Argumentaire
Le patrimoine s’est historiquement construit en Europe dans une démarche d’affirmation des nations et des cultures nationales. Après le second conflit mondial, l’idée de patrimoine mondial, matériel, a nourri l’idée d’une universalité de la culture, présentée comme vecteur de dialogue entre les peuples et de paix entre les nations.
Cependant, dans les années 1970, l’élargissement de la notion de patrimoine en lien avec une anthropologisation de la notion de culture – issue de la modification des rapports de force post-coloniaux dans les organismes onusiens – a été suivie par l’institutionnalisation, à travers l’UNESCO, d’un nouveau champ patrimonial, le patrimoine culturel immatériel. Parallèlement à l’idée de l’universalité culturelle, celui-ci défend l’idée de la diversité culturelle, définie comme étant à l’humanité ce que la biodiversité est à la nature. Ainsi, la Convention de 2003 sur la Sauvegarde du patrimoine culturel immatériel constitue, avec la Convention de 2005 sur la Protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, un dispositif destiné à protéger et à valoriser les pratiques culturelles menacées par les risques d’uniformisation des cultures, mais aussi à rendre visible des groupes et minorités effacés au sein de l’État-nation.
Dans un monde où les circulations et les contagions culturelles se sont vues favorisées par des mobilités jusqu’alors inégalées et par des technologies de communication qui mondialisent les références culturelles, le patrimoine culturel immatériel a ainsi promu l’hétérogénéité des cultures au sein même de ce qu’il désigne comme une communauté culturelle mondiale. Par là même, il a, dans le même temps favorisé et renforcé de nouvelles expressions de sens et de valeurs identitaires, ethniques et/ou nationalitaires, inscrites dans des pratiques sociales dites traditionnelles, communes et/ou populaires : la cuisine, le vêtement, la coiffure, le motif décoratif et la pratique artisanale, tout comme les célébrations, les festivals et les savoirs naturalistes sont ainsi devenus le lieu de dénonciations croissantes de différentes formes de spoliations de pratiques par des cultures étrangères à celles qui se représentent et se donnent à voir comme un berceau culturel originel.
Dans ce numéro, l’idée est de traiter la façon dont les représentations des identités qui transparaissent et s’énoncent à travers les patrimoines culturels immatériels, qu’ils soient ou non institutionnalisés, se construisent sur des discours, images et imageries de l’authenticité, de l’origine, des minorités, des rapports de domination, de l’assimilation et de l’appropriation culturelles. En dépit de toute la documentation produite par les historiens sur l’ampleur spatio-temporelle des circulations culturelles, les patrimoines immatériels tendent ainsi à devenir des nouveaux vecteurs de tensions émotionnelles qui s’inscrivent aussi dans des rapports géopolitiques (force, prestige, etc.) et géoéconomiques (exploitation économique, propriété intellectuelle, etc.). 2
Il ne s’agit donc pas ici de traiter les tensions existant autour de questions de propriété, de frontières ou de spoliations de biens culturels matériels (archéologie, musées, etc.) qui sont déjà bien documentées, mais d’analyser la façon dont les notions de patrimoine immatériel et de diversité culturelle, intrinsèquement liées selon la conception unesquienne, ont pu, exacerber les tensions autour de l’idée de communauté culturelle.
Coordination du numéro
Sociétés et Représentations n°60 – Septembre 2025
- Julia Csergo (Université du Québec à Montréal, CA)
- Jessica Roda (Georgetown University, Washington, EU)
Instructions et calendrier
Les propositions d’articles comprenant un résumé d’environ 250 à 300 mots (environ 1500 signes) ainsi qu’une rapide notice biographique sont à faire parvenir aux directrices du numéro :
- Julia Csergo : julia.csergo@uqam.ca
- Jessica Roda : jr1791@georgetown.edu au plus tard le 15 mars 2024
- Les articles proposés doivent avoir un caractère totalement inédit.
- Les résultats de la sélection des propositions seront annoncés le 30 mars 2024 avec les recommandations éditoriales.
- Les textes des articles d’une taille d’environ 7500 mots (ou environ 30.000 à 40.000 signes) incluant notes et bibliographie, seront à remettre pour le 30 novembre 2024. Vous pouvez rédiger votre article en français ou en anglais.
- Les textes seront soumis à évaluation en double aveugle pour acceptation, corrections (mineures ou majeures) ou refus. Les retours d’évaluations se feront au plus tard le 31 janvier 2025.
- La version définitive des textes avec l’ensemble du paratexte (figures avec cessions de droits iconographiques, légendes, résumés, bios et mots-clés) est à rendre au plus tard le 31 mars 2025.