Présentation
L’histoire de la recherche en sciences de l’information et de la communication est une préoccupation somme toute récente pour les chercheurs francophones.
Au Québec, des chercheurs comme Serge Proulx, Roger De la Garde, François Yelle et Dominique Trudel s’y sont intéressés (Proulx, 2001 ; De la Garde et Yelle, 2002 ; Yelle, 2015 ; Trudel, 2012).
En France, dans la foulée des travaux pionniers de Robert Boure et de ses collaborateurs (Boure, 2002) et à l’occasion d’anniversaires – notamment le 30e anniversaire du congrès de la Société Française des Sciences de l’Information et de la Communication, souligné en 2008 à Compiègne – les SIC se sont réflexivement penchées sur leur histoire au milieu des années 2000, notamment dans le cadre de la publication de dossiers thématiques dans Hermès (2007) et Questions de communication (2007). Alors que ces initiatives ont contribué à légitimer la préoccupation pour l’histoire du champ d’études auprès des chercheurs et à révéler des pans méconnus de celle-ci – dont les « accidents de parcours » (Fleury et Walter, 2007) sont nombreux et dignes d’intérêt – et à préciser les prémisses épistémologiques et méthodologiques d’une telle entreprise (Boure, 2008), cette histoire demeure encore largement à écrire. En effet, ces quelques épisodes historico-réflexifs n’ont eu que peu de suites durant la dernière décennie, malgré quelques exceptions notables (Cabedoche, 2016 ; Wagman, 2016 ; Bonaccorsi et Jeanneret, 2019 ; Averbeck-Lietz, Cordonnier, Bonnet et Wilhelm, 2019).
L’histoire de la recherche francophone en sciences de l’information et de la communication demeure peu explorée, en contraste avec l’historiographie anglophone qui connaît d’importants développements au cours des vingt-cinq dernières années (Pooley, 2008 ; Simonson et Park, 2015).
Les références à l’histoire du champ se trouvent encore bien souvent aux marges de la production scientifique, dans des notices nécrologiques ou encore au hasard de revues de la littérature. Les bribes de ces « histoires spontanées » (Delcambre, 2007 ; Boure, 2006), qui se présentent sous la forme de fragments de récits affranchis d’appareils méthodologiques et de sources, ont pourtant une fonction importante. En l’absence d’une historiographie pleinement développée et capable de rendre justice à la diversité des approches qui ont façonné et façonnent les SIC, ces récits concourent à légitimer des traditions, des objets et des méthodes, traçant du même geste les contours du champ d’études. Si toute démarche historique est nécessairement en partie rétrospective et s’élabore dans des conditions sociohistoriques et depuis une position dont elle ne peut complètement s’abstraire, il faut bien admettre que ces conditions ont bien évolué depuis l’émergence de ces premiers projets historiographiques, il y a déjà plus d’une décennie.
En effet, le champ d’études a été profondément marqué par un intérêt pour le « digital » au cours des dernières années (Le Deuff, 2018 ; Schwarzenegger, Koenen, Pentzold et al., 2022). Un simple coup d’œil aux appels à communication et aux fiches de recrutement des enseignants-chercheurs ne laisse aucun doute sur la prégnance du digital (ou, au Québec, du « numérique »). Souvent présenté comme une nouveauté ou une révolution, le digital renvoie paradoxalement à de larges pans de l’histoire intellectuelle et matérielle du champ d’études, notamment aux discussions sur le digital et l’analogique qui ont marqué les beaux jours de la cybernétique (Pias, 2005). Ce paradoxe nous conduit à tirer trois conclusions en ce qui concerne le champ d’études.
D’une part, la centralité de l’objet « digital » appelle nécessairement à une reconsidération des frontières et de l’histoire du champ d’études et à la rencontre avec de « nouveaux passés » qui doivent être pensés dans leurs rapports avec les technologies digitales et au prisme d’influences intellectuelles et de contextes institutionnels et sociopolitiques qui semblaient jusqu’à maintenant peu pertinents.
