La Revue de géographie alpine / Journal of alpine research lance un appel à contribution pour un dossier coordonné par Mikaël Chambru (Labex ITTEM / GRESEC, UGA), Cécilia Claeys (LPED, AMU) et Nathalie Lewis (DSTP, UQAR) : La mise en tourisme de la culture scientifique en montagne : défis et enjeux pour des territoires en transition
Résumé / Abstract :
La mise en tourisme de la culture scientifique donne à voir des formes distinctives de pratiques et de produits touristiques mobilisant de différentes manières et à divers degrés la dimension scientifique, aujourd’hui regroupées sous le vocable de tourisme scientifique. Au sein des territoires de montagne, ce tourisme scientifique rencontre un certain succès en s’entremêlant avec les dynamiques de transition en cours et les enjeux socio-environnementaux qu’elles révèlent : les formes de gouvernance territoriale, l’accessibilité de la culture scientifique et l’éco-compatibilité des projets. Ce numéro entend mettre en débat cette mise en tourisme de la culture scientifique dans les territoires de montagne et les formes d’innovations territoriales associées. L’objectif est de documenter les enjeux publics soulevés, entre citoyenneté scientifique, transition écologique et diversification touristique.
Developing scientific tourism reveals distinctive forms of tourism practices and products that mobilise the scientific dimension in different ways and to varying degrees, and these are today grouped under the term “scientific tourism”. Within mountain regions, this scientific tourism has met with relative success by becoming inextricably linked with the ongoing dynamics of transition and with the socio-environmental issues that these reveal: forms of regional governance, the accessibility of scientific culture and the eco-compatibility of projects. The objective is to open debate on this development of scientific tourism in mountain regions and on associated forms of regional innovation. It seeks to document the public issues that emerge between scientific citizenship, ecological transition and tourist diversification.
Contexte
La mise en tourisme de la culture scientifique dans les territoires de montagne connaît un regain d’intérêt ces dernières années dans la recherche en Science humaines et sociales (SHS). Des thèses et des programmes de recherche sont en cours sur les espaces alpins autour du Labex ITTEM – Innovations et transitions territoriales en montagne ; des journées d’étude « Culture scientifique et transition touristique : quels enjeux pour les territoires alpins ? » ont été organisées conjointement par l’Université Grenoble Alpes et Aix-Marseille Université fin 2020 pour initier une première synthèse de cette dynamique ; des réseaux internationaux se structurent également à partir de travaux conduits en Amérique latine via le RICT – Réseau international de recherche et de développement en tourisme scientifique.
La mise en tourisme de la culture scientifique donne à voir des formes distinctives de pratiques et de produits touristiques mobilisant de différentes manières et à divers degrés la dimension scientifique, aujourd’hui regroupées sous le vocable de tourisme scientifique (Mao et Bourlon, 2011). Au sein des territoires de montagne, ce tourisme scientifique rencontre un certain succès en s’entremêlant avec les dynamiques de transition en cours et les enjeux socio-environnementaux qu’elles révèlent : les formes de gouvernance territoriale, l’accessibilité de la culture scientifique et l’éco-compatibilité des projets (Chambru et Claeys, 2021). Le plus souvent, il est présenté comme l’expression d’un système touristique alternatif et d’un « après-tourisme » permettant de réinventer un tourisme territorialisé, aux prises avec les enjeux sociétaux du 21ème siècle autour de la montagnéité (Bourlon et al., 2017). Des projets de mise en tourisme de la culture scientifique portés par des acteurs locaux se revendiquant peu ou prou d’une dynamique de transition écologique (ré)émergent en effet dans tous les massifs et à travers des formes variées de tourisme scientifique comme autant d’activités touristiques spécifiques. C’est le cas par exemple de l’astrotourisme au sein d’espaces naturels protégés (pluri)labellisés de moyenne montagne (Charlier, 2018) ou du tourisme glaciaire en tant que « tourisme de la dernière chance » face aux enjeux du changement climatique en haute montagne (Salim et Ravanel, 2020). C’est le cas également du géotourisme qui tente de concilier réponse à des enjeux de diversification touristique, enjeux de diffusion de la connaissance scientifique et enjeux de territoire (Duval et Gauchon, 2010). En montagne, la culture scientifique apparaît ainsi dans les projets de développement local comme un vecteur de développement territorial, d’abord dans une perspective de développement touristique durable (Venzale-Barde, 2006) puis de tourisme « doux » (Kramar, 2012) avant d’être engagé dans les dynamiques de transition écologique. Ce faisant, le développement du tourisme scientifique au nom d’une certaine éthique environnementale se heurte à des paradoxes similaires à ceux de l’accueil du public dans les espaces naturels protégés. Le premier de ces paradoxes concerne les possibles impacts écologiques d’une hausse de la fréquentation d’espaces écologiquement sensibles (Leung et Marion, 2000 ; Claeys et al, 2011). Le second paradoxe est le caractère socialement et culturellement sélectif de l’accès à ces espaces, pouvant induire ou aggraver des situations d’inégalités environnementales, ces inégalités sociales d’accès à la nature (Taylor, 2016 ; Deldrève, 2015).
