Portraits de chercheur.e.s très appliqué.e.s : entre recherche et entreprenariat. Deuxième portrait.

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La SFSIC a parmi ses missions de valoriser des projets entrepreneuriaux de doctorant.e.s et chercheur.e.s en Humanités qui diffusent leur savoir au sein des entreprises et des organisations. Dans cette dynamique et à l’occasion de cette période de Congrès, des étudiantes du Master 2 recherche de Celsa-Sorbonne Université vous proposent trois portraits de doctorant.e.s et de chercheur.e.s qui se sont lancés dans l’entrepreneuriat !

Portrait n°2 :
De la fouille archéologique à l’entreprenariat, le parcours atypique de Pauline Mancina

L’apprentissage de la pédagogie, de la gestion de projet et de l’expression à l’oral sont des compétences que l’on peut obtenir tant dans une pratique professionnelle commune que dans celle de l’exercice de la thèse. Le doctorat est aussi pourvoyeur de savoirs professionnels, dévalorisation de ses savoirs et notre rencontre avec Pauline Mancina nous l’a bien rappelé. Son parcours sinueux mais maîtrisé entre fouilles, travail de recherche, formations professionnelles et entrepreneuriat freelance permet d’enrichir nos horizons au-delà de la recherche doctorale prévu par l’Université.

Formatrice freelance en microentreprise depuis 2018, docteure en archéologie depuis 2021, Pauline Mancina intervient sur des thématiques d’efficacité professionnelle pour des organismes de formation. Son travail se focalise sur la gestion du temps, de projet, la communication écrite et orale, la pédagogie et l’innovation. Elle est elle-même formatrice de formateurs. Pauline Mancina confie rapidement sa vocation précoce d’archéologue, provoquée par une passion pour l’Égypte antique dans l’enfance, et nous raconte son parcours construit pour atteindre ce but :

« Je voulais depuis toute petite devenir archéologue donc j’ai fait un bac scientifique. Mes études ont été très linéaires. Je suis rentrée à Sorbonne Université, Paris IV auparavant, j’y ai fait ma licence en archéologie, et je m’y suis spécialisée en archéologie préhispanique. J’ai réalisé mon master et mon doctorat sur la thématique de l’alimentation au sein du CeRAP (Centre de recherche sur l’Amérique préhispanique), plus précisément sur la cuisine et sa symbolique dans le monde préhispanique en Mésoamérique, c’est-à dire du Mexique au Costa-Rica. J’ai fait un doctorat non financé en huit ans, ce qui était encore possible à ce moment-là. »

Pour Pauline Mancina, le but auquel elle se destine est la recherche, elle souhaite très rapidement devenir enseignante-chercheuse et suit donc sa voie jusqu’au master et enfin jusqu’au doctorat. Dans son cas, elle raconte les avantages et les inconvénients de l’avoir mené indépendamment d’un financement par contrat, huit ans où elle a construit en plus de sa recherche ses compétences en tant que formatrice professionnelle.

« Puisque j’étais en autofinancement, j’ai travaillé pendant mon doctorat : j’ai été chargée de TD à l’université, j’ai également travaillé à la BNP en tant que vacataire dans les prêts immobiliers, où je formais souvent les nouveaux arrivants. Un domaine plutôt éloigné de l’archéologie !

En parallèle, je me suis aussi beaucoup formée, ce qui constituait une bouffée d’air frais par rapport à la thèse. C’était une problématique pour moi d’allier ma vie de doctorante ET de professionnelle tout en restant efficace. »

Les nombreuses initiatives Pépite (Pôles étudiants pour l’innovation, le transfert et l’entrepreneuriat) fleurissent partout en France dans les établissements du supérieur, et Pauline en a bénéficié au sein de Sorbonne Université :

« J’ai suivi beaucoup de formations à Sorbonne Université, où j’ai rencontré une formatrice en efficacité professionnelle qui a repéré mon profil et mon appétence pour l’enseignement. Elle m’a proposé de me lancer en tant que formatrice indépendante et je me suis dit que je n’avais rien à y perdre. Au pire, cela ne fonctionnait pas et  j’avais toujours mes autres emplois alimentaires ; au mieux, cela marchait et je pouvais me reconcentrer sur l’enseignement. »

Dans son cas, les fruits de ces formations lui ont permis de se lancer en tant qu’indépendante dans la formation professionnelle, tout en continuant à mi-temps sa recherche. De ce côté, la recherche est riche d’enseignements et de souvenirs : son sujet porte sur la Mésoamérique, apporte son lot de belles expériences à l’étranger, de rencontres et stimule sa curiosité. S’il peut être frustrant de réaliser, au fur et à mesure de la recherche, que nous n’avons jamais fini d’apprendre, cela constitue aussi un apprentissage de l’humilité et une leçon positive.

