Les Cahiers du Journalisme et de l’Information lancent un appel à contributions sur le thème “Information et innovation en périodes électorales”.
Présentation
Ce dossier a pour objectif de s‘intéresser au traitement journalistique de l’actualité politique et aux pratiques informationnelles en période électorale. De manière spécifique, il invite à explorer les formes et pratiques informationnelles présentées comme innovantes, que celles-ci prennent appui sur des dispositifs numériques ou non. Il cherche à réunir des travaux qui interrogent la façon dont les périodes électorales contribuent à faire émerger, à accélérer, à amplifier ou à confirmer des évolutions ou des transformations dans le traitement de l’actualité politique et les manières de s’informer sur les élections.
Les objets d’étude sur lesquels porte ce dossier se caractérisent par trois aspects :
- ils concernent la production ou la consommation d’information politique ;
- ils prennent place en contexte électoral ou ont pour objet des élections ;
- ils ambitionnent de proposer une nouvelle façon d’aborder l’information politique et/ou le journalisme.
Il s’agit donc d’explorer les dispositifs informationnels proposés pour traiter l’actualité électorale (les programmes, les candidats et candidates, les campagnes, les débats ou encore les résultats des élections) ainsi que la manière dont les publics investissent et se saisissent de ces dispositifs. Les travaux portant sur tous types d’élection, à venir ou passées, au niveau national ou local (présidentielle, législative, fédérale, régionale, municipale) sont les bienvenus, que ce soit en France ou à l’étranger.
La question du rôle des médias lors des élections et des campagnes électorales a longtemps été au centre des attentions, et plus particulièrement la télévision (Coulomb-Gully, 2001a ; Mercier, 2004 ; Le Bohec, 2013). Celle-ci a pris une place centrale dans la médiatisation de la politique depuis les années 1980, notamment avec l’arrivée des émissions politiques en première partie de soirée qui constituait, à l’époque, « l’innovation majeure du dispositif télévisuel » (Delporte, 2012) tandis que la montée de l’infodivertissement (Neveu, 2001 ; Bastien, 2013) et les émissions satiriques ont transformé la manière de traiter l’actualité politique (Collovald, 1992 ; Coulomb-Gully, 2001b ; Derville, 2001). Une partie des travaux menés s’inscrit dans la lignée des réflexions, souvent critiques, quant à la supposée influence des médias sur l’opinion (Derville, 1997/2017 ; Neveu, 2017), tandis que d’autres cherchent davantage à interroger la façon dont l’activité médiatique transforme le champ politique (Théviot, 2019 ; Desrumaux et Nollet, 2021 ; Lalancette et Bastien, 2024). Ce dossier, quant à lui, souhaite focaliser l’attention sur la manière dont les journalistes et les rédactions s’organisent et s’adaptent pour couvrir et traiter les élections (Brin, 2000).
Dans quelle mesure la couverture de cette période spécifique de la vie politique que sont les élections (Greffet, 2023) constitue-elle une période propice à l’innovation pour le traitement de l’information politique ? Les périodes électorales accroissent-elles la concurrence entre les rédactions favorisant une logique « d’innovation contagieuse » (Storsul et Krumsvik, 2013a) ? Ces périodes représentent-elles une opportunité pour les journalistes et les médias de s’essayer à de nouvelles manières de traiter la politique ? Dans quelles mesures obligent-elles les journalistes à transformer leurs pratiques ?
En Europe, les travaux qui interrogent les dynamiques d’innovation à l’œuvre dans les médias se sont développés depuis plus d’une décennie désormais (Storsul et Krumsvik, 2013b). Il faut tout d’abord noter que, les chercheur∙es qui ont travaillé sur le sujet soulignent l’absence d’une définition claire et partagée de la notion d’innovation dans les médias (Hermida et Young, 2021). Ce sujet renvoie donc à un ensemble hétérogène d’objets d’études, que ce soit sur le plan éditorial, technique, économique et même social (Bruns, 2014).
