La revue « Genre en Série » lance un appel à contribution pour son numéro 18 sur le thème « Jouer et déjouer le masculin et le féminin : Acteur·rices et fabrique du genre ». Le dossier est coordonné par Fanny Beuré et Alexandre Moussa.
Présentation
Dans son célèbre ouvrage Trouble dans le genre, Judith Butler prenait ses distances avec le féminisme essentialiste en faisant l’hypothèse de la nature performative du genre, qu’elle décrivait comme la « répétition stylisée d’actes » simulant l’existence préalable d’une essence (Butler, 1990). Cette répétition garantit habituellement la cohérence et la stabilité du genre ; mais dans les discontinuités générées par la réitération imparfaite de ces actes naîtrait la possibilité de sa subversion critique. En témoigne par exemple son analyse des performances drag des protagonistes de Paris is Burning (Jennie Livingston, 1990) dans son ouvrage suivant, Ces corps qui comptent, qui montre que ces dernières procèdent à la fois d’une forme de subversion et de réaffirmation des normes dominantes de genre, de race et de classe (Butler, 1993).
Une telle perspective semble précieuse pour renouveler la recherche sur les figures de l’acteur·ice de cinéma, de télévision et de théâtre et, plus généralement, de l’artiste performer. En France, les chercheur·euses en cinéma et audiovisuel travaillant dans une optique gender ont de manière privilégiée envisagé acteurs et actrices à travers la figure de la star, en interrogeant les significations de sa persona dans un contexte socio-culturel spécifique (Gauteur et Vincendeau, 1993 ; Le Gras, 2010 ; Sandeau, 2022). Ce numéro propose de déplacer ce questionnement vers l’acteur·ice comme interprète et comme collaborateur·ice de création afin de mettre au jour sa contribution à la fabrique ou à la déconstruction du genre. Cette exploration pourra autant s’appuyer sur des analyses formelles d’œuvres spécifiques que sur l’investigation de leur processus de production et de réception. Dans une perspective transdisciplinaire, les contributions seront susceptibles de porter sur des objets divers et de mobiliser des approches variées :
Études actorales et analyse du jeu
L’analyse de la performance actorale pourra être mobilisée comme outil critique permettant de mettre au jour la nature performative du genre dans des performances en apparence cohérentes de masculinité (Vincent Cassel, Niels Arestrup, Jeff Bridges) ou de féminité (Fanny Ardant, Leonor Silveira, Julianne Moore) hégémoniques en distinguant les « actes » qui les constituent : gestes, maniérismes vocaux, etc. On pourra également s’intéresser à des performances de genre en apparence moins normées (Vincent Lacoste, Denis Podalydès, Olivia Colman, Anjelica Huston, Barbra Streisand) ou qui interrogent les points de jonction entre genre et classe sociale (Émilie Dequenne, Tom Courtenay), âge (Charlotte Rampling, Sônia Braga, Jean-Paul Roussillon), ethnicité (Sandra Oh, Alex Descas), sexualité (Adèle Haenel, Rupert Everett), etc. Il sera également possible de proposer des analyses d’interprétations actorales qui, de par leur nature ostentatoirement artificielle (Lesley Ann Warren dans Victor Victoria, Delphine Seyrig dans Les Lèvres rouges, Dwayne Johnson et Zac Efron dans Baywatch) ou leur exploration d’espaces liminaires entre masculin et féminin (Tilda Swinton, Nicolas Maury, Tim Curry), remettent en cause la bipartition des genres.
Approches génétiques et analyse des processus de production
D’autres contributions seront susceptibles de mettre en évidence comment des décisions créatives prises par et autour de l’acteur·ice participent à produire les images genrées à l’écran. Les propositions pourront par exemple retracer les transformations imposées aux stars, féminines comme masculines, dans le cinéma classique ou contemporain. Il sera également possible de réaliser des entretiens avec des comédien·nes pour comprendre par quels choix conscients ou non d’interprétation iels peuvent résister à des emplois stéréotypés – comme le fait Susan Kobloch dans son article « Helen Shaver: Resistance through Artistry » (Krämer & Lovell, 1999).
Études de réception
Ces propositions étudieront la manière dont les publics s’approprient ces performances, les reproduisent, les reconduisent ou les déstabilisent. Les pratiques performatives de fans susceptibles d’être analysées sont tout aussi bien celles qui prennent la forme spectaculaire du cosplay (Winge, 2018) ou celles qui s’inscrivent dans le quotidien et passent par les manières de s’habiller ou de se comporter, comme c’est le cas de certaines des spectatrices britanniques analysées par Jackie Stacey dans son étude pionnière, Star Gazing : Hollywood Cinema and female spectatorship (Stacey, 1994).
Modalités de soumission des propositions d’articles
Les articles soumis ne doivent pas avoir fait l’objet de publication dans une autre revue, un ouvrage ou des actes de colloque. Les propositions veilleront à expliciter et justifier l’approche disciplinaire et/ou méthodologique.
Rédigées en français ou en anglais, les propositions seront composées d’un argumentaire d’une longueur de 500 mots minimum (800 maximum), d’une courte notice biographique et d’une bibliographie indicative. Elles sont à envoyer avant le 1er octobre 2023 à fanny.beure@univ- lorraine.fr et alexandre.moussa@sorbonne-nouvelle.fr en mettant la revue en copie (genreenseries@gmail.com).
