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Event place UCO-Bretagne Sud, Vannes 56, France
Souvent emblématiques d’un territoire pour la population locale et premiers lieux visités par les touristes, les monuments agissent comme des marqueurs identitaires et mémoriels d’un territoire invitant les individus à leur contact à un culte de valeurs (Riegl, 1984 [1903]). Parmi celles-ci, la valeur d’ancienneté relève de notre capacité à nous émouvoir face aux marques du temps qui passe sur les pierres des monuments. Ancrés dans une histoire longue, investis aujourd’hui par des projets culturels et scientifiques, exploités parfois pour leurs capacités d’attraction et d’accueil à des fins d’activités diverses, les édifices patrimoniaux demeurent des espaces autres (Foucault, (2009 [1966]) qui questionnent leur environnement extérieur, leur territoire et notre rapport au monde.
Les monuments sont ainsi l’objet de mises en scène (Flon, 2012 ; Gellereau, 2005) diverses et nombreuses pour les valoriser auprès des publics : dispositifs d’aide à la visite, spectacle vivant, reconstitutions historiques, médiation numérique, vidéo mapping (projection sur les façades en été ou pendant les fêtes), événementiel, expositions temporaires, scénographies immersives (Ballarini et Delestage, 2023), etc. Ces mises en scène cherchent à provoquer des émotions, des expériences, sans toujours éviter une forme de spectacularisation du patrimoine.
Néanmoins, si les mises en scène s’appuient sur des dispositifs de médiation culturelle, une fonction qui s’est imposée dans les années 1980 (Davallon, 1999 ; Jacobi, 2012) elles doivent dialoguer avec les logiques de conservation, de protection et de valorisation de ces lieux patrimonialisés (Davallon, 2006).
En voulant faire vivre le monument, les acteurs du patrimoine cherchent à rendre visible, audible ce qui n’est plus et à prolonger l’histoire de ces lieux. Certaines de ces mises en scène s’inscrivent ainsi en continuité avec l’univers historique et thématique des sites en question, d’autres procèdent du contrepoint, de la rupture voire du parasitage. Dans tous les cas, ces médiations affectent la perception du monument et actualisent son identité culturelle et sociale. Dès lors, comment ces mises en scènes fonctionnent- elles ? En quoi font-elles vivre les lieux de patrimoine ? Quelles modalités sont utilisées pour cela ? Comment viennent-elles questionner les espaces imbriqués ? Comment affectent-elles et pourraient-elles affecter la perception que les publics peuvent avoir des monuments ? Dans une visée scientifique et socio-professionnelle, ce colloque vise à comprendre comment se redéfinissent les rapports entre les lieux patrimoniaux et leurs publics, les logiques sociales et politiques de la culture à l’œuvre dans la médiation du monument en tant que patrimoine bâti.
Nous souhaitons ainsi interroger ce qui fait vivre les monuments de patrimoine dans/à travers leurs mises en scène, leurs espaces qu’ils soient intérieurs/extérieurs mais aussi symboliques et imaginaires ; et enfin, leurs publics au travers de leurs appropriations, représentations, usages et pratiques du monument ou lieu de patrimoine. Cette rencontre sera l’occasion de renouveler et prolonger ces questionnements sous différents axes qui ne se veulent pas exhaustifs mais qui constituent des pistes de réflexions :
Axe 1 : Mises en scène
De quoi sont faites les mises en scène du monument ? Cet axe proposera des analyses des mises en scène considérées comme des dispositifs sémiotiques portant en eux des dimensions techniques (audiovisuelles, numériques, plastiques), langagières (mise en circulation de savoirs) et symboliques (création de valeurs) (Jeanneret, 2005). Il pourra s’agir plus précisément d’une analyse de la mise en récit à l’œuvre dans ces mises en scène du monument mêlant trame historique et fictionnelle. Comment les savoirs historiques sont-ils mobilisés, sélectionnés dans ces mises en scène, quelles en sont les sources ? Quel rapport à l’objet patrimoine proposent- elles ?
Certaines études de cas pourront questionner plus particulièrement l’apport du numérique dans les mises en scène du patrimoine (Deramond, Fraysse et de Bideran, 2022) et l’évaluation des approches immersives, participatives ou expérientielles des dispositifs numériques de médiations et de leurs impacts (Gentes et Jutant, 2012). Il pourra également s’agir de relever les injonctions d’innovation qui sont faites aux institutions patrimoniales et leurs conséquences (Appiotti et Sandri, 2020).
Enfin, les propositions pourront se situer du côté de la conception de ces mises en scène : quels acteurs les prennent en charge ? Quelles collaborations sont à l’œuvre entre les différents acteurs qu’ils appartiennent au domaine du numérique, du patrimoine (historiens et conservateurs), de la culture, du tourisme ou encore avec des métiers d’art (scénographes, designers, etc.) ?
