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Event place INHA, salle Vasari, 2, rue Vivienne , Paris 75002
Argumentaire
Relativement connu et établi dans le champ de l’histoire de l’art, de l’histoire de la musique et de l’histoire de la littérature — ce qui ne veut pas dire que sa définition y soit simple, unitaire et fixée — le Nocturne demeure néanmoins largement impensé dans les autres domaines, en particulier du côté des arts visuels modernes ou contemporains. De prime abord, la définition même de ce « concept », dans son acception la plus générale, est très variable et pose d’emblée nombre de questions et de difficultés, ne serait-ce que celles de son statut : le Nocturne désigne-t-il une « atmosphère » ou une « tonalité émotionnelle » (comme la Stimmung) ? Constitue-t-il un « genre » (avec ses cadres et ses codes) ? Relève-t-il d’une « forme » ou d’un « style » ? Est-ce un « dispositif » lié à des conditions matérielles de fonctionnement (des techniques) ? Est-ce une sorte de « catégorie esthétique » dépassant les spécificités des différents arts ou médiums ? La complexité et la diversité des problèmes mérite attention, et ce colloque se propose de faire travailler la catégorie dans des champs où elle n’a eu jusqu’ici que peu de reconnaissance. Au-delà du nécessaire retour aux origines du Nocturne (littérature, musique, peinture), et parce que la « vie des formes » est faite de déplacements et de métamorphoses, ce colloque a surtout pour enjeu d’en explorer les « réinventions » modernes en photographie, au cinéma et en vidéo. Pluridisciplinaire, son ambition est aussi bien de comprendre de quelle(s) façon(s) des représentations filmiques, vidéographiques ou photographiques réitèrent et prolongent cette longue tradition historique, que de saisir les subversions et autres remaniements contemporains du Nocturne.
En littérature, le nocturne est simplement une atmosphère prisée des écrivains romantiques (Novalis, Victor Hugo, Edgar Allan Poe seraient parmi les premiers à avoir revalorisé les ténèbres) ; en philosophie, associé à la nuit et à la voûte étoilée, il est le paradigme du sublime selon Kant, tandis que pour Burke rien n’égale « la force d’une judicieuse obscurité. » Cependant le nocturne (ordinaire) n’est pas (tout à fait) ce Nocturne auquel l’histoire de l’art a pu donner une existence propre.
En musique, le Nocturne constitue peu ou prou une forme dotée de traits spécifiques : mouvement lent, expression pathétique, ornements mélodiques, partie centrale accélérée, etc. Les célèbres 21 Nocturnes de Chopin en sont le plus fameux point d’orgue (romantique). Même si cette forme existait déjà dans la musique classique, en particulier dans la musique de chambre des XVIIe et XVIIIe siècles, elle a surtout pris son ampleur plus tard, au début du XXe siècle (Liszt Czerny, Borodine, Scriabine, Rachmaninov, Debussy, Fauré, Poulenc, et jusqu’à Satie et Bartok) qui a fixé sa forme moderne — son caractère introspectif, notamment.
En peinture, le Nocturne ressortit davantage au style et/ou au thème, qui réfère toujours à des « scènes de nuit » travaillées par des effets de lumière et de couleurs. Le songe de Constantin (c.1455), sous une belle nuit bleue de Piero della Francesca, est considéré comme le premier tableau nocturne. Les nuits (et les fonds) de Caravage sont d’un noir intense quand, à la même époque, Adam Elsheimer peint L’offense à Xeres dans des tons de mauve. Au temps du romantisme, l’atmosphère nocturne des tableaux de Caspar David Friedrich s’en remet au bleu. D’autres nuits s’ensuivent : celles, colorées, de Van Gogh (Nuit étoilée) ou celles, plus proches, de Hopper, peuplées de noctambules. C’est la tradition anglo-américaine qui imposera spécifiquement le terme « nocturne », avec James Whistler (et ses toiles inspirées de Chopin : Nocturne en bleu et argent), puis Frédéric Remington et Winslow Homer.
Pour ce qui concerne la photographie ou le cinéma, le « nocturne » reste pour l’essentiel à concevoir et à élaborer. Il existe à peine — dans la rubrique des « effets » (spéciaux, comme la « nuit américaine ») ou dans le lexique de l’éclairage (« extérieur nuit »). C’est un simple état d’apparence (producteur d’ethos) réduit au rang d’une poïétique, d’une technique, d’un art du faire, qui n’a pas accédé au statut de forme, a fortiori de catégorie esthétique.
