Revue Réseaux

L’IA en santé : quelles formes récurrentes pour quels enjeux ?

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Réponse attendue pour le 01/12/2023

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Les représentations associées à l’« intelligence artificielle » (IA) se déclinent en fonction du pan de l’activité sociale concernée. Ce dossier thématique propose de se pencher sur le secteur de la santé, qui est envisagé depuis une dizaine d’années comme l’un des plus prometteurs s’agissant des apports potentiels de l’IA. D’un point de vue général, le développement des outils numériques en santé et le nombre impressionnant de données qu’ils contribuent à produire suscitent promesses, utopies et espoirs dans divers domaines : le diagnostic et le traitement (avec la détection précoce des pathologies, dans le cadre d’une médecine dite « prédictive »), la pharmacovigilance, la génomique et la médecine de précision ou personnalisée, l’épidémiologie…. À cet égard, les pouvoirs publics manifestent un intérêt grandissant pour l’intelligence artificielle, comme en témoigne, en France, le rapport « Donner un sens à l’IA  » issu de la mission coordonnée par le député Cédric Villani (2018), qui fait figurer la santé parmi les cinq « focus sectoriels » retenus. Mais cet attrait pour le développement des outils numériques et de l’IA en santé s’accompagne également de dystopies : une machine suffisamment efficace pour égaler voire surpasser les meilleurs spécialistes dans certains domaines ne risquerait-elle pas, à terme, de se substituer à eux, au risque de recomposer intégralement et de remettre en question la dimension humaine de la prise en charge ? Ainsi, à la crainte du remplacement des experts par des dispositifs automatisés s’ajoute celle de l’avènement d’une médecine « froide » qui saperait le « bon soin » (Mol, 2008).

Pour la recherche en sciences sociales, une des difficultés à surmonter est liée à la profusion, à l’élargissement continu et à la pluralité des réalités que recouvre l’IA en santé. Nous en voulons pour preuve l’augmentation continue du nombre d’applications qui se revendiquent de cet ensemble technologique, dans des champs aussi variés que l’imagerie médicale (radiologie, dermatologie, anatomopathologie), la chirurgie assistée par ordinateur, la gestion de flux de données au sein de bases liées à la santé publique ou à des fins organisationnelles dans un hôpital, la médecine dite de précision visant à déterminer des traitements individualisés – par exemple, par le biais d’un « jumeau numérique » –, la prévention qui anticipe des risques de maladies en se basant sur des données génétiques, l’aide à la fertilité, etc. Au-delà de ces nombreux domaines d’application et des dispositifs particuliers qui s’y inscrivent, l’ambition de ce numéro thématique sera de mettre au jour et de documenter des formes récurrentes (patterns) qui se manifestent à différents moments de la trajectoire des technologies promouvant l’IA en santé, telles qu’elles émergent par exemple dans le travail médical ou la relation de soin, ce qui suppose que ces technologies aient été préalablement acquises puis appropriées, selon des cheminements plus ou moins sinueux et variés. Quels traits similaires peut-on relever dans le déploiement des diverses technologies d’IA en santé, dans les pratiques émergentes ou les aménagements d’organisation qu’elles suscitent ? Quels sont les modalités d’adoption et les obstacles communément rencontrés ?

 

Ces formes récurrentes peuvent se manifester à travers des tensions ou des polarités. Et la démarche qui revient à les étudier implique, en premier lieu, de se demander quelles sont les données et les techniques algorithmiques  mobilisées  (Cardon,  Cointet  et  Mazières,  2018)  –  IA  « symbolique »  ou « connexionniste » privilégiant l’induction, plus connue sous l’appellation de deep learning – et quelles sont les finalités assignées à ces systèmes, en amont mais aussi en situation (Collins, 2018). Pour aller plus avant, on peut remarquer que les projets d’IA en santé comportent très fréquemment une dimension d’automatisation, qui consiste à mener à bien certaines tâches à la place de l’humain, ce qui conduit à questionner à nouveaux frais les catégories utilisées, comme celles de standardisation ou de rationalisation, qui renvoient à une médecine de masse, par contraste avec la perspective d’une médecine « personnalisée ». Ensuite, l’introduction de ces dispositifs remettent sur le métier la dialectique entre visibilisation et invisibilisation (Star et Strauss, 1999), qu’il s’agisse du travail humain ou de celui des machines et de leur incidence dans la prise de décision au sein d’un régime de responsabilité juridique donné ou du processus à travers lequel un dispositif affiche un résultat – i.e. l’« explicabilité » du fonctionnement et des modes de calcul des outils intégrant l’IA. Enfin, l’appellation « IA » est plus ou moins revendiquée pour valoriser les produits qui en découlent. Nous pouvons distinguer des contextes où l’IA est avancée de manière bruyante voire intempestive, et d’autres où elle se veut plus discrète voire cachée ; nous pouvons penser, par exemple, aux services mobiles dans le champ du « quantified self » (Dagiral et al., 2019). Ces suggestions ne sont pas exhaustives et le pari de ce dossier thématique est que les formes récurrentes qui seront mises en lumière dans les articles donneront accès à des enjeux globaux en matière de santé et conduiront à mettre en perspective des transformations d’ensemble.

Trois entrées, non limitatives, pourront ainsi être empruntées :

  • celle des représentations et des imaginaires sociotechniques (Jasanoff & Kim, 2013), des promesses et des discours à travers lesquels l’IA s’invite dans un domaine de la santé, provoquant de ce fait des réactions, notamment de la part des bénéficiaires potentiels ;
  • celle de la conception, en se situant en amont de la commercialisation d’un logiciel à base d’IA, par exemple à l’aide d’une posture ethnographique portant sur le travail de « constitution » des algorithmes (Jaton, 2020) ;
  • celle, enfin, des usages et de l’appropriation de dispositifs d’IA en santé, domaine que les recherches n’ont que rarement investigué sous l’angle de cas concrets (Anichini & Geoffroy, 2021 ; Winter & Carusi, 2023 ; Verna et al., 2023).

Les articles pourront s’inscrire dans des disciplines différentes (sociologie, sciences de l’information et de la communication, sciences de gestion, économie, philosophie, etc.) et mobiliser des cadres théoriques variés. Les contributions, originales, devront s’appuyer sur de solides enquêtes de terrain.

Calendrier prévisionnel

Nous vous demandons d’adresser au secrétariat de rédaction (aurelie.bur@enpc.fr)

 

  • pour le 1er décembre 2023, des intentions (2 pages présentant objet, question de recherche, inscription dans la littérature, méthodologie et résultats).
  • V1 pour le 1er avril 2024, soumission des articles (65 000 signes, notes et espaces compris).

Vous trouverez plus d’informations, notamment les consignes aux auteurs sur le site de la revue : http://www.revue-reseaux.fr/

La publication du dossier est prévue début 2025.

Contacts : alexandre.mathieu-fritz@univ-eiffel.frgerald.gaglio@univ-cotedazur.fr

 

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