Présentation
La récente nomination de « porte-parole adjoint∙es » auprès de la porte-parole officielle de la police nationale témoigne de l’intégration avancée de la communication au sein de la force publique1. Si l’institution se dote d’un Service d’information et de relations publiques (SIRP) dès les années 1970, la communication se développe et se professionnalise à partir des années 2000 (Le Saulnier, 2012, 2018), en lien étroit avec l’idéologie gestionnaire de la « culture du résultat » et, en corollaire, avec l’extension du « populisme punitif » (Ferret & Mouhanna, 2005). La communication désigne ici une technique de rationalisation du discours et de gouvernance des publics, dans une sphère publique contemporaine configurée et saturée par les « relations publiques généralisées » (Miège, 1997). Elle constitue une modalité centrale du contrôle de la représentation, pour une institution parmi les plus visibles aussi bien dans l’espace urbain que dans l’écosystème médiatique (Meyer, 2012). Elle œuvre également au travail de légitimation de la force publique et à la construction du consensus autour de ses usages. Et ce, alors que le web 2.0 et les réseaux sociaux numériques sont le foyer d’une intensification des controverses autour des politiques et des pratiques policières, et que les dénonciations et les scandales se succèdent autour des violences policières illégitimes (Meyer & Tanner, 2017 ; Bouté & Mabi, 2020 ; Bouté, 2021).
Le numéro 55 de la revue MEI entend ainsi penser la police au prisme de la communication orchestrée dans la sphère publique, c’est-à-dire dans ses dimensions et sa densification symboliques. Ce « travail de l’image » (Mawby, 2012/2002) recouvre l’ensemble des pratiques et des dispositifs discursifs, rhétoriques, textuels, visuels, dramaturgiques par lesquels elle se définit elle-même et interagit avec ses publics, mais aussi par lesquels elle incarne et exerce son autorité, et affirme – ou réaffirme – sa légitimité. La communication de la police, institution spectaculaire par excellence, reste étrangement un objet délaissé dans la recherche française en sciences sociales, tandis que les relations police-médias ont « acquis le statut de sous- discipline » dans le monde anglo-saxon (Pichonnaz, 2013). En France, les principaux travaux sont le fait de politistes, d’historien∙nes, de sociologues (Cubaynes, 1980 ; Kalifa, 1995 ; Sécail, 2010 ; Deluermoz, 2012 ; Meyer, 2012 ; Filleule & Jobard, 2020) ; au point de s’interroger sur le rendez-vous manqué des sciences de l’information et de la communication avec ce champ d’étude.
La police se comprend ici de façon extensive, à savoir l’ensemble des institutions légalement dépositaires de la violence légitime et habilitées à en faire usage : la police nationale, la gendarmerie nationale, les polices municipales, mais aussi le secteur en plein essor de la sécurité privée. Dans une approche comparative, l’on s’intéresse également à la communication des polices étrangères, toutes régions et périodes confondues. Si ce volume s’adresse prioritairement aux sciences de l’information et de la communication, il se veut pluridisciplinaire et concerne pareillement les sciences du langage, les études visuelles l’histoire, la sociologie, la science politique, ou encore les sciences juridiques. Les contributions pourront s’inscrire dans les axes suivants :
- Dans une approche sociohistorique, un premier axe se concentrera sur l’émergence et l’institutionnalisation de la communication parmi les forces de l’ordre. Les prémices d’une « véritable politique de « communication » » (Deluermoz, 2012) sont identifiées dès la fin du XIXe siècle au sein de la préfecture de police de Paris, et il est établi que la communication se structure dans les années 1970 et s’intensifie à partir des années 2000. Mais les conditions, les modalités, les séquences, les hésitations de sa genèse restent à documenter, aussi bien dans la force publique que dans les polices privées.
- Une deuxième entrée concernera le travail de représentation sous toutes ses formes, qu’il s’agisse des récits journalistiques, des supports de communication, des publications en ligne, ou encore des œuvres de fiction par lesquels la police façonne son image et perpétue le mythe de sa nécessité et de son efficacité (Reiner, 2010/1984). Les contributions pourront s’intéresser aux discours institutionnels, et notamment aux grammaires de justification, pour en éclairer les propriétés et les ressorts. Ces discours officiels interagissent (selon les cas) avec ceux des représentants syndicaux, mais aussi avec ceux des professionnel∙les qui témoignent dans les médias d’information ou s’expriment via les réseaux sociaux numériques, sur fond de luttes internes pour le contrôle de la représentation.
- Un troisième axe établira les conditions d’engendrement et d’efficacité de la communication des forces de l’ordre, dans la mesure où tout langage d’autorité est ipso facto un « langage autorisé » (Bourdieu, 1975). Il s’agira ainsi de préciser les procédures internes qui en définissent la possibilité et les modalités, ainsi que le « lissage discursif » (Oger & Ollivier-Yaniv, 2006) et les contraintes énonciatives où cette communication prend place et dont elle porte la trace. Plus spécifiquement, les contributions pourront concerner les conditions de fabrication des informations autour de la police et de son action, dans la trame invisible des transactions entre les journalistes et leurs sources d’information policières.
- Élargissant la critique, un dernier axe examinera la communication de la police dans ses fonctions politiques et idéologiques (Althusser, 2006/1970), mais aussi en tant que technique de gouvernementalité (Ollivier-Yaniv & Rinn, 2009). Des régions entières du discours institutionnel ont vocation à réguler le comportement des publics, à l’instar des campagnes de prévention en ligne et hors ligne. Au-delà, les services et les syndicats policiers, ainsi que les « expert∙es » en sécurité, participent activement au cadrage de certains problèmes publics et à la genèse de certaines paniques morales, en vue de façonner les catégories et de prescrire les orientations de l’action publique (Hall, Critcher, Jefferson, Clarke, & Roberts, 1978 ; Schlesinger & Tumber, 1994). En témoigne le travail de promotion et de cadrage opéré, entre autres, autour des « violences urbaines » et de la délinquance juvénile (Macé & Peralva, 2002).
