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Event place Université Laval, Québec,
À l’heure où les gouvernements accélèrent leur virage numérique et où une pandémie force de surcroît la reconfiguration de nos écosystèmes de travail et de services, ce colloque invite à se centrer sur les récentes avancées de la rédactologie quant aux échanges entre l’État et les citoyens. Que signifie clarifier et simplifier à l’ère du numérique ? La question, encore trop souvent abordée sous l’angle du déterminisme technologique dans les administrations publiques (Boudreau, 2017), concerne ici l’expertise langagière, et plus particulièrement l’acte de communication, dans ses dimensions à la fois relationnelle et informationnelle. Elle met en jeu les cinq axes propres aux études rédactologiques que sont le rédacteur, l’acte de rédaction, le document écrit, l’acte de lecture et le lecteur (Beaudet et Clerc, 2008).
Argumentaire
Depuis que les différentes administrations publiques se sont engagées, il y a maintenant plus de 20 ans, à simplifier leurs communications écrites destinées aux citoyens (Fioritto, 2013; Vecchiato, 2019), le contexte communicationnel a subi de profondes transformations en raison, notamment, de la prépondérance du numérique dans la prestation de services aux citoyens.
La « fracture numérique » a maintes fois été relevée depuis pour évoquer les inégalités économiques et sociales liées non seulement à l’accès aux équipements mais également à leur utilisation. Ainsi, une frange de la population se trouve de plus en plus marginalisée, les écueils de la littératie numérique s’ajoutant à ceux, déjà connus, de la littératie traditionnelle. Voilà pourquoi l’UNESCO définit aujourd’hui la littératie comme la capacité de trouver, comprendre, interpréter, créer et communiquer de l’information « dans un monde de plus en plus numérique, fondé sur des textes, riche en informations et en rapide évolution » (UNESCO, 2020).
L’accessibilité à l’information est devenue une obligation légale vis-à-vis de tous les citoyens, quelle que soit leur condition. Au Québec, la Loi sur l’administration publique adoptée en 2000 oblige les ministères et organismes à simplifier le plus possible les services offerts à la population et à publier une « déclaration de services » dans laquelle ils s’engagent à communiquer clairement avec les citoyens. En France, la loi du 11 février 2005 pour « l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » pose le principe de l’accès à tout pour tous. La méthode « facile à lire et à comprendre – FALC » a été élaborée dans le cadre du projet européen Pathways pour rendre l’information accessible pour les personnes déficientes intellectuelles et ainsi leur permettre de vivre pleinement leur citoyenneté.
À l’heure où les gouvernements accélèrent leur virage numérique et où une pandémie force de surcroît la reconfiguration de nos écosystèmes de travail et de services, ce colloque invite à se centrer sur les récentes avancées de la rédactologie quant aux échanges entre l’État et les citoyens. Que signifie clarifier et simplifier à l’ère du numérique ? La question, encore trop souvent abordée sous l’angle du déterminisme technologique dans les administrations publiques (Boudreau, 2017), concerne ici l’expertise langagière, et plus particulièrement l’acte de communication, dans ses dimensions à la fois relationnelle et informationnelle. Elle met en jeu les cinq axes propres aux études rédactologiques que sont le rédacteur, l’acte de rédaction, le document écrit, l’acte de lecture et le lecteur (Beaudet et Clerc, 2008).
Rédiger dans un contexte numérique implique d’abord une prise en compte élargie des compétences du destinataire. Tandis que les gouvernements visent l’approche « digital first » et privilégient la diffusion de contenus écrits sur leurs plateformes (ONU, 2020), les frontières se brouillent entre la littératie traditionnelle et les compétences en environnement numérique (Van Deursen et Van Dijk, 2014). Comment le rédacteur peut-il réduire les obstacles que la technologie dresse dans certaines franges de la population ? La rédaction bienveillante (Clerc, 2019), l’étude des dynamiques discursives de la vulnérabilité (Ghliss et al., 2019) et l’approche de l’hétérogénéité des situations discursives (Romain et al., 2015) apportent des éléments de réponse à ces questions. De même, la notion d’expérience utilisateur (UX) invite à centrer les contenus sur les besoins des usagers. La philosophie UX, aujourd’hui répandue dans les administrations grâce à l’apparition des portails gouvernementaux comme Gov.uk ou Quebec.ca, est liée depuis longtemps aux univers de la rédaction technique et du plain language (Redish, 2010).
