Télévision

Le documentaire démultiplié

De la télévision à l’audiovisuel : programmation, écritures, production 

Mis en ligne le

Réponse attendue pour le 23/12/2024

Type de réponse Résumé

Type de contribution attendue Article

Nom de la publication Télévision

Éditeur CNRS Editions

Coordinateurs

Contacts

La revue Télévision lance un appel à contributions pour son numéro 16, intitulé « Le documentaire démultiplié. De la télévision à l’audiovisuel : programmation, écritures, production » sous la direction de Benoit Lafon et Laurie Schmitt.

Présentation

Ce dossier vise à traiter du documentaire télévisuel élargi au domaine audiovisuel dans une perspective d’extension des médias et de la télévision en particulier vers les services en ligne (Lafon, 2017 ; Jost, 2019). Nous nous intéressons ici à la diffusion linéaire et non linéaire de programmes de flux et de stock, considérant que les groupes de télévision diffusent aujourd’hui leurs programmes – en particulier les documentaires – en linéaire (par ex. France 5) et en désynchronisé (par ex. France.tv), et que le genre documentaire se démultiplie au point de devenir dans certains cas un programme de flux, sériel et périssable. En outre, par-delà la traditionnelle offre télévisuelle de documentaires, produits ou co-produits et diffusés par les chaînes de télévision, se développent de nouvelles offres de documentaires, portées par les plateformes audiovisuelles (chaînes YouTube, Dailymotion…) et par les services de Médias Audiovisuels à la Demande (SMAD : Netflix, Disney+, Prime Video, Tënk…) : le documentaire connaît de ce fait une démultiplication de son offre, corrélée à l’émergence de nouveaux acteurs de contenus audiovisuels et plus seulement télévisuels. Les recherches sur la télévision et l’audiovisuel dans leur rapport au numérique ont tendance à privilégier des analyses sur la fiction soulignant comment celle-ci est « un objet de convoitise des opérateurs » (Guibert, Rebillard et Rochelandet, 2016 : 213) ou mettant en lumière le renouvellement des séries (Donnat et Pasquier, 2011 ; Esquenazi, 2014 ; Campion, 2018). Il s’agit ici de se questionner sur les contours et évolutions du documentaire télévisuel et audiovisuel car il apparaît, aujourd’hui, largement démultiplié. En effet, le documentaire est omniprésent sur nos écrans, de télévision bien sûr, mais plus largement sur l’ensemble des services de médias audiovisuels : services de rattrapage TV et vidéo à la demande -VàD- (TF1+, France.tv, 6Play, Arte.tv…), services spécifiques de VàD (Netfix, Disney+, UniversCiné, Spicee…) ou encore services de partage de vidéo – plateformes vidéo ou réseaux socio-numériques – (YouTube, Dailymotion, TikTok, Instagram…). Les contours du documentaire télévisuel se redessinent donc et se redéfinissent autour du documentaire audiovisuel. « Genre noble à la télévision, le documentaire a généralement trait à la découverte et à la connaissance. (…) Sauf exception, il relève plus de la télévision “éducative” que de la télévision de divertissement, qui fait référence.  »  (Le Champion, Danard, 2014 : 78). Pour autant, ces dernières années, documentaires de vulgarisation scientifique, historiques ou d’actualités côtoient des documentaires de création, mais également des documentaires biographiques ou sportifs, souvent construits sur des structures d’intrigues reposant sur des « personnages » et se voulant « divertissants ». À cela s’ajoutent des formats unitaires ou sériels.

Par-delà cette variation des sous-genres et des formats, les diffuseurs eux-mêmes se multiplient :  les chaînes publiques à vocation culturelle et/ou éducative (Arte, France 5) les chaînes thématiques gratuites (RMC Découverte et Story) ou payantes qu’elles soient nationales (Histoire, Science et Vie TV) ou internationales (Discovery, National Geographic), les éditeurs vidéo, les chaînes YouTube ou encore les services de médias audiovisuels à la demande (Smad). L’année 2023 marque d’ailleurs pour le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), en association avec la Cinémathèque du documentaire et la Scam, « l’année du documentaire », occasion de « célébrer la grande richesse de cette « forme d’expression », sa vitalité, son inventivité et sa diversité. Le documentaire apparaît bien aujourd’hui démultiplié, il devient un genre majeur de nouvelles offres télévisuelles et audiovisuelles, mis en vitrine par ces dernières.

Ce numéro de dossier se construit autour de trois axes majeurs.

