La sémiotique tient à se définir comme une entreprise à vocation scientifique : elle vise à construire une théorie générale de la signification et des langages. Mais on peut aussi la définir, et la vivre, comme une certaine disposition d’esprit, faite de curiosité pour tout ce qui a, ou peut avoir du sens. (FLOCH, 1985, p. 139).
[…] j’ai le sentiment que, de nos jours, c’est presque faire acte de résistance que de s’en tenir à regarder longuement quelques œuvres, de ne pas se laisser transporter par ces flots d’images que charrient non seulement les programmes de télévision et les réseaux d’affichage mais aussi les “grandes expositions”. (FLOCH, 2002, p. 4)
Dans son ouvrage classique Petites mythologies de l’œil et de l’esprit (1985), Jean-Marie Floch fonde le champ d’étude de la sémiotique plastique, en définit les limites et laisse entrevoir ses prolongements. Le sous-titre du livre, “Pour une sémiotique plastique”, n’est certes pas anodin : il s’affirme ainsi comme le jalon inaugural d’un projet que le sémioticien consolidera et élargira lui-même dans ses ouvrages ultérieurs. Alors que, dans les sept études qui composent Petites mythologies…, Floch analyse la peinture, la photographie, la relation entre l’écriture et le dessin, l’architecture et la publicité, désignant ainsi les objets privilégiés par une sémiotique des manifestations visuelles, il élargit plus tard ces centres d’intérêt, y associant tour à tour les marques et le marketing (1990), le design (1995), et la bande dessinée (2002). D’un ouvrage à l’autre, il élabore une méthode qui définit des critères et des procédures d’analyse bien précis tout en proposant une ouverture de la théorie sémiotique à l’univers des créateurs, des spécialistes des arts visuels et des stratégies de marketing et de publicité et des amateurs d’art en général. Floch n’est pas seulement rigoureux dans ses approches, judicieux dans ses analyses et exhaustif dans l’examen des possibilités de développement de chacune de ses conclusions, il s’est aussi préoccupé d’être lu par un public de non-spécialistes et s’est demandé comment faire lire la sémiotique.
Soucieux d’expliquer la théorie de façon simple, didactique et concise, Floch débutait chacun de ses livres par des scripts de lecture où il suggérait des sauts de chapitre, des retours et des “échappées”. C’était un sémioticien qui croyait en la sémiotique, en sa capacité à décrire et, au-delà, à créer des significations pour le monde et la vie sociale, et non un penseur uniquement préoccupé par la rigueur méthodologique ou la définition terminologique. C’est pourquoi, dans la première épigraphe que nous avons choisie, il évoque une sémiotique « vivante », avant d’ajouter :
On a trop souvent reproché à la sémiotique d’être réductrice, de traiter les rapports de l’homme au monde et de l’homme à l’homme en termes de structures sèches, froides. Pour qui sait que cet aspect réducteur n’est qu’une des conditions de la rigueur, il ne s’agit là que de connotations. L’expérience de la recherche sémiotique montre plutôt qu’elle est un exercice fructueux de la curiosité intellectuelle et que cette curiosité peut ne pas être uniquement celle d’un observateur, distant et souverain, face aux actes et aux discours qui lui sont contemporains ; la dimension sociale de la sémiotique peut ne pas se limiter à une pure fonction didactique, de simple éveil à des domaines exclus de la culture classique, qui sont pourtant chargés de sens et qui, en même temps, en produisent. La sémiotique peut aussi aider à produire du sens. (FLOCH, 1985, p. 139).
Si la rigueur se laisse apprécier à partir d’un souci de la méthode, Floch doit être considéré comme un maître rigoureux : les éléments clés de la théorie, tels le concept de semi-symbolisme et l’articulation entre les schémas narratifs et les mécanismes sémantico-discursifs, lui ont permis de circonscrire les critères de description des contrastes chromatiques, eidétiques et topologiques dans les œuvres d’expression visuelle et d’étendre le champ de la sémiotique aux pratiques sociales (avec l’analyse célèbre des voyageurs du métro, 1985) et aux interactions entre sujets et entre sujets et objets (l’étude des marques, du marketing et des identités visuelles, 1990 et 1995). Ces outils ont en outre permis d’aborder des questions liées à l’aspectualisation de l’espace (voir l’analyse de Tintin au Tibet, 2002) ou les relations entre les modalités sensibles, en particulier le tactile et le visuel (voir l’étude du logo de la cuisine de Michel Bras, 1995).