En montagne, les médiations scientifiques sont en effet présentes de longue date et se matérialisent à travers de multiples dispositifs de vulgarisation scientifique dont l’une des finalités affichées est de promouvoir et développer la culture scientifique. Cette dernière peut être définie comme « un ensemble de politiques publiques, de structures professionnelles et militantes, de dispositifs » aux objectifs convergents mais de plus en plus foisonnants : « diffuser les savoirs, partager les sciences, rendre visible la dimension culturelle de l’activité scientifique et de ses productions, changer les méthodes de transmission et d’apprentissage des sciences, participer au développement territorial et économique, etc. » (Bordeaux et al., 2021). Cette mise en tourisme de la culture scientifique dans les territoires de montagne participe ainsi à créer des lieux émergents constitués comme autant de territoires supports d’une culture scientifique en devenir (Schiele et Jantzen, 2003). Elle s’apparente ainsi à une des modalités de mise en public des sciences et de la culture scientifique et a cela de spécifique qu’elle se déploie au sein de territoires dont les vulnérabilités et les ressources face aux effets du changement climatique sont elles-mêmes spécifiques par rapport à d’autres territoires non montagnards. Cette mise en tourisme participe ainsi au renouvellement et à la diversification des formes instituées de publicisation de la science et de médiation de savoirs que sont « exposer, débattre, publier, vulgariser, communiquer » (Walter et al., 2019). En constituant des espaces montagnards de « rencontre sciences-société », elle interroge également les paradigmes de communication qui façonnent les rôles et les relations avec publics dans les actions de médiation scientifique (Chavrot et Masseran, 2010). De nature patrimoniale, industrielle, technique ou environnementale, ce touristique scientifique montagnard s’appuie en effet sur les ressources du territoire (culturelles et naturelles) et les savoirs produits par les sciences de la nature et les SHS aux prises avec les enjeux de montagnéité. Dans ce « laboratoire à ciel ouvert », la médiation scientifique se voit attribuer différentes missions : partager les savoirs, promouvoir les sciences, valoriser les spécificités territoriales, recruter les futurs scientifiques, diversifier l’offre touristique, faire participer les publics à la recherche, justifier des décisions sociopolitiques, protéger les espaces montagnards, faire changer les comportements, etc. En ce sens, la mise en tourisme de la culture scientifique dans les territoires de montagne participe au renforcement de l’ambiguïté de la notion de médiation scientifique et de ses enjeux sociaux (Bergeron, 2016).
Objectif
Ce numéro du Journal of Alpine Research/Revue de Géographie Alpine entend mettre en débat cette mise en tourisme de la culture scientifique dans les territoires de montagne et les formes d’innovations territoriales associées. L’objectif est de documenter les enjeux publics soulevés, entre citoyenneté scientifique, transition écologique et diversification touristique. Trois axes non limitatifs et non exclusifs invitent à des contributions :
Axe 1 : une diversification du tourisme montagnard par la culture scientifique ?
Cet axe a pour objectif d’analyser en quoi la mise en tourisme de la culture scientifique participe à la diversification touristique des territoires de montagne. Quelles sont les formes de tourisme scientifique observables ? En quoi permet-elle de penser et d’anticiper l’« après-ski », de proposer une alternative économiquement viable au modèle fragilisé de l’Or blanc ? Le tourisme scientifique est-il une forme innovante de tourisme ? Quelle place occupe-t-il par rapport à l’ensemble de l’offre de pratiques récréatives en montagne ? Peut-on parler d’une singularité montagnarde du tourisme scientifique ? Qu’est-ce qui favorise son émergence dans ces territoires ? Il s’agit également d’interroger la dimension territoriale de cette diversification touristique et son inscription dans un projet territorial. Quels enjeux et conflits révèle-t-elle ? Quelles relations se tissent entre culture scientifique et tourisme dans des projets touristiques territorialisés ? Comment ces relations évoluent-elles sur le temps long ? L’objectif est aussi de saisir les enjeux de marketing territorial. La mise en tourisme de la culture scientifique permet-elle aux territoires montagnards de se singulariser les uns vis-à-vis des autres dans un contexte de forte concurrence ? Quels effets produit-elle sur les identités territoriales ? La culture scientifique n’est-elle qu’une ressource parmi d’autres pour travailler cette distinction ?
Axe 2 : une transition écologique en montagne par le tourisme scientifique ?