  • La programmation des documentaires : démultiplication des formats, esthétiques et sous-genres

Les contributions auront pour objectif d’interroger, d’un point de vue préférentiellement socio-discursif et socio-sémiotique – avec des perspectives socio-économiques – la programmation des documentaires par la télévision et les services en ligne. Il s’agira de questionner notamment la démultiplication des formats (unitaires/sériels, courts/longs…), des esthétiques (prises de vue réelles, archives, animation, réalité augmentée ou virtuelle…) et des sous-genres du documentaire audiovisuel : thématiques tels qu’historique, scientifique ou de société ; biopic ; docu-soap… voire documentaire de création[1], genre reconnu en soi, dans ses recadrages audiovisuels et télévisuels.

Au format jusqu’alors dominant du 52 minutes, d’autres s’ajoutent progressivement des formats courts de moins de 44 minutes, comme des formats longs de plus de 92 minutes (comme en témoignent les différents rapports du CNC en raison notamment de la politique d’acquisition des chaînes nationales gratuites). Si les programmes unitaires sont encore largement majoritaires, les séries documentaires se développent et trouvent une place importante sur les services de VàD, à l’image de Netflix, Amazon Prime Video ou encore Disney+. Là aussi, les documentaires sériels subissent la même tendance de l’allongement de leur format, avec des épisodes pouvant se situer entre 45 et 59 minutes. Ajoutons que la série documentaire française est la 3e nationalité la plus représentée derrière les programmes américains et britanniques en juillet 2022, sur les services de vidéos à la demande par abonnement -VàDA- (CNC, 2023). Dès lors, s’intéresser au format s’accompagne aussi de questions sur le formatage. Car comme l’écrivent Guillaume Soulez et Kira Kitsopanidou (2015) : «  Le format possède en effet le caractère contraignant d’une forme imposée, d’une forme qui s’inscrit dans la réalité des échanges entre créateurs, producteurs, diffuseurs et spectateurs pour en régler l’efficacité, la lisibilité ou encore l’adéquation à une norme, qui peut être temporelle, thématique, programmatique, stylistique, etc., et même tout cela à la fois ». D’ailleurs, auteurs et réalisateurs de documentaires s’interrogent sur leur liberté éditoriale et, à rebours, les risques de standardisation auxquels ils sont confrontés mais aussi sur les situations de commande auxquels ils sont soumis pour répondre aux logiques de programmation des chaînes notamment (Fipadoc, janvier 2022).

Du côté des sous-genres, les documentaires sportifs à titre d’exemple sont de plus en plus nombreux sur Netflix, les documentaires biographiques sur Arte.tv trouvent une place de choix dans la catégorie portraits, les documentaires d’actualités sont plébiscités sur Spicee, etc. Comment se construit l’offre documentaire ? Comment évolue-t-elle ? Comment les écritures se renouvellent-elles ? Dans son étude Le marché du documentaire en 2023, le CNC relève par exemple « une percée de l’intelligence artificielle » mais aussi le développement de nouvelles formes documentaires interactives ou immersives, comme ce fut le cas un temps avec le webdocumentaire (Broudoux, 2011 ; Salles et Schmitt, 2017). Dès lors, pour reprendre une interrogation de Chloé Delaporte (2015 : 80), l’émergence de nouveaux médias s’accompagne-t-elle de nouveaux genres, voire de sous genres ? Comment la « genration » (Delaporte, 2015) en documentaire répond-elle à des stratégies des producteurs, des diffuseurs ou encore des financeurs ? À titre d’exemple, on peut ici questionner le cas de reportages de société (tels ceux bénéficiant d’une aide CNC et diffusés par M6 ou TF1) ou des émissions de télé-réalité, à l’image de Pop Stars, qui utilisent l’étiquette documentaire pour toucher des subsides du CNC, bien qu’elles n’obéissent pas aux critères définitoires du documentaire.

Entre segmentation et diversification du documentaire se dessinent de multiples façons de programmer, de formater et de catégoriser des documentaires au pluriel, processus caractérisant la démultiplication au centre de ce dossier.

  • L’écriture documentaire audiovisuelle : thèmes et variations

La démultiplication des documentaires se traduit également par un foisonnement des thèmes et de leurs variations : de quoi parlent les documentaires ? Et pour quels publics ? Quels procédés d’écriture mettent-ils en œuvre ? Il est question ici, dans une approche socio-discursive, voire socio-ethnographique, d’aborder les différents modes de prise de vues, les manières de tourner (Niney, 2009) le documentaire et ainsi d’interroger son rapport au réel. Ce faisant, les questionnements socio-politiques sur la contribution des documentaires à la construction des questions publiques, par le rapport de la médiatisation à la publicisation (Pailliart, 2019) seront bienvenus.

