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Au XIXe siècle, la fabrique du commun national, comme unité culturelle, fut une des conditions de la démocratisation des sociétés européennes. Comme l’a montré Anne-Marie Thiesse (2001), la mobilisation de la culture est un trait partagé de l’ensemble des constructions nationales. Suivant la formule d’Eric Hobsbawm (1983), la production des traditions fut au cœur de « la production des masses » homogénéisées par une identité héritée mythifiée. Pour Benedict Anderson (1983), l’imaginaire de la communauté nationale se forme autour d’un sentiment de camaraderie horizontale et exclusif, véhiculé par le développement du capitalisme d’imprimerie, et dont la croissance s’est manifestée autant dans les régions du monde colonisé que dans les métropoles européennes.
Si le nationalisme méthodologique est largement contesté en sciences sociales (Wimmer & Glick Schiller, 2002), la nation demeure néanmoins un outil mondialisé (Ory, 2020) du répertoire de l’action politique. La nation permet de donner sens à la revendication de souveraineté à l’issue du processus qui transmue un peuple en Peuple. Elle se cristallise quand une traditio s’objective dans une histoire et dans une géographie, et quand l’ethnos correspondant est construit en demos revendiquant sa souveraineté. La journée d’étude de l’AFSR vise à interroger la place des religions dans ce processus au XXIe siècle.
Pour l’analyse dominante de la trajectoire historique des constructions nationales, le phénomène religieux se voit souvent marginalisé. La nation, les institutions démocratiques et le système international des états sont largement conçus comme des espaces sécularisés, éclipsant par leur ascendance téléologique l’influence des religions dans l’exercice du politique (Van der Veer & Lehmann, 2020). Aujourd’hui, cette marginalisation de la variable religieuse est largement rediscutée (Cabanel, 2015).
À l’exception des pays occidentaux dans lesquels la Réforme s’est enracinée et a constitué la matrice de révoltes populaires, le christianisme fut souvent pensé comme un matériau trop ambigu pour devenir une fondation des identités nationales. En France, si l’historiographie républicaine promeut les Gaulois en ancêtres du peuple et fait d’Alesia une date fondatrice, c’est afin d’effacer le baptême de Clovis dont les usages permettent d’identifier la France à la « fille aînée de l’Église » et de rappeler aux Français la triste mémoire de la domination romaine (Venayre, 2013).
En Europe de l’Ouest, la seconde guerre mondiale marque la fin d’un long mouvement des nationalités qui s’enracine au XVIIIe siècle. Le libéralisme politique et les droits de l’homme donnent une inflexion plus individualiste à l’approfondissement du processus démocratique et relativise les identités collectives qui en avaient été le premier instrument. La place de la religion semble devenir plus centrale durant la seconde moitié du XXe siècle. La réflexion sur la construction nationale offre à ce titre un terrain privilégié pour mesurer les limites des paradigmes de la sécularisation ou nuancer leurs conclusions.
Le mouvement des nationalités se poursuit dans l’Europe de l’Est et la religion y est une ressource contre l’impérialisme soviétique (Simons & Westerlund, 2015). Il se poursuit également dans le Sud contre les puissances coloniales européennes. La religion trouve cette fois sa place dans la construction nationale parce qu’elle constitue l’un des premiers éléments d’identité collective mobilisable contre l’occident (Halliday, 2000). L’islam occupe ainsi une place de choix dans la lutte nationale algérienne ou dans le mouvement palestinien (Asad, 2020). En Israël, le positionnement non-confessionnel du sionisme laisse de plus en plus la place à une définition religieuse d’Israël (Dieckoff, 2015).
Au XXIe siècle, dans un contexte de mondialisation où les flux migratoires accroissent la diversification religieuse et culturelle des sociétés, on peut se demander si un nouveau mouvement des nationalités n’est pas en train de se former. C’est désormais davantage contre des minorités construites comme allogènes que contre une puissance étatique étrangère que l’identité nationale semble mobilisée par les populismes (Marzouki, McDonnell, Roy, 2016). Dès lors, quelle place prend la religion dans ce nouvel agencement ? Elle est capitale dans l’Inde de Modi ou la Turquie d’Erdogan. Même en Europe, en France, en Hongrie ou en Italie, la mobilisation des « racines chrétiennes » en politique est devenue un lieu commun de la revendication populiste d’une restauration de la souveraineté de la majorité culturelle (Roy, 2019). Outre-Atlantique, au Brésil ou aux États-Unis, des dynamiques similaires de reconstruction de l’identité nationale à partir d’un imaginaire religieux s’observent (Gagné, 2020). La religion est mobilisée comme frontière culturelle afin de réserver l’exercice légitime de la citoyenneté à une partie de la population et d’en exclure d’autres (Raison du Cleuziou, 2020). L’hybridation entre identités nationales et religieuses serait-elle un signe du devenir illibéral des démocraties (Zakaria, 1997) ? La journée d’étude de l’AFSR a pour objet d’apporter des éclairages sur ces dynamiques contemporaines.
En sciences sociales, la genèse des nations a souvent été analysée suivant deux versants : le State-building désigne le processus par lequel un peuple construit son autonomie politique en formant un État en mesure de défendre ses intérêts ; le Nation-building désigne plutôt les politiques à travers lesquels les gouvernements homogénéisent leur population en lui donnant une culture commune. La journée d’étude de l’AFSR interrogera la place de la religion en croisant ces deux perspectives.
À ce titre, les propositions de communication devront privilégier deux problématiques :
- le State-building et les imaginaires de la nation et de la démocratie construits par les acteurs religieux ;
- le Nation-building et les politiques d’homogénéisation religieuse de la nation promues par les gouvernants.
Propositions de communication de 4 000 signes espaces comprises à envoyer à afsr.association@gmail.com jusqu’au 15 avril. Réponse fin avril. La journée aura lieu sur Zoom.