La Revue des sciences sociales lance un appel à contributions pour le n° 74/2025 intitulé “Derrière le masque : enjeux sociaux et communicationnels des dispositifs de protection respiratoire” à paraitre au 2ème semestre 2025 sous la coordination de Laure Bolka Tabary, Simona De Iulio et Aurelia Lamy (GERIICO – Université de Lille).
Appel à contributions
Ce dossier se penche sur l’expérience du port du masque de protection respiratoire. Cette pratique, visant à protéger le corps de l’inhalation de poussières nocives, agents pathogènes, fumées, vapeurs, ou de gaz, a une histoire sociale, culturelle et technique longue et complexe, marquée par des désaccords et des controverses (Canu 2022 ; Strasser, Schlich 2020 ; Schlich, Strasser 2022). Certaines catégories de travailleur·se·s, dans le domaine de la peinture ou de la soudure, dans les mines, mais aussi les pompiers, les militaires, le personnel de santé, ainsi que les bricoleur·se·s en présence de substances toxiques ont adopté depuis longtemps l’usage de masques filtrants pour couvrir le nez et la bouche. Lors de la pandémie de covid-19, le masque a été rapidement intégré dans les vies des populations, évoluant au-delà de son rôle initial de dispositif de prévention sanitaire. Il a acquis une valeur symbolique, devenant un objet médiatique qui exprime des valeurs et des convictions éthiques.
L’objectif de ce dossier est d’explorer diverses dimensions sociales et communicationnelles du port du masque de protection respiratoire, en mettant en lumière les changements qu’il a connus, ainsi que les représentations, les discours et les pratiques qu’il a suscités au fil du temps dans différents contextes et situations sociohistoriques.
Si de nombreuses analyses ont été élaborées en sciences humaines et sociales au cours de la pandémie de covid-19 (Cochoy et al. 2022 ; Daniau, Mallard 2023, Fiorentino, Terracciano 2022 ; Lardellier 2022 ; Lupton et al. 2021) et que des travaux ont été réalisés sur les enjeux corporels et sociotechniques du masque à usage sportif (Lebreton et al. 2021), ce numéro de la Revue des sciences sociales se propose d’examiner les différentes fonctions attribuées à ce dispositif, depuis son utilisation comme outil de protection sanitaire individuelle jusqu’à son rôle plus complexe dans les débats sociaux, idéologiques et politiques. En comprenant ces aspects, le dossier vise à offrir une analyse approfondie des implications sociales du port du masque, au-delà du contexte marqué par la pandémie de covid-19.
À partir d’études de cas et de recherches empiriques solides, les propositions pourront s’inscrire dans un des trois axes suivants :
1- Des pratiques, des normes et des imaginaires en mutation
En remontant dans le passé, les contributions pourront tout d’abord porter sur l’évolution des pratiques, des normes et des imaginaires du port du masque de protection respiratoire dans une perspective diachronique (par exemple, les masques aux airs d’oiseaux pour se protéger des miasmes de la peste au XVIIe siècle, ceux utilisés pendant l’épidémie de grippe espagnole, les dispositifs de protection du gaz en situation de guerre, etc.). Au fil des époques, cet objet a revêtu diverses fonctions, selon les contextes épidémiques et les mutations des pratiques professionnelles, tant dans le domaine de la santé que dans d’autres secteurs. Considéré comme une barrière ultime contre la propagation de virus ou l’assimilation de substances nocives, le masque a également véhiculé des représentations sociales variées et a été utilisé de manière différenciée.
Une exploration approfondie des choix liés à la réutilisation, au recyclage, ou, à l’inverse, des avantages d’une utilisation « jetable » serait particulièrement pertinente. Les enjeux économiques, écologiques et logistiques des choix des masques sont en effet intéressants à prendre en compte dans la mesure où ces choix sont intimement liés à des problématiques de sociabilité et de santé.
D’un point de vue normatif, les politiques publiques encadrant l’emploi du masque de protection respiratoire pourront également être questionnées. Les processus de production de ces normes (acteur·rice·s impliqué·e·s, institutions émettrices, contexte de formulation), leur communication (destinataires, médias employés) et leur application (modalités de contrôle et de surveillance, sanctions prévues, résultats escomptés) seront analysés.
Il s’agira également d’étudier et interroger les évolutions des mises en récit (fictionnelles ou documentaires) du port du masque sous différents formats (écriture, photographie, vidéo, bande dessinée…), par le biais de différents médias (réseaux socionumériques, presse généraliste, presse professionnelle, weblogs, radio…), par des amateur·rice·s, des artistes ou des professionnel·le·s des médias tel·le·s que des journalistes, photographes, cinéastes.
