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Entre sciences de l’information et de la communication et sciences cognitives : les bases d’un dialogue possible

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La relation entre information et construction de connaissances est au cœur d’un dialogue possible entre différents champs scientifiques, particulièrement autour de la réflexion sur l’éducation à l’information et la culture informationnelle dans différents contextes, y compris celui du travail. Les sciences cognitives, en tant que champ scientifique qui s’intéresse aux processus mentaux et à leur incidence sur le comportement humain, et les sciences de l’information et de la communication, qui s’intéressent aux caractéristiques de l’information elle-même et aux mécanismes sociaux de genèse, de circulation et de transformation de l’information, ont beaucoup à gagner d’un tel dialogue.

La genèse des sciences de l’information et de la communication (SIC) en tant que discipline académique en France les situe dans la transdisciplinarité, aussi bien du point de vue de leurs objets que de leurs méthodes. Elle les inscrit également au cœur des problématiques socio-politiques, des questions vives et controversées, dans une perspective critique. Depuis les années 2000, avec le développement de la communication numérisée, industrialisée et algorithmisée dans le déploiement des plateformes de réseaux socionumériques, puis automatisée dans les extensions de l’intelligence artificielle, la problématique du lien entre information et apprentissage est devenue centrale, comme l’attestent les travaux précurseurs de Rieh (2002), Eveland et Dunwoody (2000, 2001), ainsi que la tenue dès 1995, en France, des Journées d’Étude sur le Traitement Cognitif des Systèmes d’Information Complexes (Bétrancourt & Rebetez, 2004). Cette centralité se situe d’abord au niveau des processus cognitifs impliqués dans le traitement de l’information, mais elle concerne également des processus politiques, sociaux, et organisationnels. À cet échelon, la question du désordre informationnel (Wardle & Derakhshan, 2017) émerge aujourd’hui comme une thématique majeure de recherche interdisciplinaire, pouvant constituer un espace de dialogue entre SIC et sciences cognitives. Cette question est aussi ancienne que l’humanité, mais elle prend des reliefs nouveaux avec la puissance des outils disponibles et l’émergence de thèmes comme celui de la guerre cognitive (Claverie & Prébaut, 2024) et de l’intelligence artificielle.

Au niveau des systèmes politiques internationaux, nationaux et régionaux, ce sont les perspectives de manipulation de l’information et d’influence dans et par les mass médias traditionnels, soumis à un contrôle juridique certain, et dans les médias socionumériques, plus difficiles à contrôler, qui peuvent inquiéter vis-à-vis de l’opinion publique et de l’électorat. Au niveau social, l’ampleur de la diffusion de fausses nouvelles et surtout l’extension des théories complotistes, particulièrement saillante depuis la pandémie de Covid 19, sont une source d’inquiétude majeure, qui font l’objet de recherches et de discours sur l’esprit critique et l’éducation aux médias et à l’information. Dans les organisations, les problématiques de gestion des connaissances et d’optimisation du traitement de l’information ne peuvent se limiter à la construction de systèmes techniques d’information mais intègrent aussi nécessairement la dimension cognitive des usages dans les dispositifs et les processus de prise de décision. Pour la cognitique, c’est à travers la démarche d’ingénierie que les disciplines dialoguent avec l’informatique pour aborder le traitement des connaissances dans des contextes divers, plus particulièrement dans celui de l’entreprise et du travail. Au niveau cognitif enfin, la question du passage des données aux informations puis aux connaissances fait l’objet d’une réflexion renouvelée, par exemple sur l’effet des écrans sur les capacités cognitives et le comportement des enfants (Cordier & Ehrel, 2023). La question des pratiques informationnelles dépasse celle de l’accès à l’information pour se concentrer sur celle de son évaluation, notamment autour de l’autorité cognitive et des critères de qualité de l’information (Cordier & Sahut, 2023 ; Macedo-Rouet, 2022). La multiplicité de sources disponibles sur internet entraîne le besoin de faire le tri des informations, tout en faisant porter le poids de l’évaluation sur l’utilisateur, ce qui ne va pas de soi pour tous les individus (Lehmans et al., 2018 ; Serres, 2012). À tous ces échelons de l’écosystème informationnel, c’est bien la relation entre information et construction de connaissances qui est en jeu.