Modalité de soumission
La date limite de réception des propositions d’article est fixée au 20/06/2022. Elles doivent être adressées au coordinateur du numéro :
Guillaume LE SAULNIER, guillaume.le-saulnier@univ-reims.fr
Les propositions devront comporter :
- un titre ;
- un résumé d’environ 300 à 500 mots ;
- 5 à 10 mots clefs ;
- les informations sur le ou les auteurs/autrices : nom, affiliation institutionnelle,fonction, adresse professionnelle, numéro de téléphone et courriel.
À partir des évaluations du Comité de lecture, la direction du numéro de MEI sélectionnera les propositions et en informera les auteurs/autrices au plus tard le 12/07/2022.
Il est demandé aux auteurs/autrices de bien vouloir respecter les consignes éditoriales de la revue. Les articles complets sont d’un format de 20000 à 25000 signes (espaces, notes et bibliographie incluses) et devront être remis au plus tard le 28/10/2022.
Les articles complets seront évalués par le Comité de lecture en double aveugle.
Les retours du Comité de lecture seront transmis aux auteurs/autrices au plus tard le 09/01/2023.
Les auteurs/autrices devront envoyer leur article corrigé le 06/03/2023.
La publication du numéro est prévue pour l’automne 2023.
Bibliographie
- Althusser, L. (2006/1970). Idéologie et Appareils idéologiques d’Etat (notes pour une recherche). Sur la reproduction des conditions de production. Dans Penser Louis Althusser (p. 93-144). Montreuil, France : Le Temps des Cerises.
- Bourdieu, P. (1975). Le langage autorisé. Note sur les conditions sociales de l’efficacité du discours rituel. Actes de la recherche en sciences sociales, 1(5-6), 183-190.
- Bouté, É. (2021). La mise en visibilité des forces de l’ordre sur Twitter pendant le mouvement des Gilets jaunes. Questions de communication, 39, 185-208. https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.25524
- Bouté, É., & Mabi, C. (2020). Des images en débat : de la blessure de Geneviève Legay à la répression des Gilets Jaunes. Études de communication, 54, 29-52. https://doi.org/10.4000/edc.9996
- Cubaynes, M.-H. (1980). La Police et la Presse, des institutions et des hommes (Thèse de doctorat, Université Toulouse 1, CERP).
- Deluermoz, Q. (2012). Policiers dans la ville. La construction d’un ordre public à Paris (1854- 1914). Paris, France : Publications de la Sorbonne.
- Ferret, J., & Mouhanna, C. (dir.) (2005). Peurs sur les villes. Vers un populisme punitif à la française ?. Paris, France : Presses universitaires de France.
- Filleule, O., & Jobard, F. (2020). Politiques du désordre. La police des manifestations en France. Paris, France : Éditions du Seuil.
- Hall, S., Critcher, C., Jefferson, T., Clarke, J., & Roberts, B. (1978). Policing the Crisis. Mugging, the State, and Law and Order. Londres, Royaume-Uni : The MacMillan Press.
- Kalifa, D. (1995). L’encre et le sang. Récits de crimes et société à la Belle Époque. Paris, France : Fayard.
- Le Saulnier, G. (2012). La police nationale au défi des relations presse. Une information sous contrôle ?. Mots. Les langages du politique, 99, 129-142. https://doi.org/10.4000/mots.20700
- Le Saulnier, G. (2018). De policier à communicant dans la police nationale. Les conditions sociales d’une conversion improbable. Communication & professionnalisation, 7, 29-48. https://doi.org/10.14428/rcompro.v7i1.18183
- Macé, É., & Peralva, A. (2002). Médias et violences urbaines. Débats politiques et construction journalistique. Paris, France : La Documentation française et IHESI.
- Mawby, R. C. (2012/2002). Policing Images. Policing, Communication and Legitimacy. New York, NY : Routledge.
- Meyer, M. (dir.) (2012). Médiatiser la police. Policer les médias. Lausanne, Suisse : Éditions Antipodes.
- Meyer, M., & Tanner, S. (2017). Filmer et être filmé. La nouvelle visibilité policière à l’ère de la sousveillance. Réseaux, 201, 175-205. https://doi.org/10.3917/res.201.0175
- Miège, B. (1997). La société conquise par la communication. 2. La communication entre l’industrie et l’espace public. Genoble, France : Presses universitaires de Grenoble.
- Oger, C., & Ollivier-Yaniv, C. (2006). Conjurer le désordre discursif. Les procédés de « lissage » dans la fabrication du discours institutionnel. Mots. Les langages du politique, 81, 63-77.
- Ollivier-Yaniv, C., & Rinn, M. (dir.) (2009). Communication de l’État et gouvernement du social. Pour une société parfaite ?. Grenoble, France : Presses universitaires de Grenoble.
- Pichonnaz, D. (2013). Communication policière et discours sur la déviance. Une expertise marquée par des enjeux professionnels et corporatistes. Politiques de communication, 1, 127- 150. https://doi.org/10.3917/pdc.001.0127
- Reiner, R. (2010/1984). The Politics of the Police. Oxford, Royaume-Uni : Oxford University Press.
- Schlesinger, P., & Tumber, H. (1994). Reporting Crime : The Media Politics of Criminal Justice. New York, NY : Oxford University Press.
- Sécail, C. (2010). Le crime à l’écran. Le fait divers criminel à la télévision française (1950-2010). Nouveau Monde Éditions.