- Du au
Lieu de l’événement MSH Paris Nord, 20, avenue George Sand , La Plaine Saint-Denis 93210, France
Le colloque international « Capitalisme de plateforme : résistances et alternatives » se tiendra à la MSH Paris Nord du 12 au 14 février 2024. L’appel à contributions est en ligne.
Présentation
L’année 2022 a marqué la fin d’une longue période de croissance euphorique pour les grandes entreprises de la tech, à travers des plans de licenciements massifs, des chutes des valeurs boursières, ou des baisses du nombre d’abonnés à divers services. Il n’y a pas lieu d’y voir un effondrement ou un déclin inexorable, mais plutôt le signe d’une maturation des géants de la tech qui les rend plus comparables à d’autres multinationales et dissout de nombreuses illusions que leur succès avait fait naitre. Le capitalisme de plateforme n’est plus imperméable aux aléas conjoncturels et crises structurelles du capitalisme tout court.
Depuis plus d’une décennie, les GAFAM ont affirmé leur domination sur l’économie mondiale. Quatre de ces entreprises figurent parmi les cinq premières capitalisations boursières mondiales, tandis que Meta occupe actuellement la quatorzième place (companiesmarketcap.com 2023). La montée en puissance de cet oligopole a signé l’émergence et l’hégémonie d’un nouveau modèle d’entreprise : l’entreprise-plateforme. Les plateformes sont des infrastructures numériques qui permettent et structurent la mise en relation de différents groupes d’usagers (Srnicek 2017). Les principales plateformes appartiennent à des entreprises privées à but lucratif qui les créent pour générer des revenus à partir des différentes formes d’interactions entre usagers. Ces plateformes s’appuient sur de puissants effets de réseaux directs et indirects pour croître et s’assurer une position dominante. Elles reposent également sur l’extraction massive de données des usagers et leur traitement algorithmique à des fins de ciblage publicitaire, d’amélioration des fonctionnalités existantes et de création de nouveaux services.
Les usagers et leurs activités diverses, qui tendent à brouiller les frontières entre production et consommation, se trouvent ainsi au cœur du modèle économique des plateformes capitalistes. Le développement du capitalisme de plateforme représente l’essor du pouvoir propriétaire sur les réseaux numériques qui médient désormais les relations sociales et économiques à échelle globale. Tandis que l’avènement d’internet et du web avaient suscité des espoirs utopiques, la consolidation du capitalisme de plateforme a surtout nourri une multiplicité de critiques et encouragé les usagers à agir.
Les réactions des usagers ont essentiellement suivi deux voies : la résistance depuis l’intérieur des plateformes capitalistes ou la création d’alternatives à l’extérieur de celles-ci. Il est donc possible de les saisir à partir des catégories d’Albert Hirschman (1970) : voice et exit (Vercellone et al. 2018). Ces deux voies ne s’opposent pas nécessairement et peuvent même se renforcer comme l’a remarqué Hirschman lui-même (1993). En effet, la création d’alternatives à l’extérieur d’une organisation et l’exode d’une partie de ses membres (exit) renforcent le pouvoir de négociation des usagers engagés dans la contestation en interne (voice).
Nous invitons donc des propositions de communications sur le thème des résistances et alternatives au capitalisme de plateforme. Nous accueillons des communications empiriques et/ou théoriques ancrées dans les diverses disciplines de sciences sociales (science politique, sciences de l’information et de la communication, sociologie, anthropologie, économie, philosophie, droit etc.). Au-delà des communications universitaires qui seront sélectionnées à la suite de cet appel, nous prévoyons d’inviter une poignée d’intervenants investis de façon plus pratique dans les résistances et alternatives aux plateformes capitalistes. Enfin, nous envisageons de regrouper les travaux issus de ce colloque pour les publier sous la forme d’un dossier thématique dans une revue de sciences sociales.
Axe I – Résistances
Les résistances « à l’intérieur et contre » (Hardt et Negri 2011) le capitalisme de plateforme prennent des formes très diverses et s’organisent à différents niveaux. Il est possible de situer à un premier niveau la résistance en col blanc de cadres et ingénieurs hautement qualifiés ayant travaillé pour de grandes entreprises de la Silicon Valley, avant de s’inquiéter des implications sociales des technologies qu’ils ont contribué à concevoir (Berrebi-Hoffman et Chapus 2022). A un deuxième niveau, on peut situer les résistances des travailleurs d’usines transformées en profondeur par l’internet industriel (ou « industrie 4.0 ») ou opérant au sein des réseaux logistiques qui structurent la circulation globale des marchandises sous des formes renouvelées par le numérique et exemplifiées par le cas d’Amazon (Into the Black Box 2018 et 2022). Le troisième niveau correspond alors aux luttes des travailleurs des plateformes de l’économie à la demande qui, le plus souvent en-dehors d’un contrat salarié, fournissent des services en personne (e.g., Uber, Deliveroo, TaskRabbit, Airbnb) ou à distance (e.g., Amazon Mechanical Turk, InnoCentive) par l’intermédiaire de plateformes numériques (Woodcock 2021). A un quatrième niveau se situent les résistances d’usagers dont le statut de travailleur fait l’objet d’un débat – celui autour de la notion de digital labour (Fuchs 2014, Cardon et Casilli 2015, Broca 2017, Vercellone 2020) – dans la mesure où ils ne sont pas rémunérés et conçoivent généralement leur activité numérique comme un loisir. Il peut s’agir de différentes actions de protestation contre l’extraction des données, les manipulations comportementales, ou la régulation de l’espace public numérique opérés par des entreprises comme Google, Twitter, ou Facebook à la fois sur leurs plateformes « virtuelles » et, de plus en plus, dans l’infrastructure physique des « smart cities ». Enfin, il est possible d’identifier à un cinquième niveau, des luttes écologiques, paysannes, et indigènes qui, au Sud comme au Nord, s’opposent aux « opérations extractives du capital » (Gago et Mezzadra 2015) qui caractérisent les plateformes et la course géopolitique pour la conquête de métaux rares et de nouveaux territoires à coloniser (Kwet 2019).
