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Lieu de l’événement XXI° Forum du RTRC, Cannes 06400, France
Depuis ses origines, le Réseau transméditerranéen de recherche en communication (RTRC) ambitionne d’interroger les enjeux de la communication en Méditerranée. Le prisme géographique sur lequel se fonde le RTRC a ceci de particulier qu’il se situe à la confluence de trois continents et au carrefour d’innombrables liens historiques pluri-séculiers. Cette « rente de situation » de l’espace méditerranéen explique la grande diversité des cultures et des traditions des populations riveraines de ce bassin, unique à bien des égards.
La diversité caractéristique de la Méditerranée est à la source d’influences réciproques, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest. Dans son ouvrage classique associé à l’École des Annales, Fernand Braudel (2017) analyse ainsi la richesse des échanges commerciaux et communicationnels tous azimuts sur et autour de la Méditerranée, en des temps marqués par un niveau de développement technologique bien inférieur à celui de notre époque. L’historien insistait sur les liens tissés entre populations de cultures différentes et réunies par la Mare Nostrum et par le destin commun qu’elle symbolise.
Espace d’échanges et de rencontres, la mer Méditerranée est aussi un espace traversé par des lignes de fracture, souvent marquées par l’incompréhension — ou une compréhension inégalement partagée et asymétrique confinant souvent à la violence. Syrie et Palestine aujourd’hui, Liban, Libye et ex-Yougoslavie hier, les rives de la Méditerranée n’ont que trop souvent été le théâtre de guerres. Mais les lignes de fracture se fragmentent au-delà même des rives (Dézéraud, 2022), et au cœur même des eaux qui nous ont un temps rapproché, comme l’illustre tristement la mort de migrants en mer. Ce bien commun se trouve ainsi morcelé par des entreprises concurrentes de territorialisation (Daguzan, 2022), qu’il s’agisse de Frontex et de la politique d’externalisation du contrôle des frontières de l’UE (voir le dossier de Migrations & Société n° 186), ou encore du projet Mavi Vatan (« Nation bleue ») de la Turquie de Tayyeb Recep Erdogan (Josseran, 2022).
Ces legs contrastés de la diversité qui unifie la Méditerranée nous rappellent que la communication s’accompagne toujours de l’incommunication. L’une est le corollaire de l’autre : parce qu’elle repose de manière essentielle sur la relation entre une diversité d’acteurs, la communication peut dégénérer et se métamorphoser en acommunication quand, à défaut de consensus minimal et de représentations partagées, le dialogue devient véritablement impossible (Wolton, 2019).
Le XXIe forum du RTRC entend questionner à nouveaux frais la dialectique entre l’espoir de communication transméditerranéenne et la réalité des incommunications, sans occulter l’épée de Damoclès que représentent aujourd’hui les risques réels de l’acommunication. Le RTRC interroge ces concepts au prisme d’un acteur montant et tendanciellement hégémonique de nos pratiques communicationnelles : les plateformes numériques.
Le terme de « plateforme » est tombé dans le langage commun et a acquis par-là même une acception de plus en plus large, au point de perdre sa spécificité. Ainsi, les grands médias emploient-ils le terme pour désigner le moindre service en ligne, pour peu qu’il ait pris un minimum d’importance et de surface. Or, si l’on revient à la source de ses usages académiques en économie du numérique (Gawer Cusumano, 2002), « plateforme » était mobilisée pour désigner deux aspects interdépendants. D’une part, le mot fait référence à toutes les formes de désintermédiation et de ré-intermédiation, caractéristiques d’acteurs globaux du numérique tels que Netflix, Airbnb, ou encore TripAdvisor. D’autre part, il renvoie à la capacité des acteurs dominants de cette économie à inféoder aux structures dont ils ont le contrôle une grande partie de plus petits acteurs dont ils apparient l’offre à la demande. Cette ré-intermédiation depuis un actif-cœur (un OS doublé d’un magasin d’applications, une galaxie de services de recherche, peut-être demain une IA générative) limite en fait les plateformes aux seuls acteurs qui ont la prétention d’organiser les logiques de l’internet en profondeur, c’est-à-dire essentiellement les GAFAM, même si le terme réduit abusivement une diversité de stratégies sous un acronyme unique.
Parmi ces plateformes, celle d’Apple avec l’iPhone, celle dérivée de Google Search (Alphabet), celle de Facebook/Instagram/WhatsApp (Meta), celles encore d’Amazon dans l’e-commerce ou de Microsoft dans l’internet professionnel, deux sont des « super-plateformes » : Google, Facebook. Leur actif cœur, le moteur de recherche, le réseau social, ont changé la manière d’utiliser internet en l’orientant vers des logiques de référencement ou vers la sociabilisation de l’estimation de la valeur des contenus et des individus en ligne. Au-delà des simples logiques techno-déterministes qui pourraient s’appliquer à l’analyse de l’intégration hardware/software chez un acteur comme Apple, Google et Facebook influencent la manière dont nous pouvons partager de l’information et communiquer, ou pas (Cardon, 2013 ; Beuscart et Flichy, 2018 ; Bigot et alii, 2021).