« Cela nous rend humble vis-à-vis de la connaissance : j’avais plus de certitudes en début de master qu’en fin de doctorat »

Elle regrette l’isolement causé par l’autofinancement, lui-même la conséquence de ce qu’elle identifie être à l’époque un point aveugle du doctorat. Néanmoins, ce manque d’enseignement sur les recherches de financement et la construction de réseau, elle ne regrette pas d’avoir réalisé ce doctorat. Le réseau revient dans cet entretien comme une issue indispensable :

« Il permet de se faire connaître, faire connaître et valoriser son travail, parvenir par contact à se voir offrir des opportunités professionnelles parfois plusieurs années après cette rencontre. J’ai constaté que dans ces deux mondes [universitaire et entrepreneurial ndlr], le réseau est finalement indispensable en plus d’un travail acharné. »

Bien que diplômée d’un doctorat, Pauline n’arrête pas son apprentissage relatif à la recherche doctorale :

« En sortant du doctorat, j’ai remarqué que je n’avais pas de compétences techniques, comme par exemple, savoir utiliser les logiciels de SIG [système d’information géographique] ou R [logiciel de collecte et de traitement statistique] attendus pour de nombreux contrats postdoctoraux. C’est ce à quoi je m’attelle aujourd’hui. »

Heureusement et avec assez d’évidence, la thèse ne fut pas une vaine entreprise car au sortir de celle-ci, Pauline a fait la somme des compétences acquises grâce à son activité dans le secteur privé puis à son expérience en entrepreneuriat, où elle valorise ses savoir-faire professionnellement :

« J’ai aussi beaucoup appris par système de « débrouille » pendant le doctorat, ce qui est une qualité très appréciée dans le secteur privé : je suis devenue autonome, je sais créer ma méthodologie, je pose des questions quand je suis bloquée et si je peux aller plus loin je le fais. Tous ces savoirs m’ont beaucoup apporté dans ma carrière en dehors de l’Université. En sciences humaines, je trouve qu’il y a encore cette barrière entre l’académique et le secteur privé, contrairement aux ‘’sciences dures’’ .»

Quand nous abordons la question de l’identité, Pauline nous explique l’évolution de son rapport à sa double activité, d’abord lorsqu’elle était encore doctorante puis à présent :

« Au départ, je ne me sentais pas spécialement légitime, d’un côté comme de l’autre, et je cachais l’une de mes deux identités régulièrement. Quand on fait un doctorat et qu’on a un travail à côté, on est moins inclus, car on a des impératifs dans des sphères qui ne se rencontrent pas. Cela donne des réflexions comme ‘’vous êtes encore étudiante à votre âge’’, alors qu’à l’université, on considère la thèse comme la priorité et le travail rémunéré comme secondaire. On m’a même demandé de cacher mon doctorat puisque ‘’cela pouvait intimider’’ les participants à qui je donnais des formations. J’ai travaillé sur moi-même ces dernières années pour fusionner ces deux identités, les concilier. J’ai plus de facilité à l’assumer aujourd’hui, peut-être parce que ça fait 5 ans que je mène de front deux activités et si vraiment je n’avais pas ma place en tant que formatrice pour un public d’entreprise je n’y serais sûrement plus à l’heure d’aujourd’hui. À présent, j’essaye de présenter les deux facettes, et souvent les gens sont plutôt curieux et amusés par mon parcours. On nous fait parfois sentir qu’on ne peut pas être expert dans deux activités différentes à la fois, j’imagine que c’est aussi pour cela qu’on peut avoir du mal à parler du cumul de deux métiers sans point commun. »

La question de l’identité professionnelle plurielle est une chose, leur combinaison pratique en est une autre : Pauline s’est organisée durant sa thèse pour conserver un temps de travail sur sa recherche, en s’inspirant des techniques d’organisation des entreprises avec lesquelles elle travaillait et en profitant des mois plus calmes dans l’année pour repartir en fouille en Amérique. Elle conserve aujourd’hui encore un lien, de nature entrepreneuriale et professionnelle cette fois, avec Sorbonne Université :

« Je suis toujours en contact avec le personnel de l’incubateur du CELSA, PEPITE. Je donne aussi des formations auprès des doctorants, ce que j’apprécie beaucoup. Ce sont des formations sur la gestion du temps, la gestion de projet classique et de la « conduite de réunion et d’entretien »