La question de l’innovation s’est ainsi notamment posée concernant l’usage par les journalistes de la « panoplie technique » offerte par les réseaux socionumériques (Jeanne-Perrier et al, 2015), en particulier dans des logiques de socialisation professionnelle (Chacon, Giasson et Brin, 2015 ; 2018). La question concerne également les tentatives d’hybridation médiatique afin d’expérimenter des formats éditoriaux nouveaux comme, par exemple, le webdocumentaire (Salles et Schmitt, 2017). Elle permet aussi d’interroger l’émergence de nouveaux médias, notamment les médias en ligne qui se sont développés en France dans les dernières décennies (Dagiral et Parasie, 2010 ; Salles, 2019). Par ailleurs, depuis plusieurs années, se développent des discours et des politiques d’incitation à l’innovation dans les médias, dont se saisissent plus ou moins les entreprises du secteur (Ouakrat, Petters et Pacouret, 2022).
Dans ce contexte, il semble légitime de chercher à appréhender dans quelle mesure la couverture des élections est particulièrement propice à l’innovation de la part des médias. A cette occasion, certains s’essaient en effet à de nouveaux formats ou à des modalités d’organisation et de production de l’information inédites (Brin, 2000), y compris en s’alliant à des acteurs dans et en dehors du champ du journalisme professionnel (Nicey et Bigot, 2019). A titre d’exemples, on peut notamment penser à la cartographie de la blogosphère politique proposée à l’approche de l’élection présidentielle française de 2012 sur le site web du Monde.fr en partenariat avec la société spécialisée en cartographie de sites web Linkfluence, ou à la création du newsgame d’information politique « Primaires à gauche » par le Monde Interactif en partenariat avec une entreprise spécialisée dans la production de serious game à l’occasion des premières primaires ouvertes socialistes en 2011 (Blanchard et al., 2011). On pense aussi à France Info, qui a profité de la dernière élection présidentielle pour expérimenter un nouveau format inspiré du jeu de rôle sur la plateforme Twitch (Eutrope, 2022). Les médias locaux s’inscrivent aussi dans cette dynamique, qu’il s’agisse de la presse quotidienne régionale, comme l’illustre l’initiative lancée par La Voix du Nord pour l’élection présidentielle française de 2022 avec son « comité éditorial jeunes », ou d’éditeurs de presse en ligne tel que Médiacités avec sa « plateforme participative de vérification » Véracités lancée en 2020 à l’occasion des élections municipales françaises (Rodier, 2019). A l’étranger, on peut penser par exemple à l’usage de la datavisualisation lors des élections américaines de 2016 (Alieva, 2023). Les nouveaux formats lancés à l’occasion des élections ne sont néanmoins pas l’apanage des médias en ligne. TF1 a par exemple lancé un nouveau format de « docu-feuilleton » lors de l’élection présidentielle 2022 (Lacarrière, 2022).
Dans certains cas, ces dispositifs restent au stade de l’expérimentation et sont éphémères. Dans d’autres, ils perdurent au-delà de la temporalité de l’élection pour laquelle ils ont été mis en œuvre, à l’instar du « Décodex », le dispositif de fact checking déployé par Le Monde lors de l’élection présidentielle de 2017 (Joux et Sebbah, 2020). Ainsi, depuis le début des années 2000, clavardages, blogues, quiz, live, applications mobiles… font partie des expérimentations proposées en ligne par les médias dans le cadre de la couverture des campagnes et des résultats des élections (Singer, 2015). Si un certain nombre de ces expérimentations ont fait l’objet de travaux scientifiques, parfois sous la forme de monographie (Pignard-Cheynel, 2007 ; Useille et al., 2017), ce dossier thématique des Cahiers du journalisme et de l’information se veut une occasion de dresser un panorama actualisé – une cartographie certes provisoire tant le journalisme est une activité en perpétuelle invention (Ringoot et Utard, 2005) – d’initiatives en matière d’innovations journalistiques initiées en période électorale.