Axe 2 : Espaces
Les monuments et les sites patrimoniaux constituent des espaces singuliers et complexes avec une forte charge symbolique comblant notre besoin de secrets (Bachelard, 2010 [1957]). La plupart du temps, ils ont une histoire et un statut distincts, abritant par exemple, tantôt un musée d’histoire, tantôt un centre des écritures du spectacle, un centre d’art contemporain ou encore un lieu de représentation. Traces physiques d’une époque révolue, pour la plupart d’entre eux leur valeur d’usage a changé (Riegl, op.cit.). Pour les historiens, l’objet de patrimoine, particulièrement lorsqu’il est monument, s’inscrit dans une histoire longue et dans une histoire qui est aussi celle de son territoire (urbain ou rural, industriel ou agricole, touristique ou non) articulé à des mémoires locales (Nora, 1997).
Nous souhaitons comprendre ici comment les mises en scène du monument questionnent la notion d’espace articulé au monument. Comment cohabitent les espaces superposés du monument : géo-historique, socio- culturel, touristique, bâti, imaginaire ? Quelles peuvent être les dimensions spatiales du monument convoquées par les mises en scènes : contexte du bâti, architecture, lien avec le paysage environnant et/ou les jardins (en eux-mêmes mise en scène du patrimoine naturel), relations entre l’intérieur et l’extérieur, place des dispositifs dans le monument et relation à l’espace proposée par les dispositifs ? Plus largement, quels sont les moments qui font débat sur ces espaces patrimoniaux (actualisation du patrimoine par l’architecture moderne [Georgescu-Paquin, 2014], mobilisations, rejet etc.) ? Comment le monument, porteur d’une histoire, peut-il être investi et/ou contesté ?
Axe 3 : Publics
Enfin, les mises en scène configurent les appropriations des publics et leur réception du patrimoine. En effet, les publics des monuments indistinctement qualifiés de « visiteurs » sont en réalité très variés : locaux, touristes et/ou étrangers. Si l’on imagine facilement que ces publics partagent tous un vouloir artistique moderne reconnaissant volontiers à l’ancienneté une beauté supérieure à la nouveauté (Riegl, op.cit.), les études de réception démontrent une diversité d’appropriations, de pratiques et même d’usages de certains dispositifs de médiation. Les locaux, « sujets historiques concernés par leur héritage » (Amirou, 2000), ne vont ainsi pas percevoir le lieu et ses mises en scène de la même manière que ceux venant de l’extérieur posant ainsi des questions cruciales de patrimonialisation et d’espaces. Les mises en scène du patrimoine activeraient une « mémoire de la connivence » dans laquelle le récit de l’histoire est construit par l’imagination des publics (Chappé, 2010). Quelles sont les expériences vécues des publics (réussies et/ou ratées) (Vergopoulos, Jutant, à paraître) ? Quels braconnages, évitements et/ou ajustements opèrent-ils au contact de ces mises en scènes ? Comment les publics participent-ils à la patrimonialisation du monument à partir de celles-ci ? Quelles représentations créent-ils et transmettent-ils à l’issue de ces expériences ?
Ce colloque s’inscrit dans le projet de recherche Dispositifs Expériences en Culture et Patrimoine (DEXCUPAT) réunissant une équipe pluridisciplinaire qui questionne les médiations et les dispositifs et les expériences de publics dans des institutions culturelles et patrimoniales.
Il se déroulera à l’Université Catholique de l’Ouest (Vannes) les 13 et 14 juin 2024 en présentiel.
Modalités d’envoi
Les propositions pourront appartenir à l’une des disciplines suivantes : histoire/histoire de l’art, sciences de l’information et de la communication, sociologie, informatique, art/design, géographie (non exhaustif, les apports d’autres disciplines seront acceptés pour évaluation en fonction de leur adéquation avec les questions abordées). Les communications s’inscrivant dans une perspective internationale sont les bienvenues.
- Les propositions de communication sont attendues pour le 29 janvier 2024.
- Le document devra comporter : nom/prénom, adresse mail, statut, appartenances institutionnelles de l’auteur, cinq lignes de biographie, le titre et les mots clés.
- La proposition de communication n’excédera pas 2000 signes et devra présenter le cadre disciplinaire et théorique et s’appuyer sur des résultats liés à une étude de terrain et quelques éléments de bibliographie indicative.
- Les retours d’évaluation seront envoyés au plus tard le 11 mars 2024 avec, le cas échéant, des propositions de collaboration à discuter.
L’approche pluridisciplinaire étant recherchée, en fonction des interventions retenues, des numéros thématiques de revues sont prévus.
- Les propositions sont à envoyer à l’adresse : fairevivrelemonument@uco.fr
- Frais d’inscription :
- 60€ chercheurs(ses) / 30€ doctorants(es). Ces frais comprennent l’accès à toutes les sessions du colloque, aux pauses et déjeuners.
