Hermès

L’Amérique latine, continent imaginaire / imaginé

Expected response for the 15/06/2024

Response type Résumé

Expected contribution type article

Publication name Hermès

Au singulier, l’Amérique latine est cet ensemble géographique cohérent, qui projette un imaginaire collectif et porte une mythologie commune. Seul territoire d’échelle continentale à être aussi homogène, ses limites géographiques sont relativement définies ; ses 650 millions d’habitants sont unis, sur plus de 20 millions de km² par deux langues et une religion majoritaire ; son histoire est structurée par une chronologie très similaire d’un pays à un autre et ses cultures esthétiques peuvent être étudiées au sein d’une histoire de l’art régionale qui fait consensus.

Historiquement associée au réalisme magique, au « tropicalisme » et à l’ « authenticité », l’imaginaire latino- américain fonctionne à plein : on « fait » l’Amérique latine, on étudie sa littérature, on valorise ses univers exotiques, on adule ses héros grâce aux représentations visuelles mondialisées, qui parviennent à mythifier même les univers liés à la drogue ou à la violence. En politique, elle fut le terreau des grandes utopies, des mouvements transversaux et des modèles d’organisation collective dont l’impact à l’échelle mondiale fut inspirant et parfois majeur. Des Empires précolombiens au décolonialisme, en passant par le communisme, la théorie de la Libération, les sciences sociales au service du développement (CEPAL), les réformismes…, l’Amérique latine reste ce presque continent capable de se réunir au sein de révoltes sociales, de penser des modèles alternatifs de développement, de faire émerger des scènes artistiques inédites.

Au pluriel, l’Amérique latine apparaît comme un assemblage « classique » d’États-Nations, fruit d’une histoire politique qui vit des territoires se dessiner au lendemain des luttes pour l’indépendance contre les couronnes espagnole et portugaise. États-Nations aux frontières stables, aux symboles définis et aux fiertés assumées.

Toutefois, penser « l’Amérique latine » au singulier tout autant que comme une juxtaposition d’États bien définis, c’est peut-être oublier la complexité de ses identités et la violence avec laquelle elles se sont construites. Ses frontières nationales, souvent « artificielles », sont des palimpsestes bâtis à coups d’assauts, d’impositions, d’effacements, de superpositions forcées, de luttes idéologiques, de constructions mémorielles, voire de campagnes publicitaires, laissant le champ libre à la manipulation des perceptions, à l’utilisation des symboles, des représentations et des récits à des fins de communication politique et de légitimation de pouvoirs. L’histoire des nations d’Amérique latine est marquée par ces grands épisodes qui utilisent les images et les représentations à des fins politiques, très bien étudiés au travers de situations archétypales comme la conception théâtralisée du musée national d’anthropologie de Mexico (Nestor Garcia Canclini) ou la représentation de la transition démocratique chilienne par un iceberg lors de l’Exposition universelle de Séville en 1992 (Nelly Richard). Au fil des conquêtes, des exploitations coloniales puis des indépendances, des migrations, des enseignements et des diplomaties, des régimes autoritaires et des guerres internes, des opérations économiques, des politiques de mémoire, etc. l’Amérique latine est une terre réceptacle de mille influences, dont la plupart ont pris la forme de la violence, de la domination, de l’effacement et de la contrainte, reléguant bien souvent les pratiques locales au rang de folklore. Son territoire même est davantage organisé en fonction des flux et des liens avec les territoires « influenceurs » que pour la communication interne.

On assiste en réalité à un double conflit des représentations, essentiellement conçues depuis l’extérieur :

  • D’une part, la dénomination collective du sous-continent semble abusivement homogène, passant trop rapidement sur les histoires, les particularismes et les frontières, géographiques, politiques, symboliques, imaginaires ;
  • D’autre part, les identités proclamées / imposées, semblent difficilement juxtaposables avec les identités historiques ou ressenties. Les frontières ne peuvent être que dangereusement remises en cause mais elles sont souvent vécues comme imaginaires.
    L’Amérique latine semble vivre entre deux réalités, coincée entre la complexité de ses identités, des frontières fantômes et une unité fantasmagorique, toutes fruit d’une histoire sous influences, écrite depuis l’étranger, d’une politique de la violence qui devient un mode de communication et impose, détruit et efface.
    Face à cela, l’Amérique latine a su développer ses propres concepts pour se réapproprier cette histoire faite d’identités « tronçonnées ». Elle compte plusieurs figures de proue majeures, défenseuses du « pluri », de l’« inter » et de l’hybridation, à rebours des mythes et récits unifiants et homogénéisants utilisés pour construire les identités, notamment par les gouvernements autoritaires et les colonisateurs, qu’ils soient politiques ou intellectuels. Aujourd’hui, la quasi-totalité des pays construisent leurs politiques publiques sur la base du concept d’interculturalité, repositionnant la diversité culturelle à la hauteur de son importance dans la constitution et le quotidien des populations. Par ailleurs, l’Amérique latine est le foyer des théories décoloniales, qui analysent la domination du schéma de pensée occidental dont elle a fait l’objet depuis des siècles et que les décolonisations n’ont pas nécessairement fait cesser. Ces mouvements contemporains permettent d’appréhender la complexité et les déchirures identitaires et communicationnelles qui parcourent le territoire. Ils aident à mieux comprendre comment tant de lames de fond ont constitué, de manière violente, cumulative et parfois contradictoire, les identités d’aujourd’hui, qui peinent souvent à se définir au vu de la violence, physique et symbolique avec laquelle les modèles ont été imposés et de leur persistance dans le monde actuel.

