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Présentation
Le colloque international CMCL “Utopie d’une Culture Mondialisée et réalité des pratiques communicationnelles locales” a pour objectif d’explorer la rencontre entre une offre technologique globalisée, souvent occidentalo-centrée, et les particularités locales d’une diversité de territoires. Pour ce faire, il s’agit de saisir conjointement l’hétérogénéité des usages, des productions et des questions posées. Après une première édition en 2019 qui portait sur l’Afrique Subsaharienne Francophone (https://cmcl19.sciencesconf.org/), l’édition 2022 élargit ses horizons à l’ensemble du continent africain. Ces territoires multiculturels, marqués par des contextes géopolitiques contemporains hétérogènes, posent des questions particulièrement vives, à la fois transversales et propres à chaque contexte, concernant les pratiques médiatiques, les discours qu’elles portent et leurs conditions d’existence publique.
Le concept d’espace public, initialement forgé par Jürgen Habermas dans le cadre de sa réflexion sur les fondements de la construction démocratique « en Allemagne, en France et en Grande Bretagne », a fait l’objet d’intenses débats quant à sa pertinence et à son opérationnalité pour appréhender les réalités des démocraties contemporaines, en particulier en Europe. Il est également mobilisé, mais aussi critiqué, ajusté, discuté, par des travaux qui analysent les transformations politiques à l’œuvre dans d’autres régions du monde, notamment en Afrique.
L’édition 2022 du colloque CMCL propose une contribution à ces débats par la confrontation de phénomènes issus de la mondialisation technologique et culturelle avec la réalité des discours et des pratiques médiatiques locales. Cette démarche repose sur l’idée qu’un dépassement de la dimension normative et de la dimension politique du concept d’espace public est particulièrement féconde pour appréhender les sociétés contemporaines, en Afrique comme ailleurs. Bien que les travaux qui interrogent le recours aux outils numériques soient particulièrement attendus, ceux qui se focalisent sur d’autres supports médiatiques ont toute leur place dans ce colloque.
Les enjeux soulevés par le colloque intéressent en premier lieu la communauté des sciences de l’information et de la communication, mais l’apport de chercheurs venus d’horizons culturels et disciplinaires variés, y compris en dehors des sciences sociales, est attendu pour enrichir les débats. L’objectif de ce colloque est en effet d’appréhender la problématique de l’espace public en Afrique selon des approches disciplinaires complémentaires ouvrant de nouvelles perspectives. Il s’agit d’une part de prolonger les analyses issues de l’anthropologie et de la science politique (Dahou, 2005 ; Banégas, Brisset-Foucault &Cutolo, 2012) par des travaux axés sur les enjeux communicationnels. Il s’agit d’autre part, en retour, d’apporter des éclairages complémentaires qui nourriront l’analyse des mutations des espaces publics européens à la lumière des savoirs issus des recherches en contexte africain.
Axes
Les propositions pourront s’inscrire dans l’un des axes ci-dessous ou porter sur des objets transversaux à plusieurs axes, voire questionner les axes eux-mêmes (leur périmètre, leur formulation…) à partir de préoccupations spécifiques aux territoires concernés. Ces axes sont autant de pistes, de propositions pour inviter les chercheur-es à s’approprier la thématique générale du colloque.
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Citoyenneté, construction des problèmes publics et engagement public
Si les réseaux socio-numériques ont grandement contribué à libérer la parole en permettant d’entendre davantage la voix des anonymes, ils ont aussi consacré une perte d’autorité des gouvernants de nombreux pays africains. Ces derniers éprouvent désormais beaucoup de difficultés à contrôler l’information, chacune de leur décision est scrutée, commentée et évaluée. Cette situation n’est pas sans impact sur le comportement civique des populations. La conscience que celles-ci ont de leurs droits et de leurs devoirs les conduit de plus en plus à se prononcer sur les problèmes publics (quand elles ne les construisent pas elles-mêmes) ou à s’engager dans leur résolution. C’est l’ère des débats publics sur les problèmes sociaux et sociétaux vécus au quotidien, le temps de l’implication du citoyen dans l’amélioration de la vie en communauté. Si ces mutations affectent la plupart des pays du globe, elles sont le plus souvent étudiées en occident et/ou sans tenir compte de la spécificité des contextes locaux.