Ces initiatives permettent-elles aux journalistes et aux médias « traditionnels » de renouveler l’écriture de l’information électorale et de s’adapter aux nouvelles pratiques et formats de la communication électorale (Maarek, 2009, 2013, 2016 ; Gadras, 2016 ; Maarek et Mercier, 2018 ; Greffet et Giasson, 2018 ; Greffet et Neihouser, 2022 ; Mercier, 2022) ainsi qu’à l’accélération du temps qui les accompagne (Delporte, 2012) et à laquelle ils sont confrontés de manière exacerbée ? Sont-elles, pour les médias, l’occasion de redonner aux « enjeux » politiques une place prépondérante dans la couverture des élections ou s’inscrivent-elles dans la tendance de la médiatisation des campagnes électorales dominée par le « jeu politique (la compétition entre professionnels, les petites phrases, les stratégies de marquage et de démarquage, etc.) » (Legavre, 2011) comme constatée depuis les premières études menées sur l’information électorale (Gerstlé et al., 1992) ? Dans quelle mesure permettent-elles d’imprégner durablement les pratiques journalistiques et le mode d’organisation des rédactions ? Ces évolutions contribuent-elles à diversifier les formes éditoriales ou, au contraire, amplifient-elles « l’homogénéisation » (Nygren, 2014, p.95) des pratiques professionnelles ?
Au-delà des pratiques journalistiques, l’entrée par l’innovation invite à une approche globale des « agents de l’innovation des médias » (Westlund et Lewis, 2014), à savoir l’ensemble des acteurs des médias qui interviennent dans le processus d’innovation, mais aussi les intermédiaires technologiques et les publics de l’information. Dans cette perspective ce dossier invite aussi à décentrer le regard pour prendre en considération les formes éditoriales et les initiatives menées en dehors du champ professionnel du journalisme, ou à sa marge. En effet, si le travail journalistique en tant que tel est au cœur du dossier, il se veut également une opportunité d’accueillir des contributions qui s’intéressent à d’autres producteurs d’information qui, même s’ils ne font pas partie du champ du « journalisme conventionnel » (Brin, 2019), méritent qu’on s’y intéresse dans un contexte marqué par la défiance des citoyens et des citoyennes à l’égard des journalistes et des médias « conventionnels ». Il s’agit donc aussi de se pencher sur ces nouveaux acteurs qui investissent notamment les plateformes telles que YouTube, ou plus récemment Twitch, en proposant de renouveler les manières d’aborder et d’écrire l’information politique (Gadras, 2022 ; 2023), sans toujours se revendiquer comme journaliste ou être intégré dans un média. Qui sont ces nouveaux entrants ? Quelle est leur trajectoire ? En quoi ce qu’ils proposent leur permet-il de se distinguer du traitement journalistique de l’actualité électorale ? Ainsi, dans un contexte marqué à la fois par l’évitement des informations politiques (Newman et al., 2023) et une « crise de confiance généralisée vis-à-vis des « sachants » (Mercier, 2018), il apparaît important d’examiner non seulement ce que proposent les professionnels du journalisme, mais aussi ce que celles et ceux qui ambitionnent et se présentent comme une alternative à ce qu’offrent les médias « conventionnels » en matière d’information électorale.
Enfin, l’un des autres enjeux de ce dossier consiste à essayer de mieux connaître les pratiques informationnelles des citoyens et citoyennes en période électorale et les publics de ces formats dits « innovants » : permettent-ils d’attirer de nouveaux publics et de renouveler l’intérêt pour les élections et plus largement la politique ?