Le numéro 19.2 de la revue Estudos Semióticos entend revenir sur le programme initié par le sous-titre de l’ouvrage Petites mythologies de l’œil et de l’esprit et dresser une sorte de bilan provisoire. Comment la postérité de Floch a-t-elle compris cette sémiotique plastique ? Comment a-t-elle été appropriée ? Quel statut la postérité a-t-elle donné à cette “dimension” plastique ? Appliquée à la photographie aussi bien qu’à la peinture, la sémiotique plastique n’a pu être exploitée pour l’étude d’œuvres numériques. Cette application est-elle envisageable et sous quelles conditions ?
Les propositions de Floch, et en particulier la notion centrale de système semi-symbolique, n’ont pas échappé à la critique, celle-ci soulignant le réductionnisme de l’approche binaire. Loin de l’ignorer, le dossier entend interroger cette critique afin de montrer la vitalité des propositions de Floch, de cerner la zone critique où elles perdent leur efficience et celle, au contraire, où elles révèlent toute leur pertinence. Faudrait-il limiter l’application du système semi-symbolique à certains supports d’inscription, à certaines conceptions de la signification ? Que “dit” précisément le semi-symbolisme et quelles sont ses “limites d’applicabilité” ? Pourrait-on circonscrire l’empan de la sémiotique plastique de Floch et, les sémioticiens ayant pu la mettre à l’épreuve de nombreux corpus, repréciser son champ d’application quelque trente-sept années après ?
Sur la base de ces considérations, le numéro 19.2 de la revue recevra des articles d’analyse suivant plusieurs axes de réflexion :
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Développements de la sémiotique plastique à partir de l’œuvre de Jean-Marie Floch : expansions théoriques et méthodologiques, mais aussi examen de sa “zone critique d’application”..
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Retour critique sur les analyses des différents “objets de sens visuels » menées par Floch.
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Les relations entre la sémiotique plastique et la sémiotique de l’espace.
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La relation entre le semi-symbolisme et l’expérience esthétique.
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La culture numérique et ses implications théoriques et analytiques pour l’approche sémiotique.
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Le design des objets.
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Le design, la communication et le marketing.
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L’impact du numérique dans le champ de la publicité et des médias.
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La multimodalité et le syncrétisme des langues.
Renseignements pratiques
Échéancier :
- Soumission des propositions (une page) jusqu’au 31 juillet 2022. Envoyer à : rev.esse@usp.br . Objet : « Dossier Floch 2023 – proposition d’article »
- Confirmation des propositions retenues : le 20 août 2022.
- Remise à la revue des articles dont les propositions auront été retenues : du 1er septembre au 31 décembre 2022. La remise doit se faire sur : https://www.revistas.usp.br/esse/about/submissions
- Publication en ligne prévue : août 2023.
Normes éditoriales :
- Langues de travail : portugais, français, anglais, italien, espagnol.
- L’Abstract doit être composé en anglais + une langue choisie parmi celles acceptées.
- Les articles soumis à la revue doivent compter de 25.000 à 50.000 caractères, espaces compris.
- Prière de vérifier les directives aux auteurs de la revue.
Références :
- FLOCH, Jean-Marie. Petites mythologies de l’œil et de l’esprit. Paris-Amsterdam : Hadès-Benjamins, 1985.
- FLOCH, Jean-Marie. Sémiotique, marketing et communication : sous les signes, les stratégies. Paris : PUF, 1990.
- FLOCH, Jean-Marie. Identités visuelles. Paris : PUF, 1995.
- FLOCH, Jean-Marie. Une lecture de Tintin au Tibet. Paris : PUF, 2002.
Mots-clés
- Mots-clés
- Culture numérique
- Design
- Sémiotique