Nouvelles Questions Féministes

Algorithmes, intelligence artificielle et transformations du travail au prisme du féminisme

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Expected response for the 01/07/2024

Response type Résumé

Expected contribution type article

Publication name Nouvelles Questions Féministes

Coordinators

  • Eva Nada, Haute école de travail social, Genève, HES·SO
  • Lucie Delias, Université Paul Valéry - Montpellier 3
  • Sigolène Couchot-Schiex, CY Cergy Paris Université

Contacts

Argumentaire

Les affaires nombreuses et récurrentes de femmes engagées, victimes de cyberharcèlement, témoignent de l’ampleur du sexisme subi en ligne par les femmes et les minorités de genre : en 2017, la journaliste Nadia Daam a dû quitter Twitter en raison d’une campagne de cyberharcèlement dont elle a été victime suite à une chronique sur Europe 1 où elle dénonçait le comportement sexiste et violent des utilisateurs d’un forum du site jeuxvideo.com ; en 2021, les créatrices de plusieurs comptes Instagram féministes d’éducation à la sexualité ont décidé de désinvestir la plateforme, face aux propos haineux qu’elles recevaient mais également à la censure régulière de leurs contenus par le système de modération de Meta. Ces exemples montrent d’abord comment la numérisation croissante de nos sociétés constitue un environnement hostile pour les femmes en reproduisant et amplifiant les violences à leur encontre. Ils mettent aussi en lumières la façon dont les mécanismes de discriminations « classiques » rejaillissent dans l’espace numérique : priver les journalistes et militantes d’espaces où s’exprimer, et ainsi réduire leur capacité à exercer leur métier et être rémunérée.

Si ces cas concernent des professionnelles ayant une forte visibilité publique, les transformations du travail à l’heure de l’omniprésence des données, des algorithmes et de l’intelligence artificielle sont multiples et interpellent la recherche féministe. Les recherches sur les métiers liés au développement du numérique, réunies autour du concept de Digital Labor, permettent d’explorer les nouvelles formes de « travail du clic ». D’abord à propos du travail productif : le développement des plateformes de l’« économie de partage » (notamment les services de livraison ou de VTC) et des algorithmes qui sous-tendent les outils en ligne est basé sur l’exploitation de travailleuses et de travailleurs effectuant des micro-tâches dans un contexte précaire. Ces emplois sont majoritairement occupés par des femmes ou des personnes minorisées, ce qui pose la question du renouvellement de la division sociale du travail, qu’elle soit genrée, racialisée ou géographique dans une économie capitaliste mondialisée. Le Digital Labor englobe également les activités effectuées par les internautes ordinaires, qui, par leur simple utilisation des services en ligne et souvent sans en avoir conscience, fournissent des données qui sont la « matière première » de la création de richesse par les GAFAM. Les critiques de ce travail déguisé et constant, qui brouille la frontière entre vie privée et vie professionnelle et exploite les affects et la subjectivité des sujets, n’est pas sans rappeler celles du travail domestique effectué par les femmes, non reconnu comme tel et pourtant essentiel à la reproduction capitaliste de la société.

Au-delà du périmètre du Digital Labor, les études genre et les approches féministes auraient tout intérêt à se saisir de ce que la numérisation et la « datafication » font au travail des femmes au sens large et explorer la place des femmes dans ce système. Quelles sont les nouvelles formes de travail émotionnel effectué par les femmes en ligne ? Comment les métiers féminisés, notamment ceux qui relèvent du care, sont-ils soumis à de nouvelles formes de rationalisation ou de surveillance ? En quoi l’utilisation d’algorithmes dans les processus de recrutement, ou encore les représentations stéréotypées des compétences féminines dans les contenus produits par les outils d’IA générative, renforcent-ils les discriminations sur le marché de l’emploi ? Quelles sont les conséquences de la sous-représentation des femmes et des minorités de genre et raciales aux postes de conception ou de décision au sein des grandes entreprises du web, mais aussi dans les formations aux métiers du numérique ?

Les propositions de contributions peuvent s’inscrire dans l’un des axes suivants, ou proposer d’autres perspectives en lien avec le thème de l’appel.

1er axe :  Approches féministes du Digital Labor

Le premier axe vise des articles qui interrogent d’un point de vue empirique ou théorique la mise au travail en contexte numérique dans une approche féministe. On pourra explorer le caractère inédit de ces nouvelles formes de travail (qu’elles soient formelles ou informelles), par exemple concernant leur statut juridique et les implications concernant le droit du travail. On pourrait aussi questionner l’évolution des conditions de travail, en montrant comment les algorithmes et l’IA permettent de surveiller les travailleuses et les travailleurs, de rationaliser leur activité, d’imposer de nouvelles normes ; ou encore explorer l’isolement et l’effacement des frontières entre vie privée et vie professionnelle induite par le travail à domicile en free-lance. Il s’agit de questionner la nouveauté, la continuité, la réorganisation ou l’extension des formes d’oppression traditionnellement associées au travail face au développement du Digital Labor, et de montrer comment les approches féministes enrichissent la définition du Digital Labor ou en révèlent les limites.