Nous attendons donc une réflexion et des contributions qui articulent perspective info- communicationnelle en Méditerranée et réflexivité sur les logiques propres aux plateformes (référencement algorithmique et social), en distinguant les pays de la zone euro et hors euro. Dans quelle mesure les moteurs de recherche, ou encore les réseaux socionumériques favorisent-ils une meilleure connaissance de l’autre par la mise en circulation transnationale d’informations liées à des territoires et des peuples en Méditerranée ? Cette circulation d’information est-elle équilibrée, différenciée entre catalogues de références proposés par les moteurs et logiques d’échange social au cœur des réseaux sociaux numériques ? Dans des contextes très différents (démocraties fonctionnelles, démocraties imparfaites, régimes autoritaires, mouvements transnationaux de nature politique, sociale ou religieuse), quels rôles jouent les réseaux socionumériques dans la communication politique, les mobilisations, le journalisme et l’information ?
Les propositions de contribution pourront s’inscrire dans les trois axes suivants :
Axe 1. Plateformes, médiactivisme et mobilisations en Méditerranée.
Depuis 2011 et les mobilisations d’inspiration révolutionnaire qui ont essaimé dans le monde arabe, plusieurs commentateurs ont affirmé, à tort, que la conscientisation et la maturation politiques des citoyennes et citoyens des pays concernés se sont fait « grâce » aux technologies numériques de l’information et de la communication, et notamment aux plateformes de réseautage. S’inscrivant dans le même utopisme de la technique, des grands acteurs de l’économie numérique (Google et Facebook notamment) ont développé des programmes d’assistance à destination des pays du Maghreb, du Moyen-Orient et d’Europe centrale, louant l’émancipation des peuples grâce aux ressources de la connectivité. Les propositions s’inscrivant dans cet axe pourront, entre autres, aborder les formes d’expression en ligne qui se donnent à voir au cours des mobilisations citoyennes, (re)questionner le rôle des plateformes dans les politiques d’assistance ou de développement menées au nom et au prétexte de l’émancipation des peuples de la région. Dans ce domaine, les concurrences entre plateformes, acteurs historiques de l’aide au développement (États-Unis et Europe notamment) et nouveaux acteurs issus des pays du Golfe, demanderaient à être étudiées plus en avant.
Axe 2. Les plateformes en contexte de radicalisation et guerre de l’information.
Face à l’autoritarisme d’États qui se radicalisent, citoyen.e.s et journalistes trouvent des alternatives quand l’accès et la diffusion de l’information sont contrôlés, voire verrouillés. Les plateformes, à ce titre, offrent ponctuellement des outils de contournement de la censure. Cependant, selon les opportunités du marché, ces mêmes plateformes adaptent aussi leurs conditions d’utilisation aux règlements nationaux, en suivant les instructions de gouvernements locaux (cf. Facebook en Inde). La collecte des données des utilisateurs y sont aussi utilisées à des fins de contrôle des populations et de profilage électoral. Quels rapports entretiennent les gouvernements de ces pays aux plateformes ? Comment leur développement et leurs usages sont-ils régulés au niveau régional et national ? Quelles lignes de fracture, en la matière, se dessinent entre les pays de l’Union et ceux hors UE ? Les logiques dites de « post-vérité » initialement conçues et observées depuis l’Amérique du Nord s’observent-t-elles dans la région ? De fait, peut-on parler de mêmes phénomènes s’agissant des pays du Sud Européen et de la rive Sud de la Méditerranée ? Il serait intéressant que les questions de médiations numériques soient posées au regard de conditions différentes des conceptions occidentales ou européennes, au regard également des questions de transparence, de liberté d’information, de non-ingérence des pouvoirs dans la cyber communication, de luttes pour les droits à l’information ou à l’expression des diversités et des minorités, voire des liens entre diasporas et communautés des pays concernés.
Axe 3. Diversité culturelle et incommunications en Méditerranée.
La Méditerranée du Sud est une mosaïque de communautés, de religions, d’identités multiples qui ont fait à la fois sa richesse, son attractivité et sa fragilité. Cette situation conduit à des relations contrastées avec l’Europe (tout en l’interrogeant aussi sur ses propres évolutions et devenirs) que les médiations numériques peuvent servir, nourrir, mais également fournir un terreau de conflits et de tensions. Sur les questions d’expression communautaire, d’accélération de tensions entre identités, communautés, courants de pensée, idéologies, il est intéressant de s’interroger sur le rôle des plateformes et médiations numériques à ce niveau (Aroufoune, Durampart, 2020). Sur un autre versant, les questions de modération, de régulation, d’accessibilité, de lutte contre la désinformation, ne peuvent être posées identiquement de part et d’autre des rives de la méditerranée. Il serait donc intéressant que ces dynamiques soient interrogées en permettant l’esquisse d’une mise en perspective de part et d’autre.