Alors que les effets politiques des médias sur les élections ont fait l’objet de très nombreuses recherches, les pratiques informationnelles des citoyens et citoyennes en matière politique ont été beaucoup moins étudiées. Parmi les recherches sur les « pratiques informationnelles » (Cordier et Sahut, 2023), celles qui se penchent plus spécifiquement sur l’information d’actualité ne se focalisent que peu sur l’information politique, encore moins en période électorale (Brin, 2019). Elles s’intéressent plus globalement à l’évolution des modes de consommation et de partage de l’information de certains types de médias (Croissant, 2022 ; Tredan et Gestin, 2023) ou catégories de publics (Boyadjian, 2022 ; Chibois et al., 2023).
L’étude Médiapolis (conjointement menée par le CEVIPOF et le CARISM, 2009) qui s’intéressait aux pratiques d’information et qui ambitionnait de « mesurer les impacts du développement de l’Internet sur les manières de s’informer dans le domaine politique » (Le Hay et al., 2011) fait figure d’exception. On peut également signaler le dispositif expérimental mis en œuvre par Isabelle Veyrat-Masson (2011 ; 2012) dans le but d’appréhender la manière dont les individus se sont informés durant la campagne présidentielle française de 2007. Ainsi, en France, à la différence des Etats-Unis (Pew Research 2008 cité par Singer, 2015), le rôle prédominant de la télévision pour s’informer sur l’actualité politique demeure en période de campagne électorale (Boyadjian et Théviot, 2019) et ce même si depuis 2010 et surtout le développement de l’usage du téléphone intelligent Internet occupe une place croissante parmi les sources d’information politique. Les rares études qui se sont penchées sur le profil des publics qui privilégient Internet pour s’informer sur l’actualité politique ont pu montrer à quel point il se révélait « atypique par comparaison avec celui de la population en âge de voter » (Vedel, 2008) : masculin, très jeune, disposant d’un capital culturel relativement élevé et d’un fort intérêt pour la politique. La télévision continue à être le moyen d’information principal de celles et ceux qui consomment le moins de contenus médiatiques et se révèlent le plus souvent les moins intéressés par la politique (Comby, 2013). Il apparaît donc important de chercher à savoir et à mieux connaître les pratiques informationnelles dans le contexte des élections au regard de la diversité à la fois des dispositifs informationnels proposés et des acteurs dont ils émanent. Quelles sont les sources d’information privilégiées ? Les « sources instituées, sinon institutionnelles » (Vedel, 2008) sont-elles encore privilégiées ou sont-elles supplantées par d’autres acteurs, et si oui lesquels ?
Propositions
Sont attendus des articles appuyés sur des postures scientifiques clairement présentées et une dimension empirique forte, nourrie par des enquêtes de terrain rigoureuses et documentées.
Les auteurs et autrices doivent faire parvenir une proposition au format PDF (4000 signes espaces compris, hors références bibliographiques) avant le 3 juillet 2024, aux deux adresses suivantes : gersende.blanchard@univ-lille.fr et simon.gadras@univ-lyon2.fr
Si la proposition est acceptée, l’article complet (entre 25 000 et 50 000 signes) rédigé en français devra être adressée aux formats Word (.doc ou .docx) avant la date indiquée sur le calendrier (ci-dessous). L’article devra être précédé de résumés en français et en anglais (600 à 900 signes espaces compris soit environ 80 à 130 mots).
Les auteurs et autrices sont à invités à respecter attentivement les normes typographiques de la revue (disponibles à http://cahiersdujournalisme.org/assets/FicheNormes.pdf) ainsi que ses règles spécifiques de citation des ressources en ligne (http://cahiersdujournalisme.org/assets/FicheCitaElec.pdf).
Calendrier
Début juin 2024 : diffusion de l’appel à articles
30 septembre 2024 : date limite réception des propositions
25 octobre 2024 : retour aux contributeurs et contributrices sur les propositions acceptées
31 janvier 2025 : réception des articles
Fin mars 2025 : fin d’évaluation des articles et envoi aux auteurs et autrices pour corrections
Juin 2025 : retour des articles définitifs par les auteurs et autrices