Comité d’organisation :
- Manuelle Aquilina (MCF Histoire, UCO-BS)
- Caroline Creton (MCF SIC, UCO Nantes)
- Julie Pasquer-Jeanne (MCF SIC, UCO-BS)
- Olivier Hû (MCF Informatique, Université d’Angers)
Comité scientifique :
- Sébastien Appiotti (MCF SIC, CELSA – Sorbonne Université) Mickaël Augeron (MCF Histoire, La Rochelle Université) Cristina Badulescu (MCF SIC, Université de Poitiers)
- Marie Ballarini (MCF SIC, Université Paris Dauphine)
- Laurent Bourdeau (PU Géographie, Université Laval, Québec) Gaëlle Crenn, (MCF SIC, Université de Lorraine)
- Jean Davallon (Professeur émérite SIC, Avignon Université) Philippe Duhamel (PU Géographie, Université d’Angers) Diane Dufort (MCF SIC, UCO Nantes)
- Jessica De Bideran (MCF SIC, Université Bordeaux Montaigne) Patrick Fraysse (PU SIC, Université Toulouse III)
- Viviana Gobbato (Docteure en muséologie associée au Cerlis – Université de Paris/Université Sorbonne Nouvelle)
- Camille Jutant (MCF SIC, Université Lyon II)
- Patrick Kernevez (MCF Histoire, Université Bretagne Occidentale) Jean-René Ladurée (MCF Histoire, UCO Laval)
- Nicolas Navarro (MCF SIC, Université de Liège, Belgique) Nicolas Meynen (MCF Histoire de l’art, Université Toulouse II)
- Benoist Pierre (PU Histoire, Université Tours, membre junior de l’Institut Universitaire de France, CNRS)
- Thomas Renard (MCF Histoire de l’art, Nantes Université) Lise Renaud (MCF SIC, Avignon Université)
- Johan Vincent (MCF Histoire, Université d’Angers)
Bibliographie
Appiotti Sébastien, Sandri Éva (2020), « ”Innovez ! Participez !” Interroger la relation entre musée et numérique au travers des injonctions adressées aux professionnels », in Musées et mondes numériques, Culture et Musées n°35, pp.25-48
Amirou Rachid (2000), Imaginaire du tourisme culturel, Paris, Presses universitaires de France.
Ballarini, Marie et Delestage Charles-Alexandre (à paraître), « Dissonance des objectifs dans la chaîne de production des œuvres patrimoniales en réalité virtuelle : trouver le compromis entre transmission des savoirs et expériences émotionnelles », Réseaux.
Bachelard Gaston (2010 [1957]), La poétique de l’espace, PUF, Quadrige Grands textes, Paris.
Chappé François (2010), Histoire, mémoire, patrimoine – Du discours idéologique à l’éthique humaniste, PUR, coll. Arts et Sociétés.
Davallon Jean, (2006), Le don du patrimoine. Une approche communicationnelle de la patrimonialisation, Éditions Lavoisier, Paris.
Davallon Jean (1999), L’exposition à l’œuvre, Stratégies de communication et médiation symbolique, Éditions L’Harmattan communication, Paris.
Deramond Julie ; Fraysse Patrick ; de Bideran Jessica (2022), Scénographies numériques du patrimoine : Expérimentations, recherches et médiations, Avignon : Éditions Universitaires d’Avignon (collection « En-Jeux »), Avignon. Flon Émilie (2012), Les mises en scène du patrimoine, savoir, fiction et médiation, Éditions Hermès-Lavoisier, Paris.
Foucault Michel (2009 [1966]), Les Hétérotopies – Le Corps Utopique, Éditions Lignes, Paris.
Gentes Annie, Jutant Camille, (2012), « Nouveaux médias au musée : le visiteur équipé », Culture & Musées, 2012, no 19, p. 67-91.
Gellereau Michèle (2005), Les mises en scène de la visite guidée. Communication et Médiation, Éditions L’Harmattan, Paris.
Georgescu Paquin Alexandra (2014), Actualiser le patrimoine par l’architecture contemporaine Collection « Nouveaux Patrimoines » Presses de l’Université du Québec, 282 p.
Jacobi Daniel (2012), « Les équipements patrimoniaux sensibles entre mémoire de témoins et objets de collectionneurs » TEMUSE 14-45. Valoriser la mémoire des témoins et des collectionneurs d’objets des deux Guerres mondiales. Médiation, communication et interprétation muséales en Nord-Pas de Calais et Flandre occidentale, France.
Jeanneret Yves (2005), « Dispositif » in : La « société de l’information » : glossaire critique. Commission française pour l’Unesco, La Documentation française, 164 p., Paris.
Nora Pierre (dir.) (1997), « Entre mémoire et histoire. La problématique des lieux », Les lieux de mémoire, tome 1 : La République, Gallimard, coll.« Quarto », p 23-43, Paris.
Riegl Aloïs, (1984 [1903]), Le culte moderne des monuments. Son essence et sa genèse [Traduit de l’allemand par Daniel Wieczorek, Éditions Du Seuil, Espacements, Paris.
Vergopoulos Hécate, Jutant Camille (dir.) (à paraître), Le ratage : quand l’expérience culturelle est contrariée, Culture et musées n°44.