Hermès souhaite s’intéresser à cette terre où se sont superposées les couches de violence et d’imposition identitaires, mémorielles et communicationnelles, au sein desquelles les conflits et les mémoires se sont accumulés sans jamais être suffisamment traités. L’objectif sera de comprendre comment les situations et les outils communicationnels agissent sur les perceptions et les représentations, internes et externes, d’un territoire et peuvent contribuer à expliquer la tension constitutive et semblant indépassable entre unité et diversité, entre identités officielles, imposées, vécues et fantasmées.

On se propose ainsi de répondre aux interrogations suivantes :

  • En quoi l’Amérique latine dispose-t-elle d’une capacité à projeter un imaginaire collectif, à s’unir et à proposer des modèles de développement et d’organisation collective ?
  • Quelles sont les caractéristiques des outils d’influence et de communication qui furent mis en œuvre pour asseoir et légitimer tant une idéologie qu’une identité, un modèle économique, un régime ou un moment politique, un mouvement collectif, une action mémorielle… et quelles furent leurs conséquences en matière d’identités vécues ou ressenties ?
  • De quelle manière, réelle, affichée ou supposée, les États, les groupes sociaux et les populations s’attèlent aujourd’hui à gérer, à valoriser ou à manipuler la diversité culturelle (et l’ « inter » ou le « pluri » de manière générale, dans tous les domaines) pour en faire un outil propre à l’Amérique latine et quels rôles les arts, les intellectuels et les sciences sociales ont-ils pu jouer à ce sujet ?
  • Pourquoi les projets unionistes ambitieux, qu’ils soient utopiques ou autoritaires, n’ont-ils jamais abouti, alors qu’ils reposent sur une facilité communicationnelle apparemment sans égale à cette échelle ? L’absence d’union vient-elle d’une absence d’antagonismes, qui la rendrait innécessaire ? Ou manque-t-il un « ennemi commun » ?
  • En quoi l’analyse historique de la construction de ces identités sous l’angle de la communication permet de répondre à certaines interrogations géopolitiques, notamment :
    • Peut-on parler de l’Amérique latine sans parler des États-Unis ? La Doctrine Monroe est-elle toujours active ?
    • Quel est le jeu particulier du Mexique face à ses cousins latino-américains ? Tourne-t-il le regard vers le nord ou vers le sud ? N’existerait-il pas trois Amériques du Sud ?
    • Pourquoi assiste-t-on au retour du populisme sur le sous-continent, après plusieurs épisodes historiques probablement insuffisamment compris ou analysés ?
    • Quels sont les éléments qui distinguent l’Amérique latine de l’Afrique, de l’Europe centrale, des provinces canadiennes ou des pays nordiques, ensembles géographiques qui oscillent également entre unité et diversité ?
    • Quel est le regard que l’Europe porte sur l’Amérique latine ? La perçoit-elle comme des États- Unis du Sud ? Comme une Union européenne à laquelle elle aurait tenté d’imposer abusivement d’imposer son concept d’État-nation et s’étonne maintenant de son incapacité à s’unir ? Pourquoi des processus de construction des Nations à de nombreux égards comparables produisent-ils des résultats si différents ?En quoi l’analyse historique de la construction de ces identités sous l’angle de la communication permet de répondre à certaines interrogations géopolitiques, notamment :

Les articles s’inséreront dans les axes transversaux suivants :

  • Identités & Frontières
  • Mémoire & Conflits
  • Art & Expressions
  • Idées & Diffusions

Modalités

  • Propositions d’articles à envoyer avant le 15 juin 2024
  • Articles retenus à envoyer avant le 12 octobre 2024
  • Articles de 15 000 signes espaces compris, avec intertitres et biographie synthétique

Contacts

 

La revue Hermès l Communication l Cognition l Politique l

Fondateur et directeur de la publication : Dominique Wolton

La revue internationale Hermès se consacre depuis 1988 à l’étude du champ de la communication. Fondée et dirigée par Dominique Wolton, elle est hébergée par le CNRS et publie deux numéros par an (CNRS Éditions). Deux collections de livres (« Les Essentiels d’Hermès » et « CNRS Communication ») complètent la revue; les articles sont en ligne sur Cairn.info.

La problématique générale de la revue est d’étudier de manière interdisciplinaire la communication dans ses rapports avec les individus, les techniques, les cultures, les sociétés… La communication n’y est jamais posée comme un fait, mais comme une tentative de se tourner vers l’Autre. La communication est une valeur, une aspiration, mais elle est aussi une industrie, un marché florissant, une idéologie. Ce phénomène complexe et polysémique requiert un travail d’analyse critique et d’interprétation. Le travail théorique de la revue vise à réintroduire la figure de l’Autre comme au cœur du processus de communication, elle ne cesse de faire de l’altérité le pendant de la communication.

Hermès publie deux numéros par an et souhaite rester accessible à un public ouvert, en évitant l’enfermement disciplinaire, les illusions technicistes et le confort des théories déterministes.

Des thèmes aussi différents que la communication politique, le cinéma et la télévision, les jeux vidéo, l’information scientifique, la cohabitation multiculturelle, la traduction ou les rituels ont déjà été abordés dans les 92 numéros publiés.

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