La réforme des services publics entend développer des plans d’action permettant à l’État de diminuer la dépense et la dette publiques, de perfectionner les dispositifs de travail et d’améliorer les conditions d’exercice des agents publics, mais aussi d’optimiser la qualité des services et des prestations à destination des usagers. Le remodelage du modèle d’action publique se fonde sur un recours accru au numérique (plateformisation, open data, traitements algorithmiques, etc.) et une dématérialisation des services publics, processus qui ne vont pas sans poser problème tant ils bouleversent les pratiques professionnelles des uns et les usages des autres.
La « transformation publique » par le numérique, notamment quand elle touche à l’action publique, rencontre en effet des obstacles que ce dossier souhaite documenter et questionner depuis une approche attentive aux dispositifs sociotechniques. Éloignées des perspectives diffusionnistes, fonctionnalistes et utilitaristes, les contributions de ce dossier pourront s’appuyer sur les apports d’une sociologie des usages attentive aux positions sociales et aux pratiques des ressortissants, d’une sociologie du travail intéressée aux reconfigurations des professionnalités et aux systèmes de normes institutionnelles, ou encore d’une sociologie politique de l’action publique centrée sur les évolutions des dispositifs et des rapports de pouvoir.
Le fil rouge de ce dossier consistera à questionner les régimes de rationalisation de l’action publique qui peuvent être désignés comme relevant d’une gouvernementalité numérique. Il s’agit donc d’explorer les dispositifs et les formes d’instrumentation numérique qui appareillent les politiques relevant de l’action publique telles qu’ils prennent forme aujourd’hui dans un contexte de dématérialisation généralisée des services publics et de technologisation accrue des sociétés.
Les contributions attendues devront donc être attentives à la technicisation du pouvoir, son « instrumentation » et l’émergence de « gouvernementalités » reposant sur des dispositifs sociotechniques qui apportent des appuis matériels permettant d’interfacer plus efficacement les politiques d’État aux citoyens (évitant notamment une négociation et une supervision constantes) et, par là même, de rendre plus robuste le guidage des conduites (prescription), ainsi que le contrôle social des populations (la capacité à faire faire est au fondement du pouvoir). Elles s’intéresseront aux agencements des moyens de la régulation étatique et considèreront que l’action publique se construit à partir de dispositifs qui, définissent des finalités, des contenus et des valeurs. C’est en effet par la mobilisation d’instruments qui concrétisent des intentions, expérimentent ou impulsent des systèmes de régulation et établissent différents policy styles oscillant entre incitation et contrainte que les États gouvernent. Depuis des perspectives qui s’efforceront de renouveler les approches en termes de bureaucratisation ou de retrait de l’État-Providence, il s’agira, à partir d’une variété de terrains, de questionner, par exemple :
(1) le choix des instruments (en caractérisant les motifs et les processus qui ont poussé des institutions nationales et locales à retenir un instrument plutôt qu’un autre)
(2) la nature de ceux-ci (qui, ici, ont pour particularité de s’opérationnaliser à travers des dispositifs numériques dont les scripts laissent à voir des conceptions sociotechniques spécifiques de la régulation),
mais aussi (3) les effets des instruments mis en œuvre en s’intéressant aux diverses formes d’usage et d’appropriation qu’ils génèrent du côté des bénéficiaires et des professionnels de l’action publique, ainsi qu’aux résistances qu’ils sont susceptibles de susciter, pouvant viser à infléchir les logiques prescriptives, réduire les effets de contrainte, limiter ou transformer la portée de l’instrument.
Partant, les contributions étudieront l’émergence de ces gouvernementalités qui fondent le numérique comme lignée sociotechnique de concrétisation des politiques d’action publique mais qui, dans le même temps, le constituent en problème public. L’impératif d’usage qui l’accompagne tend, en effet, à inscrire le numérique au répertoire des champs de pratique traversés par des inégalités devant elles-mêmes être prises en charge par des politiques publiques. S’il permet d’opérationnaliser l’action étatique, cette médiation n’est pas sans poser problème quant à la transformation-création des environnements qu’il traverse. Son caractère d’opérateur technique prescripteur soulève par exemple, tant du côté des usagers (non-recours aux droits, non-usages, perte de contrôle des données personnelles, etc.) que des agents publics (révision des procédures, remise en cause des professionnalités, atteinte aux identités et aux cultures professionnelles, etc.), des problèmes d’accès et de compétences plus ou moins importants.
Aussi, est-il attendu que certaines contributions prêtent attention au travail normatif (attribution de finalités, jugements, etc.) que les individus et les institutions dotés d’une compétence à qualifier les situations produisent s’agissant des dispositifs qu’ils proposent et dont ils font usage. Les différents acteurs (agents, usagers, etc.) en prise et aux prises avec les dispositifs sociotechniques « problématisent » les environnements au sein desquels ils sont engagés depuis, d’une part, des appuis représentationnels, axiologiques, dispositionnels et, d’autre part, des appuis matériels, praxiques et conventionnels un social extériorisé plus ou moins visible. À l’« hétérogénéité ontologique » des dispositifs correspondent des modalités d’appropriation et d’action normativement fondées (i.e. politiques), tout aussi frappées au coin de la variété et dont il s’agirait d’établir les procès.
Calendrier prévisionnel
Nous vous demandons d’adresser au secrétariat de rédaction (aurelie.bur@enpc.fr)
- pour le 2 janvier 2024, des intentions (2 pages présentant objet, question de recherche, inscription dans la littérature, méthodologie et résultats).
- V1 pour le 1er juin 2024, soumission des articles (65 000 signes, notes et espaces compris).
Vous trouverez plus d’informations, notamment les consignes aux auteurs sur le site de la revue : http://www.revue-reseaux.fr/
La publication du dossier est prévue début 2025
Contacts et renseignements : fabienjg.granjon@orange.fr