Événement labellisé SFSIC
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Lieu de l’événement Université de Lorraine, IUT Charlemagne, 2 ter boulevard Charlemagne , Nancy 54
Présentation
Si l’expertise a longtemps été principalement destinée à fonder « en raison » les décisions politiques, ces dernières décennies le recours à des figures expertes s’est étendu. Celles-ci ne sont plus uniquement construites à l’intention des pouvoirs publics ou dans les cercles académiques, mais sont désormais largement sollicitées par les médias, avec une intention d’information ou de mise à disposition de l’expertise au public. Dans le domaine de la santé en particulier, le contexte pandémique a exacerbé la médiatisation des paroles d’experts, éventuellement antagoniques, mettant en lumière la difficulté pour le grand public d’évaluer la légitimité et la confiance qui pouvaient leur être accordées.
La figure de l’expert.e médiatique n’est ni soumise au même principe de transparence, ni aux mêmes critères de compétences que lorsqu’elle est au service de la décision politique et sollicitée en ce sens (Bérard et Crespin, 2010 ; Joly, 1999). Une même personne, ayant pour une expertise donnée une légitimité institutionnelle, peut se retrouver présentée comme experte dans un tout autre contexte et domaine. Cela peut alimenter une défiance ou une suspicion de manipulation des opinions1. Quels rapports entre médias et « experts » s’opèrent-ils alors ? Dans un univers scientifique où les champs de recherche sont de plus en plus spécifiques, n’est-il pas en effet curieux de voir une soudaine transversalité quand il s’agit d’expertise ?
La crise sanitaire a vu se multiplier des voix d’expertise multiples, contradictoires, convoquées dans des temps contractés, ce qui a pu constituer une difficulté supplémentaire pour les journalistes, notamment en termes de déontologie. À quelles stratégies de convocation de figures d’expertise les journalistes ont-ils eu recours ? Comment ces choix ont-ils pu peser sur la manière dont un problème majeur de santé publique s’est construit en problème public de santé ? Ont-elles été profondément différentes de celles qu’ils mettent généralement en œuvre ? Quels outils de vérification mobilisent-ils (Bigot, 2017) ? La crise pandémique et la communication sanitaire publique qui l’a accompagnée ont signifié l’acmé de l’actualité scientifique liée aux questions de santé, cependant, celle-ci, d’une manière plus globale, nourrit le travail quotidien des journalistes (Durant-Mallet, 2019 ; Ollivier-Yanniv, 2015). Le traitement de l’actualité scientifique, sa hiérarchisation et la manière dont les journalistes mobilisent des procédés énonciatifs pour faire parler les chercheurs et les médecins devra être interrogé lors de ce colloque, tout comme la manière dont la parole des experts est présentée, requise et utilisée.
La spécialisation des journalistes aux questions de santé peut leur permettre de revendiquer, ou de se voir attribuer, le qualificatif d’expert en santé, et d’être volontiers invités à ce titre sur les plateaux de télévision ou dans d’autres médias. Quel est le type de trajectoires de ces journalistes et leur formation préalable (Comby, 2009) ? D’autre part, un petit nombre de médecins ou de chercheurs, en étant régulièrement invités, assument des rôles de chroniqueurs ou même de responsables d’émissions. La frontière devient poreuse entre journalistes en santé et médecins journalistes. La légitimité des uns et des autres en tant qu’experts en santé est-elle présentée de la même manière ?
Les médias traditionnels et numériques servent aussi de caisse de résonance aux témoignages de patients et de leur entourage qui ont développé une forme d’expertise par rapport à la maladie. Cette expertise, d’une autre nature, qualifiée de « profane », est souvent reconnue comme complémentaire à l’expertise « savante » (Massé, 2012). Quelle légitimité leur est-elle octroyée ? Une définition rassemblant des profils de personnes non pourvues d’une formation académique en lien avec le sujet de santé sur lequel elles s’expriment est admise (Salman et Topçu, 2015). L’expert « profane » détient ce qu’on appelle de manière générale le savoir expérientiel de son propre cas (Simon, Arborio, Halloy, Hejoaka, 2020), à l’image du « consommateur expérimenté » (Leveratto, 2016) ou encore du « public ordinaire » (Rouquette, 2021). Cet expert profane devient une ressource possible pour un patient naïf de connaissances médicales et thérapeutiques de sa maladie (Bolam, Gleeson, Murphy, 2003). Si le « patient expert » (Shaw et Baker, 2004 ; Lindsay et Vrijhoef, 2009) fait l’objet de nombreux travaux de recherche, d’autres sortent lentement de l’ombre tels les aidants non professionnels par exemple, ou s’organisant en collectifs.
