La revue Balisages, revue de recherche de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib), lance un appel à contributions pour un numéro thématique consacré à la désinformation dans une approche interdisciplinaire et comparatiste. Regroupant des chercheurs de divers horizons, il s’agira de réfléchir de manière diachronique et synchronique à un phénomène très actuel et omniprésent, à ses modalités d’emprise sociale, à ses formes de propagation, à ses supports et outils de communication ainsi qu’aux conditions de son appropriation. Des perspectives historiques et info-communicationnelles sont particulièrement attendues, sans exclusive d’autres approches en sciences sociales et humaines.
Argumentaire
Le 23 novembre dernier, un communiqué émanant directement de son service de presse annonçait que Twitter abandonnait « le règlement spécifique pour lutter contre la diffusion sur le réseau social de fausses informations de santé ». Dernier acte en date dans le rapport tumultueux qu’entretient l’entreprise de San Francisco avec la propagation de l’information, cette décision est alors présentée par le quotidien français Le Monde comme la « fin [de la] politique de lutte contre la désinformation sur le Covid-19 » pour Twitter. Elle s’opère dans un double contexte sensible, celui d’une épidémie mondiale qui perturbe les sociétés dans le monde entier depuis l’hiver 2020 et celui du rachat récent de la firme états-unienne par le magnat Elon Musk, deux phénomènes qui ont vu se multiplier les informations de tous types, de toutes origines, de tous ordres.
Dans une société mondialisée où désormais les nouvelles s’échangent en temps réels des quatre coins du globe, cet épisode illustre parfaitement la prégnance du contrôle de l’information. Il met en effet en lumière les enjeux que recouvre sa diffusion, ainsi que l’importance cruciale désormais de ses formats, ses supports, ses modalités dans des réseaux, réels ou virtuels, où dorénavant la viralité est la norme.
Dans ce cadre, les informations manipulées occupent une place fondamentale, tant par leur champ d’action multimodal et multidimensionnel que leur émergence aux yeux du grand public depuis les années 2010. Propulsé mot de l’année par le dictionnaire Collins en 2017, le terme Fake news est en effet rentré dans le langage courant, propagé par les leaders populistes puis les médias. Symbole et outil de cette communication d’une nouvelle ère, celle de la « post-vérité », la fake news – « nouvelle faussée » en français – a suscité tant l’intérêt des acteurs de la vie politique, économique ou sociale qui y ont trouvé un concept utile à exploiter, soit pour le dénoncer, soit pour en tirer profit que l’intérêt des chercheurs en sciences sociales.
Ces derniers se sont ainsi abondamment penchés sur cette question, avec des angles d’approche très variés, depuis la propagande jusqu’aux théories du complot, en passant par ses effets sur les mouvements sociaux ou l’action déterminante de certains acteurs ou groupes de pression. S’il en ressort une définition plurielle, voire polysémique, de la fake news, tous s’accordent à souligner son caractère opératoire dans les processus de désinformation.
Tout comme le concept de fake news, la désinformation embrasse divers modes et champs d’action. Si l’on en suit les différentes définitions, elle recouvre les multiples techniques utilisées dans l’objectif de sciemment tromper une personne ou un groupe d’individus afin de protéger des intérêts personnels, sectoriels ou collectifs.
À tous ces égards, la désinformation est donc un concept qui mérite, dans une perspective interdisciplinaire et comparatiste, toute l’attention des chercheurs en sciences sociales, afin de prendre de la hauteur face à un phénomène massif et omniprésent et afin de comprendre comment elle nait, circule et frappe.
Ce sont ces enjeux, dans toute leur diversité de formes (mésinformation, infox, avis trompeurs, faux récits…) et la variété des situations (chronologiques, spatiales, sociales…) que la notion de désinformation peut recouvrir, que le numéro spécial de Balisages cherche à interroger. Cette interrogation pourra être menée autour de quatre axes, complémentaires et liés :
Axe 1. La fabrique de la désinformation
L’analyse de la construction des processus de désinformation est une première étape préalable et nécessaire pour en comprendre ses effets. Il s’agit ici de saisir les mécanismes socio-techniques qui participent à son élaboration et à sa diffusion, depuis l’identification de ses acteurs jusqu’aux méthodes et outils employés, aux supports et dispositifs médiatiques de sa dissémination ou aux éléments de ciblage, d’influence et de légitimation permettant de conduire une stratégie efficace.