Cette relation est au cœur d’un dialogue possible entre différents champs scientifiques, particulièrement autour de la réflexion sur l’éducation à l’information et la culture informationnelle dans différents contextes, y compris celui du travail. Les sciences cognitives, en tant que champ scientifique qui s’intéresse aux processus mentaux et à leur incidence sur le comportement humain, et les sciences de l’information et de la communication, qui s’intéressent aux caractéristiques de l’information elle-même et aux mécanismes sociaux de genèse, de circulation et de transformation de l’information, ont beaucoup à gagner d’un tel dialogue. Plusieurs questions se posent autour des modalités possibles d’articulation entre les champs.

– Une question de positionnement épistémologique et méthodologique.

Les sciences cognitives, qui incluent la psychologie cognitive, les neurosciences, la linguistique, l’informatique, la philosophie, l’anthropologie, s’intéressent, entre autres, aux mécanismes physiologiques de la cognition tels qu’ils sont observables avec des techniques comme l’imagerie cérébrale ou l’oculométrie, ce qui n’exclut pas la prise en compte de l’environnement dans la compréhension de ces mécanismes. Leurs méthodes sont principalement quantitatives et expérimentales, et l’« éducation basée sur des preuves » (evidence based education) constitue une notion centrale dans les recherches actuelles sur les méthodes d’enseignement et d’apprentissage (Dunlosky & Rawson, 2019). Dans quelle mesure ces méthodes sont-elles susceptibles d’éclairer les questions d’une discipline qui travaille essentiellement à l’échelle des relations sociales et s’appuie largement sur des méthodes qualitatives issues des sciences humaines et sociales ? Inversement, les SIC intéressent-elles les sciences cognitives du point de vue des problématiques qu’elles soulèvent, de leurs objets ou de leurs méthodes ?

– Une question de stratégie scientifique.

Comment articuler différentes hypothèses sur les représentations, la perception et l’interprétation des informations, les comportements individuels et sociaux, les pratiques informationnelles, proposées par les sciences cognitives et les SIC ?  Une place pour le dialogue constructif est-elle possible ? L’émergence d’objets-frontières semble rendre non seulement possible, mais indispensable ce dialogue, par exemple autour des technologies d’information et de communication, du « numérique » qui mobilisent des objets communs comme l’attention, la perception, les représentations, le langage, la mémoire, en associant dans la question de la culture le penser et le communiquer à travers des documents et des médias.

– Une question de stratégie pour l’éducation et la formation.

L’éducation constitue évidemment un terrain de réflexion majeur sur le lien entre sciences cognitives et SIC. Les neurosciences ont acquis un regain certain de visibilité dans les institutions éducatives, par exemple au Conseil Scientifique de l’Éducation Nationale, présidé par Stanislas Dehaene (spécialiste de neuropsychologie) et créé en 2018 par le ministre J.-M. Blanquer. Cette visibilité est critiquée par certains auteurs dans le champ de l’éducation (Champy, 2019) et donne lieu à des dérives (Ramus, 2018). Les discours institutionnels sur l’esprit critique, à l’instar du rapport « EDUQUER À L’ESPRIT CRITIQUE : LE RAPPORT DU CSEN » publié en 2021 sous la direction d’Elena Pasquinelli (philosophe des sciences) et Gérald Bronner (sociologue), ont provoqué une réflexion « critique de l’esprit critique » chez des chercheurs en sciences de l’information et de la communication (SFSIC, 2023) qui interrogent la démarche scientifique voire idéologique enjoignant les éducateurs à ne travailler que sur les biais cognitifs et la dénonciation des « fake news » dans l’éducation aux médias et à l’information. Le dialogue entre disciplines est soutenu par des auteurs comme G. Borst (2023), F. Amadieu et A. Tricot (2014). La question de l’évaluation de l’information, en particulier, fondamentale pour les SIC, peut être abordée de manière dialogique en considérant les processus de perception, de mémorisation, de régulation, ou les émotions, y compris dans les modélisations centrées sur les comportements informationnels (Sahut, 2023). L’éducation formelle constitue naturellement un terrain privilégié pour l’apprentissage, mais pas exclusif. Dans le domaine du travail, les problématiques de formation et de traitement de l’information, par exemple dans le contexte de l’ « industrie 4.0 », par exemple, sont également en jeu.