Dans cet axe sont attendues des propositions qui mettent en évidence les démarches communicationnelles à l’œuvre dans la construction des problèmes publics, ou qui prennent pour objet les discours qui circulent dans ce contexte. Elles peuvent également questionner la manière dont les valeurs socioculturelles africaines se manifestent dans les nouveaux usages communicationnels (Houessou, 2020) comme dans les modalités d’engagement public du citoyen, de collectifs ou de leader d’opinions (Havard, Wilhelm& Malick Diouf, 2020)
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Intervention des ONG, des États étrangers et institutions internationales
Dans quelle mesure les espaces publics africains sont-ils marqués par les interventions d’États et d’institutions internationales ? De nombreuses institutions nationales et internationales interviennent sous différentes formes dans les espaces publics africains : les ONG, des États étrangers ainsi que des institutions internationales. Ces interventions se font soit directement, à travers des politiques publiques dans différents secteurs, à travers les stratégies de soft-power d’États étrangers, soit indirectement, par le truchement de structures paraétatiques publiques ou privées (Audinet et Harding, 2021).
Les modalités comme les conséquences des interventions de ce type d’acteurs étrangers ou internationaux dans de nombreux pays africains méritent d’être davantage étudiées sous l’angle de l’espace public, des processus info-communicationnels dans lesquels ils s’inscrivent ou des discours médiatisés qui les accompagnent. Cela concerne en particulier les discours politiques qui circulent dans des pays africains, mais aussi l’ensemble des discours médiatiques et des productions culturelles, au sens large (actualités, films, musiques, rumeurs…). Dans quelle mesure ces acteurs interviennent-ils dans les productions médiatiques et culturelles diffusées sur le continent ? Quels discours politiques et sociaux sont confrontés à / alimentés par ce type d’organismes ? Comment contribuent-ils à la structuration ou aux transformations des « systèmes » (Frère, 2020) médiatiques africains ?
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Discours critiques, déconstructionistes, postcolonialistes, panafricanistes
En Afrique, comme ailleurs, les outils numériques interrogent les médias traditionnels et leur rôle dans l’ancrage démocratique, l’éducation citoyenne, la promotion de bonne gouvernance et les idéologies politiques. Ils ouvrent les portes de l’espace public entendu comme cadre de participation au débat politique d’expression, de confrontation et de formation des opinions (Paquot, 2015 ; Lits, 2016).
De nombreux acteurs tirent parti des possibilités offertes par les outils numériques pour développer dans l’espace public des contre-discours (Auboussier, 2015) sur une multiplicité de sujets polémiques (coopération militaire, accords monétaire, non-respect des règles démocratiques…) et s’offrent ainsi des espaces discursifs leur permettant de déconstruire des opinions, de dénoncer le néo-colonialisme ou de promouvoir le panafricanisme. Il serait intéressant d’interroger les formes contemporaines de ces discours, la manière dont ils se développent à travers les dispositifs médiatiques contemporains et dans tous les espaces discursifs où prennent corps l’opposition à l’ordre établi et la réfutation des discours dominants.
Dans ce contexte, cet axe s’intéresse plus particulièrement aux espaces et aux organisations de la prise de parole intellectuelle et politique : universités, mais aussi mouvements intellectuels, séminaires, groupes de travail, structurations de collectifs, etc. Les outils numériques sont autant de facilitateurs pour l’organisation de ces espaces d’échange (par exemple grâce à la visioconférence ou à des espaces de discussion en direct type Twitter spaces), ainsi que pour la diffusion et la valorisation des discours qui en sont issus (par exemple grâce à la transmission live ou la rediffusion sur des plateformes vidéo). Ces discours ne se développent toutefois pas seulement sur les médias en ligne, mais aussi lors de conférences et autres rassemblement politiques et militants, portés par des associations ou des partis politiques, parfois aussi dans certains médias traditionnels.
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Industries culturelles, créatives et médiatiques, pratiques d’information et pratiques culturelles
Selon d’ Almeida (2006), les marchés culturels africains sont, en général, dominés par les produits des pays gros fournisseurs de biens culturels. Toutefois, depuis deux décennies, le numérique a contribué à dynamiser, renforcer, entre autres, la production cinématographique dans les pays africains. De manière générale, la numérisation dans le secteur du cinéma a engendré des apports multiformes dans différentes branches de cette filière (Dakouré, 2021). Par ailleurs, depuis quelques années, des acteurs internationaux ont investi le terrain de la diffusion de films africains en ligne (notamment Netflix) et des plateformes se sont spécifiquement créées sur ce segment en Afrique (par ex. IrokoTV).