Au niveau théorique, une des conséquences du « tournant digital » est de solidariser davantage les aspects informationnels et communicationnels des problématiques et des objets, ce qui donne à la configuration française (les SIC) une actualité toute particulière sinon un caractère prescient (voir Cormerais, Le Deuff, Lakel et Pucheu, 2016). D’autre part, l’emballement contemporain autour du digital s’accompagne de l’effacement de nombreux objets qui s’accommodent difficilement des discours insistant sur la « nouveauté » du digital. Les objets digitaux d’aujourd’hui et les démarches qui permettent de les appréhender apparaissent ainsi sans héritage, alors que de larges pans de la recherche sont tombés dans un oubli relatif. Enfin, au niveau méthodologique, le digital ouvre des perspectives qui sont susceptibles d’éclairer l’histoire intellectuelle de la recherche en communication sous des jours nouveaux (Wilhelm et Thévenin, 2017).
Les outils de numérisation, de lecture automatisée, de visualisation et d’éditorialisation permettent non seulement de faire émerger de nouvelles problématiques, mais également d’envisager l’histoire et la mémorialisation des études en communication au prisme de nouvelles médiations digitales. Alors que l’histoire digitale et les humanités numériques suscitent un engouement important et d’importants développements institutionnels à travers la francophonie (pensons par exemple au centre C2DH de l’Université du Luxembourg, au Centre de recherche interuniversitaire sur les humanités numériques de l’Université de Montréal, etc.), ces approches demeurent somme toute peu mobilisées par les chercheurs francophones dont les travaux s’inscrivent dans le champ des études en communication (ou en sciences de l’information et de la communication).
Ce numéro spécial de Communication propose d’accueillir des contributions articulant l’histoire digitale et la recherche en (information et) communication. Les contributions porteront plus précisément sur les trois axes suivants :
Axe 1 : L’histoire de différents projets intellectuels « pré-digital »
Nous songeons ici à toutes les réflexions et néologismes qui ont précédé et accompagné la constitution des études en (information et) communication, notamment la bibliologie, l’infologie, la documentologie, la communicologie et les perspectives autour des sciences de l’écrit (Estivals, 1993). Les contributions pourront notamment interroger les sources intellectuelles et institutionnelles de ces projets (Rayward, 2017 ; Van Acker, 2011 ; Day, 2001) et proposer des approches comparatives en évoquant d’autres contextes nationaux, « accidents de parcours » ou projets intellectuels apparentés. Par exemple, des recherches récentes ont ainsi porté sur les travaux pionniers de Paul Otlet (HyperOtlet), parfois qualifié de visionnaire proto-digital ou steampunk, ou encore sur les concepts associés au digital, pensés sur le temps long (Balbi, Ribeiro, Schafer et Schwarzenegger, 2021).
Axe 2 : La recherche sur le digital… avant le digital
Alors que le digital est souvent associé au World Wide Web et à son émergence dans les années 1990, différentes technologies digitales ont auparavant été l’objet de l’intérêt des chercheurs en communication (Buckland, 2006).
Ces différentes recherches, portant sur des médias et des technologies divers – on pense au Minitel et aux autres technologies vidéotex et télétex (Telidon, Alextel, etc.), à l’ordinateur personnel et ses usages pionniers, ou encore aux différentes démarches prospectives cherchant à problématiser un futur inquiétant ou enchanteur – ont été une préoccupation majeure des chercheurs depuis le milieu des années 1970, contribuant de manière significative à faire évoluer les problématiques classiques portant sur les effets et les contenus des médias. Succédant à des recherches pouvant être associées aux « origines » ou à la « fondation » du champ d’études, et peut-être encore considérées comme « contemporaines », ces différentes recherches ont aujourd’hui une place restreinte dans l’historiographie du champ d’études.
Axe 3 : Les formes d’écritures digitales de l’histoire ou de mémorialisation
Comment écrire l’histoire du champ d’études à partir des traces, mémoires, témoignages et archives qui sont à notre disposition et avec le concours d’outils numériques ? Quelles médiations digitales pouvons-nous imaginer pour mieux saisir ses différentes configurations et ainsi faciliter son explicitation et sa transmission auprès de différents publics (étudiants, chercheurs, etc.) ? Quels sont les enjeux de ces écritures et mémorialisations digitales ?
