de Uppsala, Suède
- Madjid Ihadjadene, université Paris 8
- Jerry Jacques, université catholique de Louvain, Belgique
- Olivier Le Deuff, université Bordeaux Montaigne
- Anne Lehmans, université de Bordeaux
- Louise Limberg, université de Borås, Suède
- Vincent Liquète, université de Bordeaux
- Dominique Maurel, université de Montréal, Canada
- Céline Paganelli, université Paul Valéry – Montpellier 3
- Brigitte Simonnot, université de Lorraine
- Angèle Stalder, université Jean Moulin – Lyon 3
- Christian Vandendorpe, université d’Ottawa, Canada
- Lise Verlaet, université Paul Valéry – Montpellier 3
Appel à articles pour la rubrique Varias
Études de communication lance un appel à articles permanent pour sa rubrique Varias.
Toutes les propositions dans les différents domaines de la recherche en SIC sont les bienvenues. Les consignes de rédaction sont disponibles sur le site de la revue : https://journals.openedition.org/edc/668.
Bibliographie indicative
- Bruce, C., Davis, K., Hughes, H., Partridge, H., & Stoodley, I. (Éds.). (2014). Information Experience : Approaches to Theory and Practice. Emerald Group Publishing.
- Cardon, D. (2015). À quoi rêvent les algorithmes : Nos vies à l’heure des big data. Seuil.
- Chaudiron, S., & Ihadjadene, M. (2010). De la recherche de l’information aux pratiques informationnelles. Études de communication, 35, 13‑30. https://doi.org/10.4000/edc.2257
- Cordier, A. (2019). Vers une Poïétique de l’être-au-monde-informationnel. Volume 3—Recherche originale [Habilitation à diriger des recherches]. Université de Bordeaux Montaigne.
- Gorichanaz, T. (2020). Information Experience in Theory and Design. Emerald Group Publishing.
- Ihadjadene, M., & Chaudiron, S. (2009). Des processus aux pratiques : Quels modèles informationnels pour analyser l’accès à l’information en contexte professionnel ? Évolutions technologiques et information professionnelle : pratiques, acteurs et documents, 1‑12. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00468728
- Paganelli, C. (2016). Réflexions sur la pertinence de la notion de contexte dans les études relatives aux activités informationnelles. Études de communication, 46, 165‑188. https://doi.org/10.4000/edc.6545
- Pasquier, D. (2018). L’internet des familles modestes. Enquête dans la France rurale. Mines ParisTech-PSL.
- Sahut, G., & Tricot, A. (2017). Wikipedia : An opportunity to rethink the links between sources’ credibility, trust, and authority. First Monday, 22(11). https://doi.org/10.5210/fm.v22i11.7108
- Simonnot, B. (2012). L’accès à l’information en ligne. Moteurs, dispositifs et médiations. Hermès science publications-Lavoisier.
- Souchier, E., Candel, É., & Gomez-Mejia, G. (2019). Le numérique comme écriture : Théories et méthodes d’analyse. Armand Colin.