2- De l’innovation à la domestication
Le masque de protection respiratoire peut être examiné comme un artefact issu d’innovations sociotechniques qui visent à répondre à des besoins émanant de l’observation du social, de recherches scientifiques ou de réglementations, et lié à des enjeux de santé publique, d’écologie, ou encore de productivité. Les contributions pourront concerner la chaîne de production, et plus spécifiquement les processus de conception, de fabrication, d’industrialisation et de promotion publicitaire des masques, qui impliquent des entreprises comme les initiatives citoyennes, individuelles ou collectives (Trigeau 2021). La question de l’innovation pourra ainsi également être abordée du point de vue du design, de la participation citoyenne et du « fait maison » (Bosqué 2021). Des travaux sur le port du masque au travail sont attendus tant dans une perspective historique que dans le contexte actuel.
Les enjeux de la circulation mondialisée et de la mise en concurrence des masques selon des critères sanitaires, économiques et écologiques constituent un autre aspect à approfondir. Les phénomènes créatifs et de mode suscités par le port du masque (déclinaisons colorées et imprimées, customisations) pourront également être analysés. À cet effet, les approches comparatives et/ou multi-situées entre différentes zones géographiques sont les bienvenues.
Nous souhaitons également aborder dans ce dossier la problématique de l’acceptabilité sociale et culturelle de cet objet (Chagnon et al. 2023). Il s’agira alors d’analyser les phénomènes d’acceptation, de domestication ou de résistance face au changement et aux contraintes de ce dispositif invasif, souvent inconfortable. Les mouvements d’opposition, comme les mouvements anti-masques, qui touchent aussi bien les militant·e·s politiques que les personnels soignants, constitueront également un aspect à investiguer. En effet, ces mouvements – et la manière dont ils sont régulés notamment au sein des institutions de santé ont donné lieu à une production importante de discours professionnels et médiatiques. Ils ont également porté des discours de justification dont les postures et les processus argumentatifs pourraient être analysés. Il s’agira d’une part d’analyser comment le masque s’intègre au corps au point de ne plus être ressenti comme extérieur. Des études de cas sur l’expérience du port du masque par des catégories de populations et/ou des communautés professionnelles spécifiques, dans des contextes nationaux et/ou culturels différenciés peuvent être proposées, permettant d’interroger les processus d’appropriation dans des contextes particuliers. La question des usages effectifs serait un aspect particulièrement intéressant à aborder. Au-delà des normes et des préconisations, porter un masque donne lieu à des pratiques hétérogènes adaptées aux contextes (de travail, sportif, domestique, transports, météorologiques…) et aux contraintes qui se posent aux individus en fonction des situations (températures, émotions, cadre institutionnel et ponctuel des interactions) et des personnes avec lesquelles on se trouve en interaction.
D’autre part, les auteur·e·s sont invité·e·s à approfondir les détournements d’usage qui transforment le masque d’un dispositif de protection respiratoire en un objet de revendication et/ou d’affirmation de soi. Par ailleurs, les masques respiratoires, surtout quand ils sont imposés dans un contexte de crise sanitaire, viennent télescoper l’interdiction légale de cacher son visage dans un lieu public et on peut repérer aujourd’hui des usages du masque respiratoire pour contourner cette interdiction légale. Ce sont les usages détournés à des fins identitaires, politiques, religieuses, idéologiques qui subvertissent la fonction première des masques respiratoires et qui, dans certains cas, permettent des arrangements avec les normes et lois, que nous souhaitons également mettre en visibilité dans ce dossier.
3- Communiquer et interagir avec un masque de protection respiratoire
Nous encourageons également les contributions proposant une approche anthropologique du port du masque et examinant les techniques du corps en prise avec la matérialité de cet objet. Ces contributions pourront analyser les manières dont le port du masque respiratoire affecte la corporéité, la communication interpersonnelle et les interactions dans divers contextes de la vie sociale. En quoi le port du masque respiratoire modifie-t-il ou altère-t-il les échanges et les distances corporelles entre les individus ? Plus précisément, quelles sont les retombées du port du masque respiratoire sur la dimension sonore et visuelle de la communication interpersonnelle ? Comment les échanges interpersonnels se transforment-ils lorsque la voix est étouffée et l’on ne voit pas l’ensemble du visage ? Quelles stratégies de communication (usages de la voix, distanciation, gestuelle…) sont alors adoptées ?
On pourrait également inscrire le port du masque dans l’ensemble des techniques qui permettent la distanciation des corps : dans les contextes sanitaires, certes (mesures barrières, quarantaines ou isolements), mais plus généralement toutes les technologies qui permettent d’éviter le contact avec autrui. En quoi le port du masque respiratoire peut-il être saisi comme un indice de ces tendances profondes ?
