Si l’école fait la part belle aux textes de fiction dans les apprentissages de la lecture et l’écriture littéraires, en revanche, la notion de fiction n’apparaît que de façon très marginale dans les programmes pour l’enseignement du français. Une discrétion qui peut être expliquée par des motifs externe et interne : d’une part, la notion de fiction est toujours débattue dans le champ de la théorie littéraire et plus largement des artéfacts culturels ; d’autre part la délimitation des savoirs de référence dans la constitution de la didactique de la littérature demeure une question sensible.
Aborder la fiction comme objet didactique n’apparait pas d’emblée comme une évidence, du fait notamment de l’instabilité de ses constituants et de ses frontières. Pourtant, dans un temps où la didactique de la littérature ne cesse de promouvoir une approche esthétique des textes littéraires, attentive à la relation entretenue d’un lecteur empirique avec un texte littéraire, il nous semble nécessaire d’examiner les possibilités d’une didactique du texte de fiction, préoccupée des modes d’immersion fictionnelle comme des conditions d’élaboration d’un univers de fiction dans le cadre de la création littéraire.
Cela soulève tout un ensemble de questions sur les versants de la fictionnalité, des régimes de fiction, de la fictionnalisation dans les opérations cognitives de la lecture : Quels sont les modes passionnels, rhétoriques, propres à faciliter notre immersion dans l’univers de fiction ? Comment cet univers génère-t-il de l’émotion et quel type de plaisir procure-t-il ? Que nous apporte-t-il, après coup, dans la connaissance que nous avons de nous-mêmes et dans notre relation aux autres, et quelles sont les valeurs autour desquelles un débat interprétatif peut être conduit en classe de français ?
L’appel à communication porté par ces quelques questions non exhaustives est conçu autour de trois axes : la question des corpus, les territoires de réception de la fiction et l’invention de la fiction à la confluence de la lecture et de l’écriture. On ne s’interdira pas cependant d’aborder des questions transversales permettant par exemple d’éclairer théoriquement l’approche didactique des objets de fiction et les relations esthétiques, cognitives, émotionnelles qu’ils induisent. Dans une même volonté d’appréhender la question de la fiction enseignée dans une diversité des approches, une mise en perspective historique pourra aussi être considérée.
1- La fiction, les corpus et les supports
Avec ce premier axe, il s’agit de s’intéresser aux formes, aux formats éditoriaux de la fiction, à la place réservée aux manuels, aux usages des productions numériques.
Quelle est la place de ces formes fictionnelles dans les pratiques de classe et d’atelier d’écriture et quels en sont les enjeux de formation ? (Brunel, 2021 ; Houdart-Mérot et Petitjean, 2015). Dans une compréhension distincte et complémentaire de la notion de support, on s’intéressera aussi aux corpus présents dans l’univers scolaire considérés dans leur plus large diversité (Louichon et Rouxel, 2010) : le corpus des fictions narratives, dramatiques, multimodales a-t-il été élargi en même temps que se développaient, dans le champ des recherches en didactique de la littérature, les approches éthiques et esthétiques posées par la relation à l’œuvre de fiction en situation d’apprentissage scolaire ? (Rouvière, 2018 ; Sauvaire, 2019).
Selon les niveaux de classe, quels sont les corpus fictionnels prescrits et/ou présents dans les usages ? Observe-t-on des variations, des effets de mode, des influences éditoriales qui font de cette production littéraire, filmique dramatique, un corpus scolaire très sensible aux pratiques de lecture, à l’actualité éditoriale ? L’examen des corpus peut aussi bien être envisagé dans une perspective historique, afin de comprendre la place de la fiction dans la classe de français et ses emplois, l’évolution des modalités d’inscription des textes et des corpus fictionnels dans les programmes, les pratiques, les outils scolaires tels que les manuels (Petitjean, 2022, pour l’histoire de l’enseignement des fictions dramatiques).
Par ailleurs, comment les enseignants opèrent-ils des choix dans les corpus proposés ou non par les textes officiels ? Comment se construisent les bibliothèques des fictions, en fonction de quelles nécessités de savoirs et de compétences, et quelle attention est réservée aux goûts, aux manifestations d’intérêt des élèves lecteurs ? En fonction des situations éducatives, des publics scolaires, des filtres individuels dans la sélection des œuvres, la censure des œuvres est-elle un fait pédagogique et que dit-elle des éventuelles influences des marqueurs sociaux et idéologiques sur des corpus de fiction à visée de formation des élèves (Merlin-Kajman, 2020) ?