Qui dit numérique dit ouverture et abondance de l’information. Ce changement culturel se répercute notamment dans les domaines du droit et de la santé (Gerolimich et Vecchiato, 2019), où l’écrit simplifié joue désormais un rôle de premier plan en matière de consentement et de prise de décision partagée (Delavigne, 2019). Comment aider le citoyen à mieux comprendre la masse informationnelle aujourd’hui mise à sa disposition sur le Web et ailleurs ? Quel effort le lecteur est-il prêt à consentir pour lire les informations qui lui sont présentées dans la vie de tous les jours ? Le rédacteur peut-il, grâce aux outils numériques, rendre les discours administratifs à la fois plus accessibles et moins coûteux sur le plan cognitif, conformément à ce que Labasse (2020) suggère dans son modèle de l’adéquation communicationnelle ? À l’ère de l’hypertexte et de l’infobésité, la littératie fonctionnelle implique non seulement de comprendre les écrits, mais aussi de pouvoir repérer les informations utiles à travers un large bassin de sources parfois contradictoires (Rouet, 2006). Notre conception de la lecture doit s’actualiser en offrant une meilleure place à la quête informationnelle, à la navigation intertextuelle et au caractère forcément tabulaire de ces activités (Baccino et Drai-Zerbib, 2015; Jamet et al, 2008; Kavanagh et al, 2016).
À l’interne, sur le plan des pratiques, le passage au numérique impose bien entendu son lot de changements. Tandis que le rédacteur est appelé à réaliser des tâches de plus en plus variées dans son milieu de travail (Shalamova et al., 2019), les compétences technologiques qu’il doit maîtriser s’accumulent (Goulet et Pelletier, 2014) et ses méthodes s’imprègnent des codes propres au développement Web : rédaction UX et collaborative, stratégie de contenu, agilité, SEO, etc. Au-delà de la simple numérisation des textes imprimés, l’écriture numérique possède ses caractéristiques propres, dont le rédacteur doit prendre conscience. Comme l’ont tour à tour affirmé Manovitch (2001), Bachimont (2007; 2010) ainsi que Petit et Bouchardon (2017), l’une des propriétés fondamentales de l’écriture numérique est sa manipulabilité algorithmique : elle est par essence dynamique. Le numérique réduit les textes à un code binaire, manipulable par calcul ; en tant qu’objets numériques, les contenus textuels possèdent donc une structure modulaire qui permet de les fragmenter, programmer, modifier et recombiner indépendamment de leur mise en forme (Dush, 2015; Crozat et al., 2011). L’arrivée dans les organisations des gestionnaires de contenu (CMS, content management system) et, plus encore, des CCMS (component content management systems), ces outils qui facilitent la réutilisation de segments sur différents supports, provoque une onde de choc dans le milieu de la rédaction professionnelle : alors qu’on a appris au rédacteur, sous l’influence du design graphique, que la forme visuelle et le contenu ne font qu’un sur le plan rhétorique (Schriver, 1997; Waller, 1987), les CMS requièrent la séparation, à tout le moins technique, du texte et de la forme (Clark, 2007; 2014). Ils impliquent en outre une nouvelle granularité des unités de sens, forçant parfois les rédacteurs à décomposer les écrits en paragraphes types, voire en phrases types, et les conduisant à repenser l’ensemble des pratiques qui entourent l’objet textuel (Frechin, 2019; Vitali-Rosati, 2016).
Enfin, de nouvelles pratiques langagières émergent au contact des réseaux socionumériques, qui rendent possible une forme d’interaction directe, plus ou moins formelle, entre l’État et le citoyen. Les genres textuels se dématérialisent, s’hybrident, tant sur le Web informationnel que transactionnel (Alberts, 2015). La simplification entraîne pour sa part tout un spectre de changements linguistiques et discursifs dans les écrits envoyés au citoyen : marques de personnalisation, élimination du jargon juridique ou administratif, entre autres. L’intelligence artificielle et le champ de la simplification automatique réinventent aujourd’hui l’analyse de la lisibilité, en plus de fournir aux employés de l’État de nouveaux outils d’aide à la rédaction administrative (François et al., 2018). De leur côté, l’architecture d’information et le design de services élargissent nos perspectives en accordant une meilleure attention aux écosystèmes et aux relations que le document entretient avec les artefacts de son milieu.