Enfin, il serait intéressant d’explorer la manière dont communiquer et interagir avec un masque respiratoire modifie les techniques du corps et affecte la sociabilité et les relations sociales, en les facilitant, les modifiant ou les entravant, dans divers environnements, qu’ils soient privés, publics ou professionnels. En quoi porter un masque de protection respiratoire influe-t-il sur les dynamiques sociales et sur les liens entre les individus à l’école, au travail ou dans les moyens de transport ? Les auteur·e·s sont également encouragé·e·s à examiner le rôle que l’expérience du port du masque respiratoire joue dans les relations sociales de certaines catégories de la population, telles que les enfants, les adolescents, les personnes âgées. D’un point de vue professionnel, il est également intéressant de questionner la manière dont le port du masque impacte (ou non) la relation aux collègues, aux client·e·s ; cette question se pose particulièrement lorsqu’il s’agit de la relation aux patient·e·s dans le domaine de la santé. Nous encourageons des contributions qui interrogent la façon dont les rapports sociaux (de sexe, d’âge, de classe ou de racisation, etc.) sont transformés par la présence et/ ou le port du masque.
Calendrier prévisionnel
Nous invitons les auteur·e·s à soumettre avant le 31 mai 2024 leur proposition d’article sous la forme d’un résumé de 4 000 signes maximum. La proposition devra mentionner l’axe dans lequel l’article s’inscrit, le titre, le cadre théorique, les matériaux empiriques, terrains, sources et méthodologie. Le résumé doit comporter également une bibliographie de référence (en dehors des 4000 signes).
Les propositions sont à envoyer conjointement à l’adresse de la revue, rss@misha.fr ainsi qu’aux trois coordinatrices du dossier :
Laure Bolka Tabary : laure.bolka-tabary@univ-lille.fr
Simona De Iulio : simona.de-iulio@univ-lille.fr
Aurelia Lamy : aurelia.lamy@univ-lille.fr
Si la proposition est acceptée, l’article original (40 000 signes maximum) doit être remis avant le 15 octobre 2024
Le numéro paraîtra au 2ème semestre 2025
Les auteurs et les autrices sont prié·e·s de se conformer aux normes éditoriales de la revue qui peuvent être consultées en ligne
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Tous les articles seront soumis à une expertise à double aveugle.
Références bibliographiques
Bosqué C. (2021), « Design viral, le plan C. Les makers face au Covid », Revue Design Arts
Medias, & https://journal.dampress.org/issues/design-du-peu-pratiques-ordinaires/design-viral-le-plan-c-les-makers-face-au-covid>
Canu R. (2022), Histoire du masque sanitaire moderne (1850-1950) in Cochoy F., Gaglio G.,
Daniau A, Le masque sanitaire sous toutes ses coutures, Paris, Armand Colin, p. 29-50.
Daniau A., Mallard A. (2023), « Le masque sanitaire fait-il barrière au petit commerce ? Les
formes du travail relationnel durant la crise pandémique », Métropoles, 33
http://journals.openedition.org/metropoles/10201
Chagnon P., Gibout C., Lebreton F. (2023), « Acceptabilité et symbolique du port du masque : contraste selon les contextes sociaux et culturels », Journée d’étude Le masque sanitaire à l’époque du covid-19 : regards croisés en sciences humaines et sociales, Lilliad
(Learning Center Innovation), Université de Lille, GERiiCO, Villeneuve d’Ascq, France. Cochoy F., Gaglio G., Daniau A. (2022), Le masque sanitaire sous toutes ses coutures, Paris, Armand Colin.
Fiorentino G., Terracciano B. (2022), La mascherina è il messaggio. Le relazioni sociali al tempo del COVID-19, Milan, FrancoAngeli.
Lardellier P. (2022), S’aimer à l’ère des masques et des écrans, La Tour d’Aigues, Editions de l’aube.
Lebreton F., Héas S., Gibout C. (2022), « Introduction : (en)jeux corporels et sociotechniques du masque barrière à usage sportif », CORPS : Revue Interdisciplinaire, p. 203-206.
Lupton D., Clark M., Southterton C., Watson A. (2021), The Face Mask in COVID Times, A Sociomaterial Analysis, Berlin, De Gruyter.
Schlich T, Strasser B. J. (2022), « Making the medical mask: surgery, bacteriology, and the control of infection (1870s–1920s) », Medical History, 66, 2, p. 116-134.
Strasser B. J., Schlich T. (2020), « A History of the Medical Mask and the Rise of Throwaway Culture », The Lancet, https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)31207-1>
Trigeaud S.-H. (2021), « Du quilt aux « masques COVID » : l’exercice d’application desnormes AFNOR relève-t-il du bricolage de fortune ou du geste de participation civile ? »,
Anthropologica, 63, 1, p. 1-29, & https://doi.org/10.18357/anthropologica6312021354