2ème axe : Perspectives intersectionnelles et transnationales sur les transformations numériques du travail

Le deuxième axe invite à explorer plus précisément les conséquences de la mise au travail en contexte numérique sur les personnes issues des groupes minorisés et sur les travailleuses et travailleurs des pays des Suds. Dans une perspective intersectionnelle, on pourra s’interroger sur la façon dont les personnes qui subissent des discriminations en raison de leur genre, de leur nationalité, de leur couleur de peau, de leur origine sociale ou de leur âge sont touchées de manière spécifique par les transformations liées au Digital Labor. S’il est surtout question dans la littérature scientifique des chauffeurs et des livreurs travaillant pour les plateformes, qui sont souvent des hommes issus de l’immigration, ces « travailleurs du clic » peuvent aussi être des femmes, dans la mesure où le travail du care se numérise lui aussi, et où les femmes précaires et/ou exclues du marché de l’emploi peuvent se tourner vers ces emplois facilement accessibles. On pourra aussi s’interroger sur les discriminations subies par les créatrices et créateurs de contenu minorisé·es (féministes, racisé·es, trans ou grosses, par exemple) qui voient leur travail menacé par la censure algorithmique et le cyberharcèlement. Par ailleurs, la complexité générée par la mondialisation de ces emplois produit de nouvelles répartitions mondiales des tâches du Digital Labor. Alors que la plupart des sièges des grandes entreprises du web sont situées dans le Nord, l’immense majorité des « travailleuses et travailleurs du clic » sont employé·es par des sous-traitants dans les pays du Sud global. Quelle est la place des femmes dans ce travail ? En quoi le Digital Labor reconfigure-t-il la division internationale du travail et les oppressions envers les femmes qui en découlent ?

3ème axe : Résistances et émancipations des travailleuses et travailleurs dans une société numérisée

Le troisième axe attend des articles qui interrogent les formes d’émancipation et de résistances face à l’encadrement algorithmique de l’activité, rémunérée ou non, des femmes et des populations minorisées en ligne et hors ligne. Nous attendons notamment des articles traitant des formes de résistances individuelles, qu’elles soient ordinaires ou passent par le détournement des outils.  On pourrait aussi se pencher sur le travail et les stratégies des productrices de contenus en ligne (par exemple, les influenceuses) qui tentent d’utiliser les algorithmes à leur avantage pour maintenir ou gagner en visibilité (sachant ce que ces outils fonctionnent sur des logiques sexistes) ou bien qui utilisent l’IA pour produire leur contenu. On pourrait enfin questionner la tension entre les stratégies industrielles/capitalistes et les tactiques des usagères « ordinaires » des plateformes et services numériques, mais aussi des résistances collectives face à l’exploitation des travailleuses et travailleurs rémunéré·es, comme celles déployées par des artistes, des collectifs ou dans le cadre de mobilisations sociales.

Coordination du numéro

  • Eva Nadasociologue, adjointe scientifique, Haute école de travail social, Genève, HES·SO
  • Lucie Delias, maîtresse de conférences en Sciences de l’information et de la communication, Université Paul Valéry – Montpellier 3
  • Sigolène Couchot-Schiex, sociologue, professeure en sciences de l’éducation, CY Cergy Paris Université

Modalités de soumission

Les propositions d’articles de deux pages sont attendues pour le 1er juillet 2024 en format Word envoyées par mail à eva.nada@protonmail.com et lucie.delias@gmail.com. Elles doivent contenir le nom et le prénom des autrices ainsi que leur discipline et éventuellement leur institution de rattachement. Elles peuvent inclure une bibliographie.

Modalités pratiques d’évaluation des propositions

Les coordinatrices opèrent une première sélection parmi ces résumés. Si la proposition est acceptée, la 1ère version de l’article (45 000 signes, espaces et bibliographie comprise) devra être transmise au groupe de coordination le 1er février 2025 au plus tard.

L’article anonymisé est transmis à deux rapportrices pour évaluation en double aveugle. Il peut être accepté en l’état, accepté sous réserve de modifications mineures ou majeures ou refusé. En cas d’acceptation pour publication, la version retravaillée doit parvenir le 1er juillet 2025. Le numéro sortira au printemps 2026. Les articles publiés paraissent dans la rubrique Grand angle du numéro.