2- Territoires de lecture et de réception de la fiction : dispositifs, savoirs et activités du lecteur-spectateur
La réception des œuvres de fiction peut être envisagée comme une exploration sensible des différentes possibilités d’existence, comme une rencontre avec une altérité proche ou lointaine, familière ou étrangère, transparente ou résistante. Les lecteurs et lectrices, les spectateurs et spectatrices choisissent parmi ces propositions fictionnelles celles qui correspondent à leurs possibles les plus propres (Ricœur, 1985) reconfigurant ainsi leurs expériences lectorales en une identité elle-même fictionnalisée. C’est pourquoi les textes fictionnels, qu’ils soient narratifs ou poétiques, engagent ceux qui les lisent et les font lire dans des processus d’invention de soi. En ce sens, la découverte des territoires de la fiction peut déboucher sur un renforcement des valeurs constitutives de l’identité lectorale ou bien dans une remise en question de ces mêmes valeurs. On peut également définir « la compétence fictionnelle comme la capacité à s’immerger, sur le mode de la feintise ludique partagée, dans le monde possible de l’œuvre d’art, quel que soit le dispositif mimétique en jeu, récit littéraire, fiction théâtrale ou filmique, jeu vidéo » (Schaeffer, 1999).
Quelles sont alors les opérations de fictionnalisation dans les temps d’appropriation et de désappropriation des textes et plus largement des œuvres filmiques, romanesques, dramatiques, lyriques, etc. ? Quels rôles jouent les savoirs sur la fiction dans ces processus ? À l’intérieur du dispositif spectaculaire qu’est le cinéma comme « lieu » et comme langage, en quoi consiste l’activité cognitive et émotionnelle ?
Le partage des expériences fictionnelles peut aussi être abordé comme un puissant moteur de développement des imaginaires, et de confrontation des subjectivités lectrices. Comment ces caractères de la fiction sont-ils considérés dans les dispositifs de lecture, aux différents âges de la scolarité ? Quels sont les obstacles ou les limites de la prise en compte didactique de ces diverses fictions parfois contradictoires ? Comment cette pluralité est-elle anticipée, investie, dialogisée par les enseignants et par les élèves ? La fiction n’opère-t-elle pas aussi, en amont des pratiques d’enseignement de la lecture, dans la manière dont les enseignants élaborent des représentations fictionnalisées du déroulement des échanges, des interventions des élèves. Du texte du lecteur (Mazauric et al., 2011) au texte de la classe (Louichon, 2020) comment s’opèrent différentes activités fictionnalisantes, selon quelles convergences, en fonction de quels décalages ?
3- L’invention de la fiction entre lecture et écriture
La fiction et ses terrains d’expérience lectorale et scripturale occupent une place notable dans la formation du sujet de l’école à l’université. Terrain d’expérience pour l’exercice de la créativité, pour l’expression de l’imagination, l’écriture contribue à reconfigurer la réception fictionnelle. Quelle est la part du collectif, du singulier, de l’expérience du sujet dans le processus d’écriture ? (Boré, 2010 ; Dufays et Plane, 2009). Quelle attention est portée aux modèles littéraires et aux interactions lecture-écriture ?
Par ailleurs, les apprentissages de l’écriture de fiction s’inscrivent[1]ils dans les évolutions contemporaines de la description de la lecture littéraire : le déplacement de l’attention de l’objet littéraire vers la relation entretenue entre un sujet-lecteur et l’objet de sa lecture trouve-t-il des équivalents dans la pratique d’une écriture fictionnalisante ? En quels termes se pose la question des postures du sujet-lecteur-écrivant ? (Tauveron et Sève, 2005). Comment sont accompagnés et favorisés les processus de fictionnalisation à l’œuvre dans les projets d’écriture ?
Calendrier
- 1er juin 2024 : date limite d’envoi des résumés de la proposition d’article. 5 000 signes. Bibliographie indicative (5 titres). Axe d’analyse retenu
- 1er juillet 2024 : retour de l’évaluation et résultat d’acceptation.
- 1er décembre 2024 : date limite d’envoi d’une première version de l’article.
- 1er mars 2025 : retour de l’article dans sa version définitive
- Juillet 2025 : sortie du numéro de Pratiques.
- Correspondance à adresser à l’adresse suivante : inspe.fiction.pratiques@univ-tlse2.fr
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