Nous sollicitons donc des propositions de communications empiriques et/ou théoriques sur cette thématique. Les premières porteraient sur des cas pratiques de luttes collectives contre le capitalisme de plateforme ayant lieu à l’un des différents niveaux évoqués plus haut. Les secondes pourraient interroger le potentiel subversif et l’articulation entre ces multiples luttes qui s’organisent à différents niveaux : les rapports entre luttes contre l’ « accumulation par exploitation » et l’ « accumulation par dépossession » (Harvey 2010), les nouvelles frontières du travail et de l’exploitation (digital labour), les convergences possibles entre cols blancs et cols bleus, « indépendants » et salariés, producteurs et usagers, ou encore, les liens entre extractivisme et capitalisme de plateforme.
Axe II – Alternatives
Les alternatives émergentes au capitalisme du plateforme s’inscrivent principalement dans le prolongement de deux mouvements : celui des logiciels libres ou communs numériques et la tradition coopérative.
Le mouvement du logiciel libre nait au début des années 1980 en réaction au développement d’une industrie du logiciel propriétaire (Broca 2013). Dans les années 1990 et 2000, le succès retentissant de nombreux projets libres (e.g., GNU/Linux, Wikipedia, Mozilla, Apache) est venu illustrer la puissance d’un nouveau modèle de production basé sur la coopération décentralisée et la contribution libre à des communs numériques. Pour autant, le discours libéral qui a dominé ce mouvement durant cette période ne l’a pas suffisamment prémuni contre le développement du capitalisme de plateforme et sa capacité à instrumentaliser les communs (Birkinbine 2020, Benkler 2019, Broca 2021). Dans ce contexte, différents acteurs du libre ont cherché à poser plus frontalement la question de la propriété et de la répartition de la valeur dans le monde numérique (Bauwens & Kostakis 2014). De nombreuses formes d’associations et d’hybridations entre les communs numériques et le mouvement coopératif ont alors été expérimentés. L’émergence de licences à réciprocité venant restreindre l’accès des entreprises capitalistes aux communs numériques tout en favorisant celui des coopératives, illustre cette tendance (Kleiner 2010, Schneider 2022). Le mouvement des plateformes coopératives s’est également développé afin de créer des plateformes appropriées et gouvernées par leurs travailleurs et usagers (Scholz 2014).
Nous sollicitons donc des propositions de communications empiriques et/ou théoriques sur cette thématique. Les premières porteraient sur des cas pratiques d’alternatives émergentes au capitalisme de plateforme : des communs numériques (logiciel libre, open hardware, open data), des coopératives de plateforme, et toutes formes d’hybridations entre communs numériques et économie sociale et solidaire. Les secondes pourraient porter sur la diversité de concepts qui ont été construits pour analyser les alternatives existantes ou pour chercher à les améliorer : plateformes coopératives (Scholz 2014), coopératives ouvertes (Bauwens et al. 2019), DisCOs (Troncoso 2019), plateformes substantives (Vercher-Chaptal et al. 2021), communs productifs (Borrits 2018) etc. Elles pourraient également porter sur les différentes théories envisageant à une échelle macroscopique ces différentes alternatives, leur logique commune et leur potentiel de transformation socio-historique (Dardot et Laval 2015, Hardt et Negri 2011, Brancaccio et al. 2021, Benkler 2006, Bonduel 2023).
Format des propositions de communication :
Nous sollicitons des propositions de communication de 500 mots maximum, accompagnées d’une notice biographique d’environ 50 mots, à envoyer en un seul fichier Word, LibreOffice, ou PDF, avec pour titre « Colloque – Nom – Titre de la communication », à l’une des trois adresses email suivantes :
ludovic.bonduel@sciencespo.fr ; francescobrancaccio@yahoo.it ; kyasaei@tuta.io .
Dates importantes :
Date limite de soumission des propositions de communication : 3 septembre 2023 Réponse aux propositions : 2 octobre 2023
Date du colloque : 12-14 février 2024
La participation au colloque est libre. Toutefois, les organisateurs ne sont pas en mesure d’assurer le remboursement des frais de déplacement ou de séjour des participants.