Pourtant, le cinéma exploite la puissance plastique et chromatique du nocturne depuis ses débuts. Au tournant des années 1910, le cinéma muet codifiait par la couleur ajoutée au noir et blanc, l’articulation entre les scènes de jour et les scènes nocturnes, souvent teintées de bleu ou de mauve. Bien des fictions auront, par la suite, prolongé l’expérimentation sur les couleurs de la nuit – nuits bleues et glaçantes de Stanley Kubrick et John Alcott, nuits noires et profondes de David Lynch et Peter Deming, sans oublier les nuits américaines (bleues, grises et rouges) ostensiblement artificielles de Coppola. Porteur d’autres enjeux éthiques, le cinéma documentaire n’est pas en reste — voir les nocturnes aux couleurs criardes et délavées, pénétrées des témoignages insoutenables des gangsters indonésiens dans The act of killing (2012) de Joshua Oppenheimer, par exemple. Mais le travail sur les « couleurs de la nuit », aussi poussé soit-il, répond-il toujours des enjeux du Nocturne?
Côté photographie, les vues nocturnes ont pu relever d’exploits techniques, à l’instar des autochromes de Léon Gimpel au milieu des années 1920, antérieurs aux héliogravures de Brassaï. Aux photographies issues de promenades de nuit — cibachromes aux couleurs étranges de Daniel Boudinet, villes désertes se déclinant du gris au noir profond de Gilbert Fastenaekens, répondent les mises en scène hypnotiques et surtout ultra-élaborées de Gregory Crewdson. À l’ombre des fictions (filmiques ou photographiques), la liste des vidéastes érigeant la nuit en milieu privilégié pour le film, jusqu’à faire de l’obscurité la condition d’une perception singulière, est proprement immense : on pense aussitôt à Bill Viola, à Cyprien Gaillard, à Mark Lewis, et bien d’autres, dont les œuvres attestent que le Nocturne adresse une question fondamentale à l’art des images (tous médiums confondus).
Quel est alors le statut ontologique de ce Nocturne ? Est-il utilisé par les artistes comme un éclairage, un décor, un motif ou comme un dispositif conçu pour favoriser l’émergence d’une atmosphère singulière ? Quels effets produit-il sur le spectateur ? Pourrait-il s’inscrire pleinement dans le champ en photographie, au cinéma et en vidéo ? Il s’agira, en fin de compte, de construire cette question.
Si les tonalités et les couleurs constituent un axe privilégié, permettant d’embrasser un corpus constitué de séquences de films (documentaires inclus) aussi bien que de vidéo ou de photographies, la question chromatique ne constitue pas le seul axe de recherche possible.
On pourra notamment interroger :
- Les relations entre nuit et nocturne (étymologie, philosophie, littérature, psychanalyse) ;
- La dialectique des vraies et fausses nuits : nocturne de jour (nuit américaine) et nocturne de nuit ;
- L’héritage, les prolongements, détournements, subversions du Nocturne musical ou pictural au sein de représentations contemporaines ;
- Les processus de création des photographes, réalisateurs ou artistes dans leurs scènes nocturnes, la nature des supports, les techniques premières et les mutations technologiques, les trucages et les effets spéciaux, l’artificialité du moment nocturne ;
- La vision nocturne, l’impact sur les seuils de visibilité, les aspects spatiaux-temporels, l’événement nocturne ;
- L’altérité, l’artificialité, la mélancolie et autres enjeux des moments nocturnes en photographie, cinéma, vidéo.
- La perception nocturne « inédite » des œuvres (par ex. le rôle des « salles obscures » comme environnement de regard, ou la représentation des visites de nuit des musées dans de nombreuses scènes de films).
Modalités de contribution
Les propositions d’une longueur de 2000 signes maximum, accompagnées d’une courte bio-bibliographie, sont à envoyer à l’adresse colloquenocturne@gmail.com avant le 31 mars 2021. Les interventions seront d’une durée de 30 minutes.
Comité d’organisation
- Judith Langendorff (Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 – LIRA)
- Barbara Le Maître (Université Paris Nanterre – HAR)
- Macha Ovtchinnikova (Université Paris I Panthéon-Sorbonne et Université de Picardie Jules Verne – CRAE)
- Philippe Dubois (Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 – LIRA).
Comité scientifique
- Françoise Parfait (Université Paris I Panthéon-Sorbonne – ACTE)
- Rémi Labrusse (Université Paris Nanterre – HAR)
- Michel Poivert (Université Paris I Panthéon-Sorbonne-HiCSA)
- Antonio Somaini (Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 – LIRA).