Le contenu de ces programmes lui ont été inspirés par sa propre expérience, notamment la gestion simultanée d’un nombre importants de projets, tant dans sa profession de formatrice que pour sa recherche. Elle a étudié par elle-même, la gestion de projet classique et agile, qu’elle a appliqué dans son doctorat et en entreprise. Le doctorat lui a donné l’occasion de pratiquer sa créativité, lui demandant de trouver de nouvelles idées et de méthodes de développement de sa recherche, à l’instar du Design Thinking, :

« Cette méthode de gestion de l’innovation je l’ai pratiquée pendant les formations de l’incubateur PEPITE ».

Pour elle, la micro-entreprise est inhérent à la fonction de formateur car la majorité d’entre eux adopte ce statut ou celui de petites sociétés comme la SARL, ce qui conditionne la profession à l’exigence de flexibilité demandée par et à la variété des entreprises qui font appel à eux :

« On apprend beaucoup des différents participants et chaque nouvelle formation enrichit notre réflexion ».

Pauline reconnaît un grand avantage supplémentaire à ne pas occuper un statut salarié

« Les périodes creuses que je mentionnais juste avant me permettent de revenir à la Recherche : par exemple je retourne en fouille au Pérou cet été. Je pense que je n’aurais pas eu ce luxe en étant salarié. »

L’équilibre doit se faire entre les jours de travail qui apportent une rémunération et les jours sans les fouilles archéologiques pas de percevoir un salaire suffisant pour en vivre. Cependant Pauline reconnaît avoir trouvé le bon rythme, soutenable, à moitié en présentiel, à moitié en distanciel, à raison d’environ 3 jours d’animation de formation par semaine, le reste étant consacré à la préparation des formations :

« J’ai eu envie de réduire le rythme pour faire des animations de qualité, je ne suis pas intéressée par l’aspect « formations à la chaîne » auquel j’ai été confronté en réalisant 4 à 5 jours d’animation à la suite. Je veux plutôt prendre le temps d’aider les personnes à régler leurs problématiques. »

Mais en dehors de son activité d’auto-entrepreneuse, Pauline Mancina conserve des projets liés à ses objets d’études, professionnels certes, néanmoins plus orientés vers la culture, en plus de projets plus personnels :

« Mon objectif principal reste la recherche, en tant que maître de conférences, ingénieure de recherche ou dans la médiation culturelle en ayant en attendant en appui ce métier qui me plaît dans la formation. C’est aussi l’une des raisons de la diminution de mon rythme d’animation de formations. En outre, j’aimerais aussi fonder ma propre famille, mais la réalité du statut entrepreneurial n’est pas la plus rassurante vis-à-vis de la maternité et des congés associés. Je pense que je vais finir par faire des choix, je vais sûrement changer de métier ou de statut dans l’année à venir. En ce qui me concerne, je trouve que c’est important de parler des problèmes de parentalité en entrepreneuriat : par exemple, il est très difficile d’avoir ne serait-ce qu’une place en crèche en tant qu’indépendant, ou même plus obtenir des prêts immobiliers. »

La problématique du plafond de verre se dessine malheureusement aussi pour Pauline, qui rappelle que si son activité la comble humainement, les stéréotypes à l’œuvre dans la société ne facilitent pas ces parcours plus atypiques :

 « Je ne sais pas si l’entrepreneuriat va s’arrêter pour moi, mais si cela doit s’arrêter je ne regretterai aucunement. Cela m’a apporté énormément en termes de réflexions que je n’aurais pas eu sans, le contact aux publics et leurs façons de penser. Si je trouve un métier dans la recherche, j’aimerais inclure ces apports. L’entrepreneuriat est vraiment une super expérience, on ne s’ennuie jamais et on apprend énormément. »

Son mot de la fin souligne l’importance de décloisonner la recherche des disciplines :

« C’est très important pour moi de mettre en avant la pluridisciplinarité, que ce soit dans mon travail de thèse, où j’ai mêlé archéologie, anthropologie et iconographie , ou encore en formation. Je lis énormément, dans beaucoup de disciplines, ce qui apporte différents éclairages quant à ce que j’avance, et cela intéresse les participants dans la manière d’aborder leurs problèmes. Je pense que c’est la meilleure façon trouver des solutions : en faisant dialoguer les disciplines.

 

Portraits par Lucille Lamache, Célia Banos, Ambre Ampe et Clara Scotto,
étudiantes en M2 Recherche, Celsa-Sorbonne