Cet axe a pour objectif d’analyser en quoi la mise en tourisme scientifique dans les territoires de montagne est porteuse ou non de modèles de transition écologique. La mise en tourisme de la culture scientifique contribue-t-elle à l’adaptation aux changements climatiques dont les effets sont particulièrement précoces en territoires de montagne ? Par-delà l’intention d’une sensibilisation, voire d’une éducation à l’environnement, le tourisme scientifique insuffle-t-il durablement à son public des comportements écologiquement plus vertueux ? En outre, dans quelle mesure le tourisme scientifique parvient-il à proposer un modèle permettant de réduire les impacts écologiques de l’accueil des publics, que ce soit lors de leur mobilité vers le site touristique que durant leur fréquentation du lieu ? Cette question est particulièrement prégnante dans les territoires de montagne du fait de leurs particularités écologiques et de leur moindre accessibilité. Le modèle de transition écologique dont peut être porteur le tourisme scientifique répond-il aussi à des enjeux de corrections d’inégalités sociales, tels que prônés par Hopkins (2010) ? Le tourisme en montagne tend historiquement à être socialement très discriminant. Quels sont tout particulièrement les rapports et similitudes entre le tourisme scientifique et les activités récréatives de pleine nature déjà très présentes dans les territoires de montagne ? Les modèles véhiculés par le tourisme scientifique tendent-ils à renforcer ou bien peuvent-ils corriger les actuelles inégalités socioculturelles d’accès aux aménités montagnardes ? Enfin, en termes d’accès aux ressources territoriales, entre-t-il en concurrence avec d’autres activités caractéristiques des territoires de montagne, tel l’agropastoralisme ?
Axe 3 : une mutation de la médiation scientifique par le tourisme montagnard ?
Cet axe a pour objectif d’analyser en quoi la mise en tourisme de la culture scientifique dans les territoires de montagne participe à une mutation de la médiation scientifique. En quoi les pratiques de médiation se renouvellent-elles dans le tourisme scientifique montagnard ? À quels publics s’adressent-elles et quels publics y participent ? De quoi ces publics sont-ils les acteurs dans ces expériences de tourisme scientifique ? Quels liens sont tissés avec le champ scientifique et les sciences ? Quelles disciplines et quelles méthodologies scientifiques sont mobilisées ? Outre les savoirs et les démarches, comment définir une médiation en tourisme scientifique ? Il s’agit également d’interroger la dimension territoriale de la médiation scientifique en montagne et son ancrage dans les pratiques touristiques en mutation. En quoi la médiation scientifique permet de répondre simultanément aux enjeux de diffusion de la connaissance et aux enjeux de la montagnéité ? Le tourisme scientifique correspond-t-il à une forme particulière de circulation des connaissances favorisant leur diffusion sociale ? S’articule-t-il à des formes et des pratiques culturelles spécifiques aux territoires de montagne ? En quoi se distingue-t-elle alors des autres formes de tourisme où cette dimension territoriale et les sciences sont déjà présentes ? L’objectif est ainsi de saisir la potentielle nouveauté de cette mise en tourisme de la culture scientifique en montagne, de documenter ses spécificités et leurs liens avec la transition écologique.
Cet appel entend ainsi susciter des articles interrogeant de façon critique la mise en tourisme de la culture scientifique dans les territoires de montagne, depuis différents champs disciplinaires des SHS (géographie, histoire, sciences de la communication, sociologie, etc.). Ces articles prendront comme objet ou terrain d’étude la montagne et porteront sur les formes, les processus et les effets de la mise en tourisme de la culture scientifique, mais aussi les dispositifs, les pratiques, les jeux et stratégies d’acteurs, les rapports de pouvoir, les conflits, etc. Les contributions dépassant le cadre alpin sont les bienvenues.
Calendrier
Les articles proposés doivent respecter les objectifs scientifiques de la revue, les principes d’édition et les consignes de présentation. Les indications aux auteurssont à consulter sur le site de la revue.
Conformément au fonctionnement de la revue, chaque contribution sera relue et évaluée anonymement par deux experts.
Les propositions d’articles de 7000 signes (espaces compris) maximum sont à envoyer en français (auteurs francophones) ou en anglais (auteurs d’autres langues) pour le 31 mai 2021. Ce résumé comportera les points suivants : une dizaine de références bibliographiques, titre, affiliation des auteur·es, présentation succincte du contexte et de l’objectif de l’article, du champ théorique, du terrain, de la méthode précisant la composition du corpus de données, et des principaux résultats en cas de contribution empirique, du champ théorique et de l’argumentation en cas de contribution théorique. Le choix des articles retenus sera communiqué le 15 juin 2021.
Les résumés sont à envoyer au comité de suivi éditorial qui est composé de Mikaël Chambru (mikael.chambru@univ-grenoble-alpes.fr), Cécilia Claeys (cecilia.claeyscecilia.claeys@univ-amu.fruniv-amu.fr) et Nathalie Lewis (Nathalie_Lewis@uqar.ca), ainsi que de Coralie Mounet (coralie.mounet@univ-grenoble-alpes.fr) et Olivier Vallade (olivier.vallade@msh-alpes.fr) pour la RGA
Les articles complets seront attendus pour le 1er octobre 2021. L’article doit être soumis dans une des langues de la revue : langues alpines – français, italien, allemand –, espagnol ou anglais. L’auteur doit au préalable prévoir la traduction dans la seconde langue après expertise. L’une des deux versions doit être en anglais. Si l’article est proposé en anglais au départ, la traduction doit être faite en français. La publication est prévue début 2022.