La situation, inédite depuis un siècle, de pandémie causée par un virus inconnu, a engendré à l’heure de l’internet mondial triomphant, une puissante vague de dissémination de théories fumeuses, de dénis du danger et de fake news concernant tout autant l’origine du mal inconnu que la façon de s’en prémunir ou d’en guérir. L’OMS parle alors d’une vague d’infodémie parallèle à la pandémie. Cette vague est rendue possible par une conjonction de plusieurs facteurs qui composent un cocktail détonant favorisant la mise en circulation d’idées saugrenues, d’informations fausses, de rumeurs infondées et malveillantes ou d’infox manipulatrices. Autant de défis auxquels les médias du monde entier ont dû faire face avec plus ou moins de moyens appropriés et avec des résultats très variables quant à la qualité de l’information publiée.
Un premier facteur qui explique ces difficultés tient à la disparition d’une véritable culture épidémique partagée. Dans les rédactions, dans la population ou dans les ministères, les habitudes de devoir affronter des épidémies respiratoires sévères et généralisées sont perdues depuis très longtemps. Le premier défi informationnel à relever est donc pédagogique : faire prendre conscience du danger potentiel et des mesures à respecter pour éviter le pire, tant individuellement que collectivement. Cela implique de consacrer du temps d’écoute et de lecture à fournir de l’information-service qui guide les publics, qui leur apprenne ce qu’il est bon ou mauvais de faire, sans toutefois de substituer à la médecine, sans avoir l’autorité d’être entièrement prescriptif.
Autre défi concomitant : la montée en compétences et en connaissances. Les rédactions du monde entier étaient loin de toutes posséder des journalistes médicaux attitrés capables d’éclairer le phénomène. L’enjeu a donc été de pouvoir mobiliser à la fois rapidement (dès le début de ce qui est annoncé comme une possible épidémie) et dans la durée (dès lors que la pandémie est avérée), des experts qui venaient apporter leurs connaissances sur le sujet, en nouant les liens de confiance indispensables pour entretenir une collaboration durable et régulière.
Ces collaborations à trouver et ces éclairages sur la maladie à apporter se sont inscrits dans un contexte très délicat de large méconnaissance des caractéristiques précises du virus et des maladies qu’il déclenche. Le corps médical a été très loin de faire preuve d’unanimité et beaucoup d’experts ont obtenu une tribune pour énoncer leurs convictions, leurs croyances plutôt que des discours fondés scientifiquement. Pourtant recouverts de la même blouse blanche, donc jugés aussi crédibles à priori dans des rédactions déboussolées, ces discours contradictoires, flottants, évolutifs ont mis les journalistes en porte-à-faux : les vérités d’un jour devenant les erreurs du lendemain ; les certitudes d’hier laissant place aux doutes et aux hypothèses des semaines d’après.
Dans la situation d’incertitude scientifique sur l’épidémie, de dispute académique sur l’origine du virus, sur sa dangerosité et sur les traitements à prescrire, les médias ont été obligés de se poser la question de leur positionnement. Certains ont adopté des lignes éditoriales très engagées, prenant fait et cause pour une thèse plutôt qu’une autre, pour des experts médicaux (ou supposés tels) plutôt que d’autres, pour ou contre des traitements ou le confinement. D’autres médias ont choisi d’offrir des tribunes de contradiction aux parties en querelle, au risque de transformer la controverse académique (possédant ses règles et ses usages) en polémique médiatique, avec abolition des principes régulateurs de la disputatio scientifique au profit de l’invective, des coups de menton, des affirmations péremptoires sans preuve. Une telle épidémie confronte donc chaque rédaction a sa responsabilité dans la manière d’animer l’espace public, en ne rabattant pas les enjeux médicaux à des questions d’opinion, en ne déformant pas la complexité du langage scientifique par excès de simplification, en discriminant au mieux entre les vrais et faux experts.
Un autre défi informationnel en ces temps de pandémie, a concerné la gestion du caractère anxiogène de la situation et a donc mis en branle la responsabilité des médias dans l’entretien ou non de cette anxiété généralisée. Le caractère historique de cette pandémie, son exceptionnalité liée aux séquences de confinement et de paralysie économique et sociale, l’ampleur du nombre de gens touchés et la proportion de surmortalité, les incertitudes sur les évolutions futures, le flou sur les traitements possibles, l’existence de phénomènes de vagues épidémiques dans le temps et entre les continents ; tout à converger pour faire de cette situation un défi éditorial. Peut-on parler d’autre chose que de cette pandémie et de ses conséquences ? Faut-il relayer toutes les informations anxiogènes ou au contraire prendre part à des discours optimistes qui risquent d’être démentis par la réalité biostatistique ? Faut-il relayer les statistiques officielles tous les jours ou pas ? Oui, mais pas toutes ?
Le présent appel à article des Cahiers du journalisme entend permettre à tous les chercheurs et chercheuses intéressés par ces questions, de proposer une contribution permettant de répondre à une ou plusieurs des questions listées ci-dessous.
Les contributions peuvent reposer sur une ou plusieurs études de cas ou analyses de contenu, dans un pays francophone ou pas, sous forme de monographie ou d’étude comparative.
- Le discours journalistique au moment de l’émergence des premiers cas en Chine, puis dans chaque pays, a-t-il aidé à la prise de conscience du risque ? A-t-il était excessivement dramatisant ou trop rassurant ?
- Comment les médias ont traité des controverses médicales survenues lors de cette épidémie ?
- Comment les médias ont choisi les experts auxquels ils ont offert une tribune ?
- Les experts qui ont asséné avec force des prévisions qui se sont avérées fausses ont-ils disparu des médias : de tous ou de certains ?
- Quelle évaluation peut-on faire de la qualité des informations médicales qui ont été publiées sur le covid-19 tout au long de cette pandémie ?
- La pandémie a-t-elle obligé des rédactions à se réorganiser, à recruter, à trouver des collaborations inédites ?
- Les médias ont-ils, contraints ou volontairement, véhiculé un ou des messages anxiogènes concernant l’épidémie ?
- La phase de vaccination a-t-elle offerte un traitement : différent ? meilleur ? plus équilibré ? que les premiers mois de l’épidémie ?
Propositions
Les auteurs doivent faire parvenir une proposition au format PDF (entre 2000 et 4000 signes) avant le 3 septembre 2021, aux deux adresses ci-dessous :
arnaud.mercier@u-paris2.fr et magali.prodhomme@uco.fr
Si la proposition est acceptée, ils devront faire parvenir avant la date indiquée, un texte anonymisé en français comptant entre 25 000 et 50 000 signes, précédé de résumés en français et en anglais (600 à 900 signes espaces comprises, soit environ 80 à 130 mots), aux formats Word (.doc ou.docx).
Ils veilleront à respecter attentivement les normes typographiques de la revue (disponibles à (http://cahiersdujournalisme.org/FicheNormes.pdf) ainsi que ses règles spécifiques de citation des ressources en ligne (http://cahiersdujournalisme.org/FicheCitaElec.pdf).
Calendrier
- 3 septembre 2021 : réception des propositions
- 9 septembre 2021 : Retour sur les propositions acceptées 15 décembre 2021 : réception des articles
- 20 janvier 2022 : fin d’évaluation des articles et envoi aux auteurs pour corrections 15 février 2022 : retour des articles définitifs par les auteurs
- Parution prévue : numéro 2(8), 1er semestre 2022
Contacts
Les questions relatives à ce dossier thématique sont à adresser aux deux co-responsables :
- Arnaud Mercier : arnaud.mercier@u-paris2.fr
- Magali Prodhomme : magali.prodhomme@uco.fr