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Lieu de l’événement Université Jean-Jaurès, 5 Allée Antonio Machado , Toulouse 31
Argumentaire
Souvent considérée comme trop imprécise, voire controversée, la notion de style refait périodiquement surface dans le champ des études littéraires (Adam 1997, Jenny 2000) et intéresse aussi les sciences humaines dans un sens large (sociologie, philosophie, anthropologie : Granger 1968, Martinelli 2005). Singulièrement, c’est dans le champ de la création contemporaine et de sa critique qu’elle semble aujourd’hui le moins présente.
Par définition, le style concerne la mise en forme et peut désigner d’une part les marques ou traces d’unicité ou d’individualité de l’artiste repérables dans les œuvres et qui constituent une « patte » ou une « signature », et d’autre part les invariants caractérisant une période, une école ou un groupe d’artistes. Malgré la vitalité de pratiques qui impliquent de telles marques d’individualité, les pratiques contemporaines ne semblent pas pouvoir être saisies en termes de style. Différentes raisons, parfois contradictoires, pourraient l’expliquer : pluralité des techniques et des médiums employés par les artistes, délégation de la fabrication des œuvres, primauté de l’idée ou du processus de création sur la forme, pratiques sans incarnation dans un objet, etc. On peut ajouter à cette liste l’emploi des outils numériques.
En effet, on est en droit de penser que ces nouveaux intermédiaires entre la main et le support font « écran » entre l’artiste et sa création, dans la mesure où le support ou le matériau ne sont plus marqués par l’empreinte directe de l’artiste. Cela serait d’autant plus vrai quand la « fabrication » de l’œuvre consiste à rédiger des lignes de codes. L’étymologie de style – du latin stilus, instrument utilisé par les Romains pour écrire – rappelle d’ailleurs l’importance du geste et que le style émerge en partie à l’intersection d’une technologie et d’une manière particulière de la mettre en œuvre.
Pourtant, on peut constater que le style n’est pas totalement absent des pratiques contemporaines utilisant le numérique. En premier lieu, on peut penser aux pratiques graphiques et picturales à l’ordinateur. Dans le domaine du dessin génératif, on distingue au premier coup d’œil un Frieder Nake d’un Vera Molnar, un Mark Wilson d’un Casey Reas : manifestement, chacun possède un « style » qui lui est propre, et ce malgré l’absence du geste. De même, l’influence majeure de John Maeda fera dire qu’« un style maeda existe, c’est pratiquement une école. » (Bakič 2010, 223). En illustration et en bande dessinée, de nouvelles caractéristiques formelles émergent de l’utilisation du numérique (collage de Dave McKean par exemple) et de la publication sur les blogs et réseaux sociaux (exécution rapide et trait plus « lâché »). De nouvelles interfaces matérielles telles que les écrans tactiles, les tablettes graphiques, ainsi que les manettes ou détecteurs de mouvements, réintègrent le geste de l’artiste.
La question du style est également apparente dans les installations immersives et interactives ou encore dans les environnements virtuels artistiques où la place et le rôle donnés au spectateur deviennent partie prenante de l’œuvre. On se demande ainsi où chercher les traits esthétiques du style quand l’interactivité inscrit le spectateur dans l’œuvre et mêle son empreinte à celle de l’artiste. Est-ce que les fonctionnalités, les conventions d’usage et les processus de création propres aux outils numériques laissent place au style ? Si oui, dans quelle mesure ? Quels critères permettraient de distinguer et caractériser ces styles ? Comment peuvent-ils mener à redéfinir la notion de style, ou encore de « touche » ou de « manière » à l’ère numérique ?
Axes thématiques
Les contributions pourront éclairer les remarques qui précèdent ou apporter des réponses aux questions suivantes :
- À l’échelle d’une pratique ou d’un artiste singulier : comment l’emploi des technologies numériques affecte-t-il son style ? Par exemple, on pourra tenter de déterminer s’il y a un « avant » et un « après » l’apparition des technologies numériques dans la carrière d’un artiste. En outre, des interventions d’artistes permettraient d’éclairer « de l’intérieur » l’articulation de l’outil numérique et du style.
- À l’échelle collective : existe-t-il des tendances dans l’appropriation des technologies qui conduiraient à des communautés de style ? Si ce phénomène existe, peut-on parler d’écoles, de groupes constitués ou doit-on y voir un phénomène plus diffus ? On pourra aussi se demander si l’histoire de l’art numérique peut être divisée en périodes définies par des styles caractéristiques et, si oui, ce qui définit ces écoles.
- Liens entre les technologies et le style : Dans quelle mesure les technologies employées orientent-elles la création ou influent sur le style d’un auteur ? A quel point le logiciel utilisé prédétermine-t-il l’aspect de l’œuvre ? Quelles sont les éventuelles stratégies de contournement ? Il s’agirait alors de poser la question du lien entre outil numérique et création dans la lignée du Software takes command de Lev Manovich (2013), en se demandant comment l’outil reconfigure les pratiques, les processus de création, la forme et in fine le style.