Mais dès qu’un collectif de « profanes » se fait accompagner d’un professionnel de médecine ou se dote d’un comité scientifique, l’expertise ne devient-elle pas mi-profane, mi- professionnelle (Grimaldi, 2010) ? Quand l’expert « profane » partage son savoir, de nombreuses questions se posent : Comment communique-t-il ? Auprès de qui ? Quels supports de communication mobilise-t-il ? Quelle est la légitimité de sa prise de parole dans l’espace public ? Quel pouvoir cette dernière lui permet-elle d’exercer ? À l’heure où tout le monde peut partager sur Internet un témoignage sur son vécu et sur les remèdes qu’il a utilisés, les réseaux sociaux numériques jouent un rôle de résonateur très important.
Ce colloque, qui propose de partager des travaux portant sur les processus de légitimation ou de délégitimation médiatiques des figures d’expert.es, sur l’évolution des processus de médiatisation des connaissances scientifiques ou encore sur le jeu politique, tacite ou non, des expert.es institutionnels sollicité.es, peut aussi questionner en quelle mesure la présence médiatique des expert.es en santé concourt à influencer les discours institutionnels, la prise de décision et la mise en place de la politique de santé en France (Akrich et Rabeharisoa, 2012). L’évolution des relations entre les différentes parties prenantes s’exprimant sur des questions de santé est ainsi à questionner (Chopyak et Levesque, 2002). Des propositions issues de toutes disciplines des sciences humaines et sociales seront les bienvenues.
Note
(1) À l’origine de cette défiance, la manipulation exercée par le Tobacco Industry Research Committee mettant le Dr Clarence Cook Little à la direction du collectif de recherche censé étudier la causalité du tabac dans le cancer du poumon. Ce scientifique américain a été financé pour travailler en fait sur le facteur génétique dans l’apparition d’un cancer de 1959 à 1964.
Références
Akrich M. et Rabeharisoa V. (2012), « L’expertise profane dans les associations de patients, un outil de
démocratie sanitaire », Santé Publique, vol. 24, n°1, pp. 69-74.
Bérard Y., Crespin R, dirs., (2010), Aux frontières de l’expertise. Dialogue entre savoirs et pouvoirs, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Res publica ».
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Bigot L., « Fact-checking », Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 27 avril 2017. Dernière modification le 26 février 2018. Accès : http://publictionnaire.huma- num.fr/notice/fact-checking.
Bolam B., Gleeson K. et Murphy S. (2003) « « Lay Person » or « Health Expert » ? Exploring Theoretical and Practical », Forum Qualitative Social Research. Aspects of Reflexivity in Qualitative Health Research, vol.4 n°2 art.26.
Chopyak J. et Levesque P. (2002), « Public participation in science and technology decision making : trends for the future », Technology in Society, vol. 24, n°1, pp. 155-166.
Comby J.-B. (2009/5-6), « Quand l’environnement devient “médiatique”. Conditions et effets de l’institutionnalisation d’une spécialité journalistique », Réseaux, n°157-158, pp. 157-190.
Durant-Mallet E. (2019/1), « Regard des journalistes scientifiques sur l’actualité de la recherche
biomédicale », Hermès, La Revue, n°83, pp. 243-251.
Gilbert C., Henry E., Jouzel J-N. (2015), Dictionnaire critique de l’expertise. Presses de Sciences Po.
