Ce numéro thématique et interdisciplinaire a pour objectif de réunir des travaux explorant le « faire art » dans l’espace public urbain en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Qu’ils soient visuels ou performatifs, les arts urbains (tags, graffitis, street art, fresques murales, performances, spectacles vivants, sculptures ou installations dans l’espace public, etc.) occupent depuis une dizaine d’années, une place grandissante dans la production artistique. La scène du graffiti et du street art s’est notamment étendue, à la faveur des « Printemps arabes » ; chaque année, les inscriptions murales se multiplient, de nouveaux centres d’art urbain apparaissent et des festivals entièrement dédiés au street art s’organisent. Ces initiatives font progressivement de la ville une galerie à ciel ouvert, contribuant au renouvellement des formes d’expression du politique dans l’espace public, et aux transformations de l’espace urbain.
La question des pratiques artistiques dans la région MENA fait l’objet d’un intérêt croissant de la part des chercheurs. Depuis les années 1990, historiens et sociologues de l’art se sont emparés de la création contemporaine comme objet d’étude (Ali, 1987 ; Mikdadi Nashashibi Et Al., 1994 ; Naef, 1996 ; Armbrust, 1998 ; Dakhlia, 2006 ; Shabout, 2007 ; Sloman, 2009 ; Sabry, 2010), privilégiant d’abord des analyses esthétiques ou historiques. Les travaux qui ont suivi ces premières approches ont ensuite examiné les effets des politiques culturelles, comme les enjeux liés à la patrimonialisation (Maffi, 2005 ; Rezk & Stephan-Hachem, 2006 ; Mejcher-Atassi, 2013 ; Kazerouni, 2017). Des développements plus récents – mais encore rares – se sont focalisés sur la dimension ethnographique et urbaine de la production artistique au Maghreb et au Moyen-Orient, construisant ainsi un champ actuellement en expansion (Winegar, 2006 ; Mermier & Puig, 2007 ; Dias, 2007 ; Ströhm, 2012 ; Nashef, 2012 ; Scheid, 2014 ; Alviso, 2017 ; Brones, 2020 ; Lehec, 2017 ; Carle, 2019).
Ce numéro de Manazir Journal souhaite enrichir la recherche existante, en proposant d’appréhender les villes par l’art et de s’interroger sur ce que l’art fait à la ville. Il s’agit tout autant d’étudier les spatialités de l’art urbain, que de faire de ce dernier une clé de lecture (Gresillon, 2014) supplémentaire des dimensions spatiales, sociales, temporelles et politiques des espaces urbains. Comment se renouvellent les liens entre l’art, les modes d’appropriation urbaine, et les formes d’expression du politique ? La ville est entendue ici à la fois comme support et comme sujet de la création. Si la matérialité et les identités urbaines renouvellent les formes et les contenus d’expressions artistiques (notamment la ville comme source d’inspiration dans de nombreuses œuvres contemporaines), l’art, en retour, est susceptible de transformer la ville. Il s’invite dans l’espace public et le quotidien des habitants, détournant de leurs fonctions premières les murs, les places ou les escaliers. À l’échelle de la ville, les lieux dédiés à l’art se multiplient, contribuant à redéfinir les centralités, mais aussi à accélérer – tout en les dénonçant parfois – les processus de gentrification. À l’échelle nationale et internationale, la dotation des villes en musées ou en évènements artistiques permet un renouvellement de leur image et une meilleure visibilité, dans un contexte de compétition internationale accrue entre les métropoles. Ces « annonces de musées à forte visibilité internationale » (Kazerouni, 2015, 87-97 ; 2007, 121-145) font de ces derniers des « musées-miroir », car ils génèrent « un effet miroir, consistant à renvoyer au public qu’ils visent, l’image de ses attentes vis-à-vis du monde musulman contemporain, qui le caractérise » (Kazerouni, 2017, 15). Dans ces dynamiques multiscalaires, artistes et agents culturels deviennent des acteurs urbains à part entière. Qu’il s’agisse de prendre la ville comme sujet ou médium, de circuler entre les différentes centralités, ou d’investir de nouveaux espaces, ils contribuent au changement du paysage urbain comme des représentations des citadins.
Plus spécifiquement, ce numéro examinera comment les pratiques et les productions artistiques font émerger de nouvelles définitions, limites et fonctions de l’espace public, dans ses dimensions matérielles, sociales, juridiques et politiques. Il s’agira d’explorer les tensions existantes entre l’usage de l’art comme moyen de réinventer ou de « republiciser » les lieux (Kullmann, 2015), ou comme moyen de les normaliser (Guinard, 2013) et, ce faisant, de renforcer leur caractère excluant. En effet, la création permet des réappropriations matérielles et symboliques, et peut devenir un support d’inscription, dans la sphère du débat public, des revendications sociales et politiques. Dans ses formes les plus consensuelles et ornementales, elle peut également servir des politiques d’aménagement normatif. Cette institutionnalisation de l’art urbain invite également les auteur.es à questionner son ancrage dans le marché global de l’art, et sa place dans l’institution muséale : comment les arts urbains se vendent et s’exposent-ils hors des murs de la ville ? Enfin, si l’art urbain n’a pas, à l’origine, vocation à circuler, le transfert des pratiques et des productions de l’espace urbain vers l’espace numérique bouleverse les trajectoires des œuvres, depuis leurs conceptions jusqu’à leur diffusion, et leurs éventuelles récupérations.
Ce numéro s’inscrit dans une perspective interdisciplinaire, et invite artistes et chercheurs à croiser leurs réflexions et travaux sur les enjeux socioculturels et politiques des arts dans l’espace public d’une part, et sur la condition urbaine au Moyen-Orient et au Maghreb d’autre part. Pour plus de détails concernant cet appel, veuillez-vous référer à l’argumentaire détaillé en cliquant ici. Les articles proposés pourront répondre à plusieurs de ces questions simultanément, ou ouvrir des pistes inédites. Ils pourront être écrits en français ou en anglais.
Propositions (résumé d’article et courte biographie) à envoyer avant le 15 décembre 2020 à Marie Bonte : marie.bonte02@univ-paris8.fr et à Marion Slitine : marion.slitine@ehess.fr
Keywords
- Mots-clés
- Arts
- Public space
- Patrimoine culturel