- Critères de définitions d’un style : quels éléments de l’œuvre numérique font style ? Par exemple, est-ce que le choix ciblé de certaines fonctionnalités logicielles (copier-coller, filtres Photoshop, etc.) ou leur emploi récurrent peuvent manifester une singularité (à l’échelle individuelle) ou faire école (à l’échelle collective) ? Qu’en est-il d’œuvres qui ne comportent pas nécessairement de dessin ou d’artefacts faits de la main de l’artiste ? Qu’en est-il d’œuvres génératives ou créées par des Intelligences Artificielles ? Si ces pratiques ne font pas disparaître le style, alors qu’est-ce qui le caractérise ? Le style peut-il résider dans le code, au sens où les développeurs parlent parfois de « style de code » signant la conception d’un algorithme et la rédaction d’un programme ?
- Influences réciproques : on peut aussi se demander en quoi les pratiques « traditionnelles » sont affectées par le numérique. Par exemple, on peut se demander ce qu’un dessin effectué à la main avec les outils traditionnels doit au numérique ; ainsi de la ligne hyper précise et claire de Chris Ware que l’on pourrait confondre de prime abord avec du dessin vectoriel. Comment l’omniprésence du numérique renouvelle-t-il les pratiques non numériques du point de vue stylistique ?
Organisation
Journée d’étude organisée par Anthony Rageul et Athina Masoura, LARA-SEPPIA, Toulouse Jean Jaurès.
Modalités de soumission
Les propositions de 3000 signes maximum sont à envoyer accompagnées d’une notice biographique à anthony.rageul@univ-tlse2.fr et athina.masoura@univ-tlse2.fr avant le vendredi 3 septembre 2021.
Les contributions d’artistes sont également les bienvenues.
La journée d’étude aura lieu le lundi 25 octobre 2021.
Références bibliographiques indicatives
Adam Jean-Michel, Le style dans la langue : une reconception de la stylistique, Lausanne, Delachaux et Niestlé, 1997, 223 p.
Bakič Mariina Ilona, Le performatif dans l’art contemporain, Thèse de doctorat en Esthétique, Sciences et Technologies des arts, sous la direction de Jean-Louis Boissier, Université Paris 8, 2010.
Braun Pierre, L’ensauvagement graphique du code, Rennes, Présent Composé, 2019.
Bret Michel, « Méthodes d’optimisation dans la création artistique », Le blog – les algoristes, http://les-algoristes.over-blog.com/article-5470510.html, 1997, consulté le 18 mars 2021.
Couchot Edmond, « Du style et des images numériques », Ligeia, 1995, vol. 1995/1, no 17‑18, p. 117‑124.
Damisch Hubert, Fenêtre jaune cadmium ou les dessous de la peinture : essai, Paris, Seuil, 1984, 319 p.
Derrida Jacques, La vérité en peinture, Paris, Flammarion, 2010, 440 p.
Focillon Henri, Vie des formes, Chicoutimi, J.-M. Tremblay, 2002.
Genette Gérard, Fiction et diction, Paris, Éditions du Seuil, 1991, 150 p.
Goodman Nelson, Manières de faire des mondes, Nîmes, J. Chambon, 1992, 193 p.
Granger Gilles-Gaston, Essai d’une philosophie du style, Paris, Armand Colin, 1968, 312 p.
Groensteen Thierry, Bande dessinée et narration. Système de la bande dessinée 2., Paris, Presses Universitaires de France, 2011.
Jenny Laurent, « Du style comme pratique », Littérature, 2000, no 118, p. 98‑117.
Manovich Lev, Software Takes Command, s.l., Bloomsbury Publishing, 2013.
Martinelli Bruno (dir.), L’interrogation du style : anthropologie, technique et esthétique, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 2005, 284 p.
Méaux Danièle (dir.), Figures de l’art : « L’art & la machine », n°32, 2016, 326 p.
Mercier Andrée (dir.), Protée : « Style et sémiosis », Chicoutimi, Université du Québec, 1995, vol.2.
Molinié Georges et Cahné Pierre (dirs.), Qu’est-ce que le style ? : actes du colloque international, Paris, Presses universitaires de France, 1994, 354 p.
Nyc Ludovic, « Le prisme du style : sens et “rémini-sens” des images » dans Catherine Chomarat-Ruiz (dir.), De l’atelier au labo : inventer la recherche en art et design, Paris, Hermann, 2018, p. 197‑208.
Perconte Jacques, « Netartophilie. Le point de vue d’un artiste. », « Terminal : Net Art, technologie ou création ? », 2008, vol. 101, p. 59‑69.
Riegl Alois, Questions de style : fondements d’une histoire de l’ornementation, Paris, Hazan, 2002, 289 p.
Schapiro Meyer, Style, artiste et société, Paris, Gallimard, 1982, 443 p.
Vouilloux Bernard, « La portée du style », Poétique, 2008, n° 154, no 2, p. 197‑223.
Wölfflin Heinrich, Principes fondamentaux de l’histoire de l’art : le problème de l’évolution du style dans l’art moderne, 1989, 284 p.
Ligeia : « Le style », 1995, vol. 1, n°17-18.