Les éditeurs souhaitent tout particulièrement accueillir des propositions réflexives qui s’appuient sur des dispositifs et outils numériques permettant d’explorer l’histoire intellectuelle du champ d’études (De Maeyer et Trudel, 2018) ou d’en « faire mémoire » (Merzeau, 2012).
Soumission d’une proposition d’article
Les propositions d’articles doivent compter entre 1 200 à 1 500 mots (bibliographie non comprise). Elles présenteront le titre, la problématique, la méthodologie, incluant la base empirique utilisée, et les principaux résultats.
La proposition doit être anonyme. L’auteur indiquera ses nom, institution d’appartenance et coordonnées directement dans le courriel.
Merci d’envoyer vos propositions par courrier électronique aux trois coordinateurs :
- Olivier Le Deuff : oledeuff@gmail.com
- Dominique Trudel : dtrudel@audencia.com
- Stefanie Averbeck-Lietz : stefanie.averbeck.lietz@uni-bremen.de
La réception de chaque proposition donnera lieu à un accusé de réception par courriel.
Calendrier
- 27 mai 2022 : Appel aux contributions.
18 juillet 2022(prolongé au 15/08/22) : Date limite d’envoi des propositions d’articles. Les propositions seront évaluées par le comité scientifique en regard de leur pertinence pour le dossier thématique et de leur qualité scientifique.- 1 août 2022 : Notification d’acceptation ou de refus.
- 31 octobre 2022 : Les auteurs acceptés envoient leurs articles complets directement à la revue Communication : revue.communication@com.ulaval.ca. La longueur de l’article final, si la proposition est retenue, sera de 40 000 à 60 000 signes, espaces non compris (ceci inclut les notes mais exclut la bibliographie). Prière d’appliquer les consignes rédactionnelles de la revue : http://journals.openedition.org/communication/6159. Chaque article sera évalué en double aveugle par un comité de lecture indépendant. Le comité de coordination en consultation avec son comité scientifique et l’équipe éditoriale de la revue Communication décidera, à la lumière des évaluations, de l’acceptation en l’état, de la demande de modifications ou du rejet.
- 9 janvier 2023 : Retour aux auteurs sur l’article.
- 6 mars 2023 : Remise de la nouvelle version de l’article directement à la revue Communication : revue.communication@com.ulaval.ca. Le comité de coordination en consultation avec son comité scientifique vérifiera si les modifications apportées répondent aux recommandations du comité de lecture indépendant.
- 27 mars 2023 : Retour aux auteurs sur la nouvelle version.
- Avril et mai 2023 : Révision linguistique.
- Juin 2023 : Retour aux auteurs pour validation et autorisation à publier.
- Juillet 2023 : Publication.
Bibliographie
- AVERBECK-LIETZ, Stefanie, Fabien BONNET, Sarah CORDONNIER et Carsten WILHELM (2019), « Communication Studies in France. Looking for a ‘Terre du milieu’ », Publizistik, 64, p. 363-380. [En ligne]. DOI : 10.1007/s11616-019-00504-3. Page consultée le 8 avril 2021.
- BALBI, Gabriele, Nelson RIBEIRO, Valérie SCHAFER et Christian SCHWARZENEGGER (2021), Digital Roots : Historicizing Media and Communication Concepts of the Digital Age, Munich, De Gruyter Oldenbourg.
- BONNACORSI, Julia et Yves JEANNERET (2019), « Genette et les SIC, une filiation paradoxale », Communication & Langages, 202, p. 49-66.
- BOURE, Robert (dir.) (2002), Les origines des sciences de l’information et de la communication. Regards croisés, Lille, Presses universitaires du Septentrion.
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BOURE, Robert (2008), « L’histoire des sciences de l’information et de la communication (3). Postures concepts et méthodes en débat », Questions de communication, 13, p. 131-152. - BUCKLAND, Michael Keeble (2006), Emanuel Goldberg and His Knowledge Machine, Westport, Greenwood Publishing Group.
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