Concernant les sujets abordés, on peut ainsi se questionner sur leur évolution (perspective diachronique), mais également sur des sujets spécifiques, les documentaires apparaissant classés par offres thématiques dans la programmation et la mise à disposition pour les publics. Rémy Le Champion et Benoit Danard écrivaient en 2014 : « Le documentaire recouvre un large éventail de thématiques. (…) Un documentariste ne conçoit pas de la même manière un documentaire sportif et un documentaire historique, scientifique ou animalier » (Le Champion, Danard, 2014 : 78). Qu’en est-il 10 ans plus tard ? Comment des thématiques documentaires spécifiques se sont-elles transformées, voire spécialisées en fonction des publics visés ?

Ainsi, les thèmes canoniques des documentaires (histoire, sciences, sociétés, culture-art, sports, aventure-exploration…), peuvent-ils faire l’objet de variations, produisant éventuellement des sous-genres reconnaissables. Les documentaires sur la 2e Guerre mondiale, nombreux, constituent une sous-catégorie bien identifiable, elle-même productrice de récits spécifiques : Shoah, histoires vécues, stratégie militaire et combats, portraits de personnages historiques, images colorisées… De même, les documentaires scientifiques peuvent engendrer de multiples sous-genres, l’exploration spatiale se distinguant par exemple fortement des questions médicales ou environnementales, ce dernier thème pouvant faire l’objet de multiples questionnements eu égard à son actualité.

Les questions environnementales comme les nouvelles explorations spatiales illustrent de fait l’émergence récente de nouveaux thèmes documentaires que le présent dossier entend évoquer : changement climatique et catastrophes environnementales, informatique et nouvelles technologies, mais également émergence de nouvelles personnalités érigées en figures publiques, souvent générationnelles avec de nombreux biopics, en France et à l’international (Orelsan, Squeezie, Innoxtag, Taylor Swift…). Quant à France 5, beaucoup de ses documentaires sont consacrés à la consommation tels qu’au sein des séries « Enquête de santé » ou « Les docs conso. Enquête dans nos caddies », révélant une logique plus proche du magazine de reportage que du documentaire proprement dit.

L’examen de ces thématiques anciennes et renouvelées, de leurs mutations, pourra s’accompagner d’enquêtes approfondies sur les écritures mobilisées par ces documentaires (ce qui rejoint la question des formats) :  étude de procédés visuels, sonores, narratifs mis en place pour favoriser la captation et l’implication des publics.

  • Les médias audiovisuels étendus et le documentaire : les acteurs du documentaire

Historiquement en France, la sous-filière du documentaire s’est organisée et structurée en étant notamment portée par des aides publiques (en particulier émanant du CNC) et en répondant à des processus de production extrêmement rigoureux et institutionnalisés. Le documentaire constitue d’ailleurs le premier genre audiovisuel aidé par le CNC : 71 M€ ont été versés à plus de 550 producteurs audiovisuels en 2021 (CNC, dossier de presse, 2023). Dans la structuration du secteur, chaque acteur intervenant dans cette chaîne de coopération joue un rôle clé pour aller de la création du film à sa diffusion auprès des publics.

 

Les contributions au dossier pourront, dans une approche socio-professionnelle et socio-économique, interroger différents acteurs de la production et de la diffusion de documentaires, en particulier :

  • les chaînes publiques qui jouent un rôle de premier plan, notamment en raison de leur engagement en la faveur du documentaire : «  En l’espèce, quatre diffuseurs publics, ARTE, France 3 et France 5, concentrent 63 % des investissements de la totalité des chaînes françaises. » (Le Champion, Danard, 2014 : 79-80). Dans cette perspective, il n’est pas étonnant de voir des acteurs historiques du secteur, connaissant très bien les rouages de la filière, offrir ou développer des « plateformes numériques », à l’image d’Arte.tv ou de France.tv.
  • les chaînes privées qui ne sont pas en reste, au plan national : RMC Découverte, Histoire, Canal+ Docs, Ushuaïa TV… mais également international : National Geographic, Discovery…
  • les services de VàD spécialisés dans le documentaire tels que Tënk, 99.media et Spicee, ou bien faisant la part belle au documentaire à l’image d’UniversCiné, Cinémutins, Netflix, Paramount+, Prime Video…
  • les plateformes vidéo ou réseaux socio-numériques comme Youtube, TikTok et Instagram.

Ainsi, dans ce qui relève du documentaire audiovisuel, l’offre actuelle est complexe, protéiforme même, notamment parce que le documentaire, pour ces diffuseurs, devient un enjeu symbolique de différenciation du service, un enjeu économique de positionnement dans le marché, un enjeu professionnel de structuration des pratiques. Il est également question, dans ces jeux d’acteurs, de sa production. Car « La production documentaire est une activité d’artisan. Il n’est pas rare qu’une société de production ne fabrique qu’un seul programme dans l’année. » (Le Champion & Danard, 2014 : 80). De cette économie fragile découlent des pratiques professionnelles en tension, pour des acteurs qui se voient remettre en cause leurs droits par des acteurs internationaux, qui poussent notamment au retrait du statut de producteur délégué au bénéfice de producteur exécutif (Stephan, 2023).