Axe 2. La grammaire de la désinformation
L’étude et la compréhension des spécificités du contexte culturel qui enchâssent les processus de désinformation sont également des étapes fondamentales pour en mesurer les singularités mais également les différences de formes, d’effets et de modes d’appropriation selon les lieux, les sociétés, les groupes d’individus. L’analyse des discours et des contextes dans lesquels ils se déploient apparaissent ici comme des facteurs clés de compréhension, au même titre que les logiques et dynamiques de réception et d’usage.
Axe 3. La généalogie de la désinformation
Afin de saisir l’épaisseur d’un phénomène aux facettes multiples, l’analyse diachronique et synchronique permet de mettre en regard des moments de désinformation anciens et récents, tout comme elle assure la compréhension d’un même phénomène sur un temps plus ou moins long. La récurrence, la résurgence ou au contraire l’exceptionnalité de la manifestation de la désinformation sont alors des clés de lecture profitables pour comprendre comment elle peut façonner les sociétés qu’elle infiltre ou encore susciter échanges, polémiques et contestations.
Axe 4. Le contrepoison de la désinformation
Une attention toute particulière pourra enfin être portée aux initiatives de formation, de sensibilisation, d’éducation ou de lutte contre la désinformation. Les politiques éducatives, institutionnelles ou professionnelles tout comme les actions individuelles, associatives ou médiatiques proposent des moyens de lutte – sous diverses formes et formats, visant différents publics – contre la désinformation. Des réflexions théoriques ou empiriques portant sur des approches de la littératie informationnelle, médiatique et numérique dans le contexte de la désinformation seront aussi prises en considération. Il sera pertinent d’analyser ces initiatives et de les mesurer afin d’en comprendre les modalités d’action, les effets et les limites.
Les propositions à cet appel à contributions pourront s’inscrire dans l’un ou plusieurs de ces axes. Dans une perspective interdisciplinaire et comparatiste, elles pourront provenir de tous les champs de la recherche en sciences sociales, concerner toutes les périodes, passées ou actuelles, et couvrir tous les espaces géographiques. Les études de cas spécifiques, comme les textes théoriques ou conceptuels sont les bienvenus, ainsi que les travaux à plusieurs mains, regroupant deux ou plusieurs chercheurs de disciplines différentes.
Calendrier
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15 décembre 2022 : diffusion de l’appel à article
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14 mars 2023 : date limite de soumission des propositions d’articles (entre 3000 et 5000 signes espaces compris, hors bibliographie)
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14 avril 2023 : réponse d’acceptation ou de rejet des propositions aux auteur.e.s
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3 juillet 2023 : date limite de réception des articles complets pour évaluation
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25 septembre 2023 : retour des commentaires des évaluations aux auteur.e.s
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10 novembre 2023 : date limite de réception des versions finales
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15 décembre 2023 : parution du numéro
Modalités de soumission et d’évaluation
Les contributions peuvent être soumises au choix en français ou en anglais.
Les propositions de soumission doivent comprendre entre 3000 et 5000 caractères (espaces compris, hors bibliographie) et être anonymisées.
Les articles totaliseront quant à eux entre 30 000 et 40 000 caractères (espaces et bibliographie compris) et être anonymisés.
Les auteurs sont invités à respecter les recommandations aux auteurs concernant la qualité de formalisation scientifique, la mise en forme du texte et la normalisation des références bibliographiques.
Les textes attendus relèveront de manière privilégiée de l’article académique à vocation scientifique (évalué en double aveugle), mais aussi, plus ponctuellement, de l’article de type réflexif susceptible de rendre compte d’une expérience professionnelle (évalué par le comité de rédaction). Les auteurs doivent indiquer à quelle catégorie leur proposition appartient.
Les propositions doivent être envoyées au format de leur choix : doc, odt ou md aux coordinateurs de ce numéro thématique :
- Stéphane Le Bras (stephane.lebras@uca.fr)
- Djibril Diakhate (djibril.diakhate@ucad.edu.sn)
- Susan Kovacs (susan.kovacs@enssib.fr ).
Les articles de recherche feront l’objet de deux évaluations, selon une double procédure d’évaluation anonyme, par un comité de lecture, dont les membres seront sélectionnés en fonction de leur domaine d’expertise, à réception des articles.
Comité de lecture
Ses membres sont chargés de la procédure d’évaluation en double aveugle. Le comité est renouvelé à chaque numéro thématique en fonction du domaine d’expertise sollicité.