Dans les deux premiers numéros d’InterArtes, nous avons abordé la « perméabilité des frontières » et les «hybridations», comme autant de concepts-clés du monde contemporain. Mais il existe aussi une autre frontière sur laquelle cette revue dédiée à la recherche et à la réflexion sur les phénomènes artistiques, dans leur acception pluri- et inter-sémiotique la plus large, ne peut manquer d’attirer l’attention, surtout à l’ère des hybridations expérimentales qui semblent tendre vers son abolition : il s’agit de la frontière entre ce que nous appelons la création artistique et les produits de l’automatisation. L’intelligence artificielle et la recherche de sources d’énergie illimitées caractérisent l’imposante tendance actuelle à une « algorithmisation » et à ce qu’on pourrait appeler le tournant artificiel de toute activité humaine. Ce sont les « arts », entendus au sens le plus large de pratiques inextricablement dépendantes par leur nature de contextes historiquement singuliers, qui en sont investis de manière particulière. En principe, la singularité historique des contextes de production étant un élément constitutif du processus de création artistique, tout art semblerait irréductible aux utopies/dystopies de contrôle totalisant et de réplicabilité ; pour cette raison, jusqu’à il y a quelques décennies, la culture artistique et la culture académique-scientifique pouvaient facilement critiquer le réductionnisme mécaniste des fantasmes technologisants, en les opposant à l’unicité complexe de chaque phénomène créateur. Mais il est évident qu’on assiste aujourd’hui à un renversement des perspectives : les avancées technologiques semblent pointer vers la création artificielle de singularités complexes, c’est-à-dire vers l’imitation ou la duplication de systèmes vitaux ayant la capacité de se maintenir dans le temps tout en variant et en gérant continuellement une certaine dose d’imprévisibilité complètement anti-mécaniste. Le processus de création artistique est évidemment au cœur de ce changement de paradigme dont les implications sont aussi bien esthétiques et scientifiques qu’éthiques, politiques mais aussi juridiques, économiques, sociales, environnementales…
Pour ces raisons, le troisième numéro de la revue InterArtes sera consacré à interroger de manière critique, à la fois par des essais historiques et empiriques, la relation entre “Créativité artistique et Automatisation”. Voici quelques «pistes» envisageables :
– Dans quelle mesure, au niveau spéculatif et au niveau des pratiques artistiques contemporaines, ces termes sont-ils irréductibles les uns aux autres, voire contradictoires ?
– Les recherches neuroscientifiques des dernières décennies ont-elles apporté des nouveautés à l’investigation de cette question ?
– Quels travaux, courants, écoles, poétiques ont[-ils] réellement utilisé cette dyade conceptuelle en tant qu’idéologie explicite ou figuration implicite ?
– Dans quelle mesure le panorama de l’art et de la littérature contemporains se caractérise-t-il par des explorations artistiques du potentiel expressif d’une présence croissante d’innovations technologiques et dans quelle mesure, au contraire, la recherche et le développement technologiques visent-ils à remplacer la subjectivité humaine également dans la création artistique et littéraire ?
Ce sont là des questions qu’il faut replacer dans la problématique plus générale du rapport entre art et technique ; leur enracinement sémantique commun dans l’idée grecque classique de technè a certes partie liée avec la montée, l’affirmation puis la crise structurelle actuelle de la civilisation thermo-industrielle : celle-ci préfigure le risque d’auto-extinction de l’espèce humaine mais en même temps alimente des attentes de plus en plus frénétiques de “singularités” capables d’aller au-delà de ses limites physiques et organiques.
Parmi les questions de recherche dont ce numéro d’InterArtes veut encourager l’exploration, à travers un ou plusieurs champs de la production artistique-littéraire ou de la réflexion esthétique, figurent les suivants à titre d’exemples et sans prétention à l’exhaustivité :
– Quelles pratiques et quels problèmes, d’un point de vue historique ou d’un point de vue de l’expérimentation et de la critique contemporaines, sont inhérents à l’idée d’automatisation du processus de création ? Qu’en est-il, d’autre part, de l’utilisation d’algorithmes et de technologies d’automatisation pour une créativité non automatisable ?
– Quels points de contact particuliers et quels éléments distinctifs caractérisent la comparaison théorique entre pratiques littéraires de réécriture (et leurs analogues dans d’autres arts) et processus algorithmiques de création ?
– Quelles frontières, quelles particularités respectives, quelles imbrications et hybridations possibles peut-on repérer entre la subjectivité humaine et les subjectivités “artificielles” (IA) émergentes dans les processus de création et de réalisation artistique ?
– Quelles formes (et dynamiques historico-esthétiques) de résistance artistique à la déshumanisation ou à la transhumanisation du processus créatif est-il possible de cartographier, dans le moyen terme de la longue montée des technologies d’automatisation ?
– Dans quelles œuvres et recherches littéraires et artistiques peut-on trouver des formes de représentation de ce problème ?
Modalité de soumission
Les textes proposés, de nature théorique ou analytique avec des prémisses théoriques, devront être inédits et rédigés en word, dans le respect des règles éditoriales de la revue publiées sur le site https://www.iulm.it/speciali/interartes et, une fois acceptés par le Comité Scientifique, ils seront soumis à une évaluation en double aveugle.
On accepte des travaux en Français, Italien, Anglais.
Merci d’envoyer les contributions, accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique, à l’adresse : interartes@iulm.it, avant le 15 juin 2023.
Keywords
- Mots-clés
- Arts
- Creativity
- Design