Bibliographie :
Bauwens, Michel, Vasilis Kostakis, et Alex Pazaitis. 2019. Peer to peer : The commons manifesto. University of Westminster Press.
Benkler, Y. 2006. The wealth of networks : how social production transforms markets and freedom Yale University Press.
Benkler, Yochai. 2019. « A Political Economy of Utopia ? » Duke L. & Tech. Rev. 18 : 78. Berrebi-Hoffmann, Isabelle, et Quentin Chapus. 2022. « Des luttes éthiques aux luttes sociales ». Reseaux 231(1) : 71‐107.
Birkinbine, Benjamin. 2020. Incorporating the digital commons : Corporate involvement in free and open source software. University of Westminster Press.
Bonduel, Ludovic. 2023. « Instituting the Common (s) in the Digital Age : Between Politics and Technology ».
Borrits, Benoît, et Pierre Dardot. 2018. Au-delà de la propriété : pour une économie des communs. La Découverte.
Brancaccio, Francesco, Alfonso Giuliani, et Carlo Vercellone. 2021. Le commun : comme mode de production. Éditions de l’éclat.
Broca, Sébastien. 2013. Utopie du logiciel libre. Du bricolage informatique à la réinvention sociale. Passager clandestin (Le).
———. 2017. « Le digital labour, extension infinie ou fin du travail ? » Tracés. Revue de sciences humaines (32) : 133‐44.
———. 2021. « Communs et capitalisme numérique : histoire d’un antagonisme et de quelques affinités électives ». Terminal. Technologie de l’information, culture & société (130).
Cardon, Dominique, et Antonio Casilli. 2015. Qu’est-ce que le digital labor ? Ina. « Companies ranked by Market Cap – CompaniesMarketCap.com ». https://companiesmarketcap.com/ (28 février 2023).
Dardot, Pierre, et Christian Laval. 2015. Commun : essai sur la révolution au XXIe siècle. La découverte.
Fuchs, Christian. 2014. Digital labour and karl marx. Routledge.
Gago, Verónica, et Sandro Mezzadra. 2017. « A critique of the extractive operations of capital : Toward an expanded concept of extractivism ». Rethinking Marxism 29(4) : 574‐91.
Hardt, Michael, et Antonio Negri. 2011. Commonwealth. Harvard University Press. Hirschman, Albert O. 1970. 25 Exit, voice, and loyalty : Responses to decline in firms, organizations, and states. Harvard university press.
———. 1993. « Exit, voice, and the fate of the German Democratic Republic : An essay in conceptual history ». World politics 45(2) : 173‐202.
Into the Black Box. 2022. Le Frontiere del Capitale. Red Star Press.
Kleiner, Dymtri. 2010. 3 The telekommunist manifesto. Institute of Network Cultures.
Kostakis, Vasilis, et Michel Bauwens. 2014. Network society and future scenarios for a collaborative economy. Springer.
Kwet, Michael. 2019. « Digital colonialism : US empire and the new imperialism in the Global South ». Race & Class 60(4) : 3‐26.
Mannan, Morshed, et Simon Pek. 2021. Solidarity in the sharing economy : The role of platform cooperatives at the base of the pyramid. Springer.
Martinelli, Francesca. 2019. « Platform cooperativism in Italy and in Europe ». In Platform cooperativism in Italy and in Europe : Martinelli, Francesca,.
Sandoval, Marisol. 2020. « Entrepreneurial activism ? Platform cooperativism between subversion and co-optation ». Critical Sociology 46(6) : 801‐17.
Schneider, Nathan. 2022. « The Tyranny of openness : what happened to peer production ? » Feminist Media Studies 22(6) : 1411‐28.
Scholz, Trebor. 2012. Digital labor : The internet as playground and factory. Routledge. ———. 2014. « Platform cooperativism vs. the sharing economy ». Big data & civic engagement 47 : 47‐52.
Srnicek, Nick. 2017. Platform capitalism. John Wiley & Sons.
Troncoso, Stacco, et Ann Marie Utratel. 2019. « If I Only Had a Heart : A DisCO Manifesto ». The Transnational Institute 14.
Vercellone, Carlo et al. 2018. « Data-driven disruptive commons-based models ». PhD Thesis. CNRS.
———. 2020. « Les plateformes de la gratuité marchande et la controverse autour du Free Digital Labor : une nouvelle forme d’exploitation ? » Open journal in information systems engineering 1(2).
Vercher-Chaptal, Corinne et al. 2021. « There Are Platforms as AlternativeS. Entreprises plateformes, plateformes collaboratives et communs numériques ». PhD Thesis. DARES-Ministère du Travail, de l’Emploi et du Dialogue social ; DREES.
Woodcock, Jamie. 2021. The fight against platform capitalism : an inquiry into the global struggles of the gig economy. University of Westminster Press.
Zhu, Jiang, et Olivera Marjanovic. 2021. « A Different Kind of Sharing Economy : A Literature Review of Platform Cooperatives ».