Si Hollywood et quelques grands pays européens sont ceux qui diffusent le plus de contenus culturels télévisés ou cinématographiques, cela n’implique pourtant pas une homogénéisation culturelle (Mattelart, 2009). Ainsi, en analysant les consommations de télénovelas au Sénégal, Jean-François Werner (2012) fait cas de filtrage et de braconnage dans la consommation de ces contenus sud- américains. De plus, il existe de très nombreuses pratiques culturelles qui hybrident l’environnement culturel local et les productions globalisées, avec une portée sociale ou politique significative (Ahouandjinou, Badou et Zounon, 2020).
Dans cet axe, sont attendus des travaux qui s’intéressent aux enjeux de production, de diffusion ou consultation de biens culturels et médiatiques. L’objectif consiste à comprendre les formes d’appropriation, de détournement, de métissage et de réinvestissement de ces dispositifs et de leurs contenus, aussi bien par leurs producteurs que par les usagers : sous quelles formes se maintiennent ou se promeuvent les cultures locales et/ou traditionnelles ? Comment sont-elles prises dans des pratiques, des processus et des imaginaires globalisés (Aterianus-Owanga, Milliot etNoûs, 2020) ? Ces interrogations concernent diverses formes de contenus culturels : musique, films, informations de grands médias, entre autres. Les stratégies mises en place par des producteurs étrangers pour adapter leurs contenus à des publics africains sont aussi attendues.
Cet axe entend surtout interroger ces thématiques sous l’angle de l’articulation entre sphère privée et sphère publique. Par exemple, les pratiques de consommations de contenus culturels et médiatiques dans la sphère privée donnent parfois lieu à des débats de société dans la sphère publique quand une partie de l’opinion publique s’indigne, par exemple par rapport à ce qui est diffusé sur une chaine de télévision (Laacher & Terzi, 2020). Cette perspective repose sur l’idée qu’un croisement entre les enjeux socio-économiques des industries culturelles, l’analyse des pratiques culturelles et médiatiques et l’étude de la publicisation de débats culturels ou sociétaux peut être particulièrement féconde
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Enjeux épistémologiques
Depuis plusieurs décennies, des chercheur-es remettent en cause la façon dont le concept d’espace public, issu de la théorie habermassienne, a été utilisé pour étudier les processus politiques et communicationnels dans différents pays africains ou, plus généralement, en dehors de l’Europe de l’Ouest où il a été forgé. La dimension normative de ce concept, issu de la démarche “socio-historique » menée par Habermas dans son étude de l’organisation politique de trois territoires européens au XVIIIème siècle, pose particulièrement question et invite certains à en critiquer la pertinence (Ballarini, 2012).
Face à ce constat, une série de travaux suggèrent non pas un abandon de ce concept, mais une utilisation différente. Ainsi, “l’analyse des pratiques de discussion et de sociabilité dans des contextes extra-européens permet de mettre en évidence et d’analyser la genèse de conceptions propres (mais non isolées), multiples, fluides et controversées de l’« espace public », entendu comme un idéal émique de discussion et d’expression (éventuellement critique) sur les affaires de la cité” (Banégas, Brisset-Foucault & Cutolo, 2012). Une piste consiste à accorder davantage d’importance aux “cultures populaires” (Willems, 2012) dans les travaux sur l’espace public en Afrique. Une autre piste, complémentaire, consiste à amender ou enrichir le concept d’espace public à partir de l’observation des processus politiques et médiatiques en ligne à l’œuvre dans différents pays africains (Dakouré et Gadras, 2020). Dans tous les cas, il s’agit de mobiliser ce concept dans une acception élargie, tout en se soumettant à la plus grande vigilance épistémologique et méthodologique. C’est à cette condition qu’il peut (re)devenir heuristique.
Dans cette perspective, cet axe vise à proposer de nouvelles façons d’appréhender le concept d’espace public, ancrées dans les réalités politiques et culturelles des territoires africains étudiés. Il vise également à évaluer dans quelle mesure ce nouveau regard sur l’espace public, issu de territoires africains, est susceptible de nourrir l’analyse des formes contemporaines des espaces publics européens. Plus généralement, les propositions de cet axe pourront porter sur les conditions sous lesquelles concepts et théories peuvent “voyager” (Saïd, 1983).
Calendrier prévisionnel et dépôt des propositions
- Dépôt des propositions sous la forme d’un résumé de 5 000 signes (espaces compris, hors bibliographie) avant le 19 juin, sur le site de la conférence : https://cmcl2022.sciencesconf.org/submission/submit (création d’un compte obligatoire).