Grimaldi A. (2010), « Les différents habits de l’« expert profane » », Les tribunes de la santé, vol. 2, n° 27, pp. 91-100.
Henry E., Gilbert C., Jouzel J-N. et al. (2015), Dictionnaire critique de l’expertise Santé, travail,
environnement, Presses de Sciences Po.
Joly, P-B. (1999), « Besoin d’expertise et quête d’une légitimité nouvelle : quelles procédures pour réguler l’expertise scientifique ? », Revue française des affaires sociales, n°1, pp. 45-53.
Leveratto J.-M. (2016 ; 2021), « Public expert », Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 20 octobre 2016. Dernière modification le 01 juin 2021. Accès : http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/public-expert
Lindsay S., Vrijhoef H. J. M. (2009), « Sociological focus on ‘expert patients’ », Health Sociology Review, vol. 18, pp. 139-144. Published online : 17/12/2014. https://doi.org/10.5172/hesr.18.2.139
Massé R. (2012), « Expertises éthiques savantes et profanes en santé publique : défis et enjeux pour une éthique de la discussion », Santé Publique, vol. 24, n°1, pp. 49-61.
Ollivier-Yaniv C. (2015), « La communication publique sanitaire à l’épreuve des controverses »,
Hermès, La Revue, n° 73, pp. 69-80.
Rouquette S. (2021), « Public ordinaire (radio, télévision) », Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 01 juin 2021. Dernière modification le 23 août 2021. Accès : http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/public-ordinaire-radio-television
Salman S. et Topçu S. (2015), « Expertise profane », in Henry E., Gilbert C., Jouzel J.-N. et Marichalar (dir.), Dictionnaire critique de l’expertise, Santé, travail, environnement, Presses de Sciences Po, Paris, pp. 164-172.
Simon E., Arborio S., Halloy A., Hejoaka F. (dir.), Les savoirs expérientiels en santé. Fondements épistémologiques et enjeux identitaires, Nancy, PUN – Éditions universitaires de Lorraine, coll. « Questions de communication série actes », 2020.
Shaw J. et Baker M. (2004), « Expert patient, dream or nightmare ? », British Medical Journal, 328, pp. 723-724.
Comité d’organisation
- Laurence Corroy (Crem, Université de Lorraine)
- Christelle Larguier (Communication et Sociétés, Université de Clermont Auvergne)
- Aurélie Pourrez (Crem, Université de Lorraine)
- Marieke Stein (Crem, Université de Lorraine)
- Céline Ségur (Crem, Université de Lorraine)
Comité scientifique
- Viviane Clavier, université Grenoble Alpes
- Benoit Cordelier, UQAM, Département de communication sociale et publique, Université du Québec à Montréal, Canada
- Thierry De Smedt, université de Louvain la Neuve, Belgique
- Olivier Galibert, Cimeos, université de Bourgogne
- Patrice de La Broise, Geriico, université de Lille
- Elise Maas, Institut des Hautes études des Communications sociales, Bruxelles, Belgique
- Céline Paganelli, Lérass, université Paul Valéry Montpellier 3
- Anne Piponnier, Crem-Praxis, université de Lorraine
- Daniel Raichvarg, Ciméos, université de Bourgogne Franche Comté
- Corinne Rochette, Clerma, Université Clermont Auvergne
- Sébastien Rouquette, C&S, université Clermont Auvergne
- Emmanuelle Simon, Crem-Praxis, université de Lorraine
- Caroline Yaniv-Ollivier, Université Paris Est Créteil, Céditec
- Alexandre Wenger, Medical humanities, université de Genève
Calendrier
Date limite d’envoi des propositions de communication (600 mots maximum) : 15 janvier 2022.
Chaque proposition soumise doit être accompagnée de 5 ou 6 références bibliographiques et de 5 mots clés, des noms, ainsi que des affiliations et courriels de tous les auteurs.
L’envoi se fera par courriel à : laurence.corroy@univ-lorraine.fr et christelle.larguier@uca.fr
- Réponse des évaluateurs : 15 février 2022
Partenaires
CREM – Centre de recherche sur les médiations
CREM