Bibliographique indicative
Aroufoune, B., Durampart, M. (2020). « Tensions politiques sur le pourtour méditerranéen ». FMES, OS2MO. L’OTAN face aux défis et opportunités du bassin méditerranéen. Toulon. https://fmes-france.org/lotan-face-aux-defis-et-opportunites-du-bassin-mediterraneen- retour-sur-le-colloque-en-ligne/
Badie, B. (2011). « Printemps arabe : un commencement », Études, 7/8, pp. 7-18.
Beuscart, J.S., Flichy, P. (2018). « Plateformes numériques », Réseaux, vol. 212, no. 6, 2018, 9-22.
Bigot, J.— E. et alii. (2021°. « Les plateformes à l’épreuve des dynamiques de plateformisation », Questions de communication, n° 40, pp. 9-22.
Braudel, F. (2017). La Méditerranée. Paris : Flammarion, « Champs histoire »
Cardon, D. (2013). « Dans l’esprit du PageRank. Une enquête sur l’algorithme de Google », Réseaux, n° 177, pp. 63-95.
Charaudeau, P. (2020). La manipulation de la vérité. Du triomphe de la négation aux brouillages de la post-vérité. Limoges : Lambert-Lucas.
Coutant A., Stenger T. (2012). « Les médias sociaux : une histoire de participation », Le Temps des Médias, n° 18, pp. 76-86.
Daguzan, J. (2022). « Rapports de force en Méditerranée : le retour de la question maritime », Confluences Méditerranée, n° 120, pp. 13-28.
Dézéraud, P. (2022). « Méditerranée : la délicate rencontre entre territorialisation de l’espace maritime et concept de bien commun de l’humanité ». Confluences Méditerranée, n° 120, 29-40.
Gawer A., Cusumano, M. (2002). Platform Leadership : How Intel, Microsoft, and Cisco Drive Industry Innovation, Boston : Harvard Business Scholl Press.
González-Quijano, Y. (2012). Arabités numériques : Le printemps du web arabe. Arles : Actes Sud-Sindbad.
Gonzalez-Quijano, Y., & Guaaybess, T. (dir.) (2009). Les Arabes parlent aux Arabes : La révolution de l’information dans le monde arabe. Arles : Sindbad-Actes Sud
Josseran, T. (2022). « La Mavi Vatan jusqu’où ? Le grand dessein de la Turquie en Méditerranée », Confluences Méditerranée, n° 120, pp. 55-68.
Migrations Société n° 186, « Les politiques migratoires de l’UE dans la tourmente, 2021/4 Revault D’Allonnes, M. (2018). La faiblesse du vrai. Ce que la post-vérité fait à notre monde commun. Paris : Seuil.
Stephan, G. (2024). Produire, disent-ils. Plateformes numériques et transformation d’une profession. Paris : Presses des Mine.
Varin, C. (2014). « Du monde arabe depuis 2011 : de son si rassurant ‘‘endormissement’’, de son ‘‘éveil’’, de ce qu’il nous faut encore entendre pour comprendre », Travaux et Jours, n° 88, pp. 89-103.
Wolton D. (2019). « Communication, incommunication et acommunication », Hermès, La revue, n° 84, pp. 200-205.
Wolton, D. (2024). Penser l’incommunication. Paris : Le Bord de l’Eau.
Modalités de participation
Les propositions originales de maximum 3 000 signes, bibliographie non comprise, sont à adresser à Enrique KLAUS [enrique.klaus@univ-cotedazur.fr] et Billel AROUFOUNE [billel.aroufoune@univ-tln.fr] avant le 31 mars 2024. Elles présenteront l’objectif, la problématique, le cadre théorique, le terrain, la méthodologie et les premiers résultats de la recherche.
Calendrier
- 25 février 2024 : Lancement de l’appel à communications
- 31 mars 2024 : Date limite d’envoi des propositions
- 30 avril 2024 : Retours aux auteurs (acceptation ou refus de la proposition)
- 5 mai 2024 : Diffusion du programme détaillé
- 30 et 31 mai 2024 : XXI° Forum du RTRC, campus Georges Méliès, Cannes
- 10 septembre 2024 : Envoi des articles complet pour expertise
- 10 novembre 2024 : Notification aux auteurs d’acceptation ou de refus
- 10 décembre 2024 : Réception des nouvelles moutures des textes acceptés
- Juin-juillet 2024 : Publication de l’ouvrage collectif
Comité scientifique
- Billel Aroufoune (IMSIC UTLN)
- Abdel Benchenna (LABSIC Univ. Paris 13)
- Michel Durampart (IMSIC UTLN)
- Marie-Noëlle El-Khoury (Univ. Libanaise)
- David Galli (CNE Avignon Univ.)
- Lucia Granget (IMSIC UTLN)
- Alexandre Joux (IMSIC AMU)
- Enrique Klaus (SIC.Lab Univ. Côte d’Azur)
- Alessandro Leiduan (BABEL UTLN)
- Joseph Moukarzel (Univ. Antonine Liban)
- Maud Pélissier (IMSIC UTLN)
- Nicolas Pélissier (SIC.Lab Univ. Côte d’Azur)
- Franck Renucci (IMSIC UTLN)
Mots-clés
- Mots-clés
- Communication
- Plateformes numériques