En tant que champ ayant pour objet d’études « l’ensemble des processus et connaissances impliqués dans la production des écrits professionnels et leur adéquation aux destinataires » (Labasse, 2001), la rédactologie appelle au décloisonnement et à la collégialité interdisciplinaire. Ce colloque invite donc à considérer la rédaction sous tous ses angles : communication linguistique, design, psychologie, sciences de l’administration, ergonomie, sociologie.
Modalités de contributions
Les propositions doivent porter sur la communication écrite entre l’État et les citoyens. Elles peuvent aborder l’aspect numérique de manière contextuelle ou implicite. Les sujets peuvent être de nature théorique, empirique ou méthodologique.
Les travaux proposés doivent porter sur un des thèmes suivants :
- Thème 1 – Pratiques rédactionnelles entre l’État et le citoyen à l’ère du numérique
- Thème 2 – Pratiques de lecture-navigation des citoyens
- Thème 3 – Le document écrit dans l’écosystème informationnel du citoyen
Les propositions de communication doivent être rédigées en français. Elles ne devront pas dépasser 500 mots et comporter une bibliographie de 4 ou 5 titres. Elles devront être accompagnées d’une courte présentation de l’auteur.
Les propositions sont attendues au plus tard le 20 décembre 2020.
Elles doivent s’inscrire dans l’un des trois thèmes proposés. La langue du colloque sera la langue française.
Toutes les communications seront examinées anonymement par le comité scientifique. Le comité d’organisation vous adressera une réponse au plus tard le 20 février 2021.
L’article complet d’une quinzaine de pages avec bibliographie devra être envoyé le 20 juin 2021. Les précisions rédactionnelles seront données le 20 février 2021. Un ouvrage sera publié à partir des communications du colloque.
Adresses d’envoi : isabelle.clerc@com.ulaval.ca et veronique.rey.2@univ-amu.fr
Date et lieu : 6 au 9 octobre 2021 à l’Université Laval, Québec
Comité scientifique
- Céline Beaudet (Université de Sherbrooke, Québec, Canada),
- Isabelle Clerc (Université Laval, Québec, Canada),
- Valérie Delavigne (Université Sorbonne Nouvelle, France),
- Thomas François (Université catholique de Louvain, Belgique),
- Sonia Gerolimich (Università degli Studi di Udine, Italie),
- Marie-Josée Goulet (Université du Québec en Outaouais, Québec, Canada),
- Éric Kavanagh (Université Laval, Québec, Canada),
- Bertrand Labasse (Université d’Ottawa, Ontario, Canada),
- Lucie Lauzière (Université Laval, Québec, Canada),
- Marie-Emmanuelle Pereira (Université d’Aix-Marseille, France),
- Christina Romain (Université d’Aix-Marseille, France),
- Véronique Rey (Université d’Aix-Marseille, France),
- Jacynthe Roberge (Université Laval, Québec, Canada),
- Isabelle Sperano (MacEwan University, Alberta, Canada),
- Eric Tortochot (Université d’Aix-Marseille, France),
- Sara Vecchiato (Università degli Studi di Udine, Italie).
Organisatrices
- Isabelle Clerc (Université Laval, Québec, Canada)
- Véronique Rey (Université d’Aix-Marseille, France)
Éléments bibliographiques
ALBERTS, Inge (2015). « Caractérisation du genre des textes administratifs dans les environnements numériques de travail ». Dans L. Gagnon-Arguin et S. Mas (dir.), Les genres de documents dans les organisations : Analyse théorique et pratique, p. 49‑68. Québec : Presses de l’Université du Québec.
BACCINO, Thierry et Véronique DRAI-ZERBIB (2015). La lecture numérique. Grenoble : Presses universitaires de Grenoble.
BACHIMONT, Bruno (2007). Ingénierie des connaissances et des contenus. Le numérique entre ontologies et documents. Paris : Hermès.
BACHIMONT, Bruno (2010). Le Sens de la technique : le numérique et le calcul. Paris : Encre Marine.
BEAUDET, Céline et Isabelle CLERC (2008). « L’enseignement de la rédaction professionnelle au Québec : Quels fondements disciplinaires ? Quelle reconnaissance institutionnelle ? » Dans D. Alarmargot et al. (dir.), De la France au Québec : l’écriture dans tous ses états. Poitiers.
BOUDREAU, Christian (2017). « Les axes de développement du gouvernement électronique : leviers de transformation et défis de gouvernance ». Dans N. Michaud (dir.), Secrets d’États ? Les principes qui guident l’administration publique et ses enjeux contemporains, 2e édition, p. 911‑35. Québec : Presses de l’Université du Québec.
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