La date limite est fixée au 1er octobre, mais les coordinateurs du numéro seront susceptibles d’accepter les propositions plus tardives tant qu’elles parviennent avant la fin du mois d’octobre.
Une réponse sera donnée d’ici le 15 décembre 2023. Les articles devront être rendus pour le 30 avril 2024. Ils seront ensuite soumis à une expertise en double aveugle pour une publication prévue au printemps 2025.
Les coordinateurs du numéro
- Fanny Beuré est maîtresse de conférences en études cinématographiques à l’Université de Lorraine. Elle est l’autrice de That’s Entertainment! Musique, danse et représentations dans la comédie musicale hollywoodienne classique (Sorbonne Université Presses, 2019) et a publié de nombreux articles scientifiques sur les séries télévisées musicales et les films musicaux classiques et contemporains. Ses recherches sur le cinéma et la télévision mobilisent à la fois les analyses esthétiques et socioculturelles, en particulier les études culturelles et les études de genre.
- Alexandre Moussa est docteur en études cinématographiques et post-doctorant dans le cadre du projet de recherche européen AGE-C (Ageing and Gender in European Cinema), financé par la Fondation Volkswagen. Membre de l’IRCAV (Université Sorbonne Nouvelle), il est l’auteur d’une thèse intitulée « Je ne suis pas une apparition, je suis une femme » : Delphine Seyrig, icône du cinéma moderne, actrice insoumise, star féministe. Ses travaux se situent à la croisée des star studies, de l’étude du jeu d’acteur et des études de genre.
Bibliographie indicative
Vincent AMIEL et al. (dir.), L’Acteur de cinéma : Approches plurielles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007.
Cynthia BARON et Sharon Marie CARNICKE, Reframing Screen Performance, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2008.
Jeremy G. BUTLER (dir.), Star Texts: Image and Performance in Film and Television, Detroit, Wayne State University Press, 1991.
Judith BUTLER, Trouble dans le genre : Le Féminisme et la Subversion de l’identité, traduit par Cynthia Kraus, Paris, La Découverte, 2005 [1990]
Judith BUTLER, Ces corps qui comptent : De la matérialité et des limites discursives du « sexe », traduit par Charlotte Nordmann, Paris, Éditions Amsterdam, 2018 [1993].
Marguerite CHABROL, Katharine Hepburn : Paradoxes de la comédienne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2019.
Michel CIEUTAT et Christian VIVIANI, Pacino / De Niro : Regards croisés, France, Nouveau Monde, 2006.
Danae CLARK, Negotiating Hollywood: The Cultural Politics of Actors’ Labor, Londres / Minneapolis, University of Minnesota Press, 1995.
Christophe DAMOUR (dir.), Jeu d’acteurs : Corps et Gestes au cinéma, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2016.
Richard DYER, Stars, Londres, British Film Institute, 1979.
Richard DYER, Heavenly Bodies: Film Stars and Society, Londres / New York, Routledge, 2004 [1987].
Claude GAUTEUR et Ginette VINCENDEAU, Jean Gabin : Anatomie d’un mythe, Paris, Nathan, 1993.
Peter KRÄMER et Alan LOVELL (dir.), Screen Acting, Londres / New York, Routledge, 1999.
Gwénaëlle LE GRAS, Le Mythe Deneuve. Une star entre classicisme et modernité, Paris, Nouveau Monde, 2010.
Paul MCDONALD, The Star System: Hollywood’s Production of Popular Identities, Londres / New York, Wallflower, 2005 [2000].
Adrienne L. MCLEAN, Being Rita Hayworth: Labor, Identity, and Hollywood Stardom, New Brunswick, Rutgers University Press, 2004.
Jacqueline NACACHE, L’Acteur de cinéma, Paris, Armand Colin, 2005 [2003].
James NAREMORE, Acteurs : Le jeu de l’acteur au cinéma, traduit par Christian Viviani, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.
Roberta E. PEARSON, Eloquent Gestures: The Transformation of Performance Style in the Griffith Biograph Films, Berkeley / Los Angeles / Oxford, University of California Press, 1992.
Pamela ROBERTSON WOJCIK (dir.), Movie Acting: The Film Reader, New York, Routledge, 2004.
Jules SANDEAU, “The Unsinkable Kate” – Katharine Hepburn et son public, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2022.
Jackie STACEY, Star Gazing: Hollywood Cinema and Female Spectatorship, Londres / New York, Routledge, 1994.
Aaron TAYLOR (dir.), Theorizing Film Acting, New York, Routledge, 2012.
Christian VIVIANI, Le Magique et le Vrai : L’Acteur de cinéma, sujet et objet, Aix-en-Provence, Rouge profond, 2015.
Therèsa M. Winge, Costuming Cosplay: Dressing the Imagination, Londres / New York, Bloomsbury, 2018.
Carole ZUCKER (dir.), Making Visible the Invisible: An Anthology of Original Essays on Film Acting, Metuchen / Londres, Scarecrow Press, 1990.