- Avis du comité scientifique et réponse aux auteur-es : à partir du 1er juillet 2022.
- Colloque : du 28 novembre au 1er décembre 2022, à Lyon (France).
Bibliographie
- Ahouandjinou Géraud, Badou Agnès, et Zounon Ornheilia (2020) « Le discours transgressif dans la musique urbaine en Afrique de l’Ouest », Communication & langages, vol. 205, no. 3, 2020, pp. 77-93.
- Aterianus-Owanga Alice, Virginie Milliot, Camille Noûs (2020). « Hip-hop monde(s) : approche anthropologique », ethnographiques.org n° 40
- Auboussier Julien (2015). « Discours et contre-discours dans l’espace public. Présentation », Semen, 39. Audinet Maxime & Harding, Benjamin (2021). « En Centrafrique, la Russie externalise son influence médiatique », La Revue des Médias, INA, Octobre 2021.
- Ballarini Loïc (2012). « “Espace public” et recherche critique : pourquoi se méfier d’un concept passe- partout ? », in Kane Oumar et George Éric (dir)., « Où [en] est la critique en communication ? », Actes du colloque international Où en est la critique en communication ?, Montréal, Gricis, 2012.
- Banégas Richard, Brisset-Foucault Florence et Cutolo Armando (2012), « Espaces publics de la parole et pratiques de la citoyenneté en Afrique », Politique africaine n° 127, 2012, p. 5‐20.
- D’Almeida Francisco Ayi (2006) «L’enjeu de l’intégration régionale pour les industries culturelles africaine » Africultures, 4, n° 69, 149-151
- Dahou Tarik (2005). « L’espace public face aux apories des études africaines ». Cahiers d’études africaines, 45(178), 327-349.
- Dakouré Evariste (2021) « Incidences de l’usage du numérique sur le fonctionnement de la filière cinématographique burkinabè », Revue française des sciences de l’information et de la communication, 21.
- Dakouré Évariste et Gadras Simon (2020). Le concept d’espace public à l’épreuve de ses actualisations encontexte de mobilisations politiques numériques en Afrique subsaharienne francophone. Communication & langages, 205, 129-146.
- Forest Claude (2011), « L’industrie du cinéma en Afrique. Introduction thématique ». De Boeck Supérieur, Afrique contemporaine, 2, n° 238, pp. 59 à 73
- Frère Marie-Soleil (2020). Journalismes d’Afrique. Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur.
- Havard Jean-François, Wilhelm Carsten, Malick Diouf François (2020) « Un imam « connecté » au Sénégal. Auto-entrepreneuriat religieux et stratégie « agendatique » », Communication & langages, 3, n°205, p. 35-55.
- Houessou Dorgelès (2020). « La mémoire, l’imaginaire et la manipulation en discours : autour de quelques mythes clés de la nation ivoirienne en débat sur les réseaux sociaux », Communication & langages, 2020/3 n° 205, p. 95-112.Kiyindou, Alain. 2013. « De la diversité à la fracture créative : une autre approche de la fracture numérique ». Revue française des sciences de l’information et de la communication, no 2 (janvier).
- Lits Marc (2016). « Espace public et opinion : de la presse écrite à Internet ». Dans : Jean-François Dortier éd., La Communication. Des relations interpersonnelles aux réseaux sociaux (pp. 239-247). Auxerre : Éditions Sciences Humaines.
- Mattelart Tristan. (2009) « Enjeux intellectuels de la diversité́ culturelle. Eléments de déconstruction théorique ». Culture prospective, 2009/2, n° 2, p. 1-8.
- Paquot Thierry. L’espace public. La Découverte, 2015
- Said, Edward W. (1983). The World, the Text, and the Critic, Cambridge, Harvard University Press.
- Terzi Cédric et Laacher Smaïn (2020), Persepolis ou la guerre des libertés. Sacrés, sacrilèges et démocraties en Tunisie, Genève, Labor et Fides, Enquêtes, 320 p.
- Werner, Jean-François. (2012). Télévision et changement social en Afrique de l’Ouest postcoloniale : étude de cas : la réception des telenovelas au Sénégal. Anthropologie et Sociétés, 36(1-2), 95–113.
- Willems, W. (2012). « Interrogating Public Sphere and Popular Culture as Theoretical Concepts on Their Value in African Studies ». Africa Development, vol. 37, no 1, p. 11-26.
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