Enfin, les contributions pourront s’intéresser aux transformations de la régulation du domaine, car comme l’écrit Alain Le Diberder à propos des programmes audiovisuels : « les documentaires arrivent en deuxième place [après les fictions] dans l’ordre du prestige comme dans celui des attentions des pouvoirs publics  » (2019, p. 30). Ce qui se joue ici a trait bien sûr au financement du documentaire, aux logiques d’investissements d’acteurs nationaux ou étrangers (définis dans le cadre de la directive SMA et du décret Smad) et ainsi des circuits de son exploitation.

Calendrier prévisionnel :

  • 23 décembre 2024 : date-limite de l’envoi des propositions d’articles (2000 signes maximum espace compris)
  • À partir du 17 janvier 2025 : notification aux auteurs
  • 14 avril 2025 : réception des articles (de 35 000 à 45 000 signes espaces compris) avec résumé et biographie
  • 19 mai 2025 : retour aux auteurs des évaluations en double aveugle
  • 30 juin 2025 : réception de la version définitive des articles après corrections (avec résumé et biographie)
  • Publication prévue septembre-octobre 2025

Envoyer les propositions à :

 

Références :

Broudoux Evelyne, 2011, « Le documentaire élargi au Web », Les  Enjeux  de  l’information  et  de  la  Communication, http://www.cairn.info/revue-les-enjeux-de-l-information-et-de-la-communication-2011-.html

Campion Benjamin, 2018, Le concept HBO. Elever la série télévisée au rang d’art, Presses universitaires François-Rabelais, Paris, 2018.

CNC, 2024, Le marché du documentaire en 2023, juin 2024.

Delaporte Chloë, 2015, Le genre filmique. Cinéma, télévision, internet, Presses Sorbonne Nouvelle, Paris.

Guibert Gérôme, Rebillard Franck, Rochelandet Fabrice, 2016, Médias, culture et numérique. Approches socioéconomiques, Armand Colin Paris.

Jost François, 2019, « Extension du domaine télévisuel », Télévision, vol. 1, n° 10, p. 17-31.

Jost François (dir.), 2010, « Télévision et réalité », Télévision, n°1, CNRS Editions

Lafon Benoit, 2017, « Médias sociaux : l’extension du domaine médiatique par l’industrialisation du relationnel », Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n° 18, vol. 3A, p. 77-88, [En ligne] Disponible à l’adresse : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2017/supplement-a/04-medias-sociaux-lextension-du-domaine-mediatique-par-lindustrialisation-du-relationnel/

Le Champion Rémy, Danard Benoît, 2014, Les programmes audiovisuels. Collection : Repères, La Découverte.

Le Diberder Alain, 2019, La nouvelle économie de l’audiovisuel, Editions de la Découverte, Paris.

Monnet-Cantagrel Hélène, Neuvillers Marie-Caroline (dir.), 2024, « Formats : transformations et variations, », Télévision, n°15, CNRS Editions

Niney François, 2009, Le Documentaire et ses faux semblants, Paris, Klincksieck, coll. « 50 questions ».

Pailliart Isabelle, 2019, « Médiatisation et espace public », in Lafon B. (dir.), Médias et médiatisation. Analyser les médias imprimés, audiovisuels, numériques, Grenoble, PUG, p. 191-211.

Salles Chloë, Schmitt Laurie, 2017, « Les webdocumentaires, un terrain d’expérimentation numérique », Sur le journalisme, Université libre de Bruxelles, volume 6, n°1, p. 158-171. URL :  http://www.surlejournalisme.kinghost.net/rev/index.php/slj/article/view/297/190

Schmitt Thomas, 2002, « Le cinéma documentaire à la télévision », in Creton Laurent (dir.), Le cinéma à l’épreuve du système télévisuel, CNRS Editions, Paris, p. 207-217.

Soulez Guillaume et Kitsopanidou Kira (dir.), 2015, « Le levain des médias. Forme, format, média », Paris, MEI (Médiation et information), no 39

Stephan Gaël, 2023, Produiredisent-ils – Plateformes numériques et transformations d’une profession ; Editeur : Presses des Mines, Paris.

[1] « Le documentaire de création se réfère au réel, le transforme par le regard original de son auteur et témoigne d’un esprit d’innovation dans sa conception, sa réalisation et son écriture. Il se distingue du reportage par la maturation du sujet traité et par la réflexion approfondie, la forte empreinte de la personnalité d’un réalisateur et (ou) d’un auteur ». » (Schmitt, in Creton, 2002 : 208)