La relation entre sciences cognitives et SIC semble particulièrement fructueuse à repenser, comme y invitait D. Wolton (2013), en appelant à l’interdisciplinarité dans un « manifeste de l’indiscipline », sans oublier de poser la question de l’instrumentalisation des approches scientifiques entre elles et par le politique. T. Saracevic, dès les années 1995, défendait la nature interdisciplinaire des sciences de l’information, en y incluant les sciences cognitives. C’est à cette réflexion et de dialogue qu’invite cet appel, en direction des chercheurs des sciences cognitives et des sciences de l’information et de la communication.

Bibliographie

Amadieu, F. & Tricot, A. (2020). Apprendre avec le numérique. Retz.

Bétrancourt, M. & Rebetez, C. (2004). 10e Journée d’Étude sur le Traitement Cognitif des Systèmes d’Information Complexes. Technologies de la Formation et de l’Apprentissage. https://tecfa.unige.ch/tecfa/jetcsic2004/

Borst, G. (2023). La Neuroéducation – LaPsyDÉ (UMR CNRS 8240). L’Année psychologique, 123, 387-392.

Champy, P. (2019). Vers une nouvelle guerre scolaire : quand les technocrates et les neuroscientifiques mettent la main sur l’Éducation nationale. La Découverte.

Claverie, B. & Prébot, B. (2024). La guerre cognitive de bas niveau : la guerre des cerveaux. Ingénierie cognitique7(1), 67-75.

Cordier, A. & Sahut, G. (2023). Les pratiques informationnelles : dynamiques conceptuelles, questionnements méthodologiques, Études de communication, 61, 9-18.

Cordier, A. & Ehrel, S. (Dir.) (2023) Les enfants et les écrans. Paris : Retz.

Dunlosky, J. & Rawson, K. A. (Eds.). (2019). The Cambridge handbook of cognition and education. Cambridge University Press.

Eveland Jr, W. P. & Dunwoody, S. (2001). User control and structural isomorphism or disorientation and cognitive load? Learning from the Web versus print. Communication research, 28(1), 48-78.

Eveland Jr, W. P. & Dunwoody, S. (2000). Examining information processing on the World Wide Web using think aloud protocols. Media Psychology, 2(3), 219-244.

Lehmans, A., Liquète, V. & Limberg, L. (2018). Les politiques d’éducation à l’information, aux médias et au numérique dans le monde – Introduction. Éducation comparée, 19, 11-18.

Macedo-Rouet, M. (2022). Savoir chercher. Pour une éducation à l’évaluation de l’information. C&F Editions.

Rieh, S. Y. (2002). Judgment of information quality and cognitive authority in the Web. Journal of the American society for information science and technology, 53(2), 145-161.

Pasquinelli, E. & Bronner, G. (2021). Éduquer à l’esprit critique. Bases théoriques et indications pratiques pour l’enseignement et la formation, rapport du Conseil scientifique de l’Éducation nationale, Paris, ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports.

Ramus, F. (2018). Neuroéducation et neuropsychanalyse : du neuroenchantement aux neurofoutaises. Intellectica, 69(1), 289-301.

Sahut, G. (2023). Information Behavior, Information Practice, Information Experience : trois conceptualisations de la relation des humains à l’information. Études de communication, 19-36.

Saracevic, T. (1999). Information science. JASIST, 50(12), 1051-1063.

Serres, A. (2012). Dans le labyrinthe. Évaluer l’information sur internet. C&F Éditions.

SFSIC (2023). Repenser l’éducation à l’esprit critique depuis les SIC. Table ronde animée par Bosler, S. & Seurrat, A. Congrès de la SFSIC à Bordeaux.

Wardle, C. & Derakhshan, H. (2017). Information disorder: Toward an interdisciplinary framework for research and policymaking (Vol. 27, pp. 1-107). Strasbourg: Council of Europe.

Wolton, D. (2013). Conclusion. Pour un manifeste de l’indiscipline. Hermès, La Revue, 67, 210-222.

Réponse à l’appel

Coordinateurs du numéro

  • Lehmans Anne, Professeur des universités, INSPÉ, IMS UMR5218 CNRS, University of Bordeaux, Bordeaux
  • Macedo Monica, Professeur des universités, INSPÉ, Paragraphe, CY Cergy Paris University, Cergy-Pontoise

Calendrier du numéro

  • Soumission des résumés : 08/09/2024
  • Retour aux auteurs : 10/11/2024
  • Envoi des articles complets : 02/03/2025
  • Retour des évaluateurs : 06/04/2025
  • Envoi des articles finaux : 05/05/2025
